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Cirad Forum OCDE final

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La communication aborde les problèmes méthodologiques rencontrés dans la représentation détaillée du fonctionnement des ménages agricoles. A partir de l’exemple ouest-africain et du cas malien, les auteurs rappellent les enjeux et défis de la sous-région et l’incertitude des résultats des politiques de libéralisation. Cette incertitude s’explique par la complexité des réalités rurales, la difficulté d’isoler les phénomènes et le déficit en matière d’information, à la fois au niveau structurel et désagrégé. Ces constats permettent de mettre en évidence les besoins de représentations synthétiques et l’intérêt de croiser les approches tant en termes de méthodologies que de référentiels théoriques et disciplinaires. Ces objectifs d’analyse ne doivent pas se limiter au seul besoin de mesurer les impacts pour améliorer en retour les politiques économiques ; ils doivent aussi contribuer à la définition des politiques elles-mêmes dans la mesure où la qualité de leur élaboration est une condition de leur succès.
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1
Forum mondial de l’OCDE sur l’agriculture
Elaborer et mettre en œuvre des politiques agricoles favorables aux pauvres
OCDE, Paris 10-11 décembre 2003
Ménages et marchés agricoles
dans une Afrique de l’Ouest libéralisée.
Eclairages contextuels, méthodologiques et politiques
Bruno Losch, Jean-François Bélières, Pierre-Marie Bosc, Françoise Gérard
CIRAD1
(Version révisée)
1 Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement. B. Losch, J.-F.
Bélières et P.-M. Bosc sont chercheurs au progamme Agricultures familiales et mondialisation (AFM),
respectivement basés à l’Institute of International Studies (UC Berkeley), à l’Institut d’économie rurale
(Bamako) et au Cirad Montpellier ; F. Gérard est chercheuse au programme Ecopol, Cirad Nogent s/Marne.
B. Losch et P.-M. Bosc sont membres de l’UMR Moïsa, Montpellier.
2
Résumé
La communication aborde les problèmes méthodologiques rencontrés dans la
représentation détaillée du fonctionnement des ménages agricoles. A partir de l’exemple
ouest-africain et du cas malien, les auteurs rappellent les enjeux et défis de la sous-région
et l’incertitude des résultats des politiques de libéralisation.
Cette incertitude s’explique par la complexité des réalités rurales, la difficulté d’isoler les
phénomènes et le déficit en matière d’information, à la fois au niveau structurel et
désagrégé. Ces constats permettent de mettre en évidence les besoins de représentations
synthétiques et l’intérêt de croiser les approches tant en termes de méthodologies que de
référentiels théoriques et disciplinaires. Ces objectifs d’analyse ne doivent pas se limiter
au seul besoin de mesurer les impacts pour améliorer en retour les politiques
économiques ; ils doivent aussi contribuer à la définition des politiques elles-mêmes dans
la mesure où la qualité de leur élaboration est une condition de leur succès.
Mots-clés : libéralisation, ménages agricoles, méthodes d’enquêtes, modélisation,
politiques publiques, Afrique de l’ouest, Mali
3
SOMMAIRE
1- LE CONTEXTE OUEST-AFRICAIN : INCERTITUDE DES RESULTATS, ENJEUX
AGRICOLES ET DEFIS GLOBAUX ..............................................................................................6
11. L’exception africaine face aux difficultés pratiques et aux biais génériques de la
libéralisation ..................................................................................................................................6
Le poids de la structure démo-économique
Difficultés pratiques et biais génériques
Les limites de la compétitivité
12. Les résultats mitigés de la libéralisation .............................................................................12
Sur la production et l’intensification agricoles
Production rizicole et intensification à l’Office du Niger
Croissance de la production cotonnière à rendement stable
Sur le développement du marché des céréales au Mali
Sur la différenciation des exploitations agricoles
Libéralisation et lutte contre la pauvreté
2 - A LA RECHERCHE DUNE METHODOLOGIE OPERATIONNELLE .............................19
21. Comment analyser et représenter les réalités rurales .......................................................19
Remarques générales
Quelles postures théoriques et méthodologiques
Les difficultés particulières liées à l’analyse du changement
Les difficultés particulières liées aux informations disponibles
Les niveaux et les catégories d’observation nécessaires
Les représentations synthétiques
Le recours aux matrices de comptabilité sociale (MCS)
Les modèles de comportement dynamiques avec prise en compte de
l’incertitude
Croiser les approches
22. Comment élaborer les politiques .........................................................................................27
Les politiques, un autre bien public
Accompagner les processus
Le diagnostic
La négociation
CONCLUSION .............................................................................................................................31
ANNEXES ....................................................................................................................................36
4
Les deux dernières décennies ont été marquées en Afrique de l’Ouest par un changement
radical de l’environnement économique et institutionnel et des conditions de la
production agricole. La mise en œuvre des politiques de libéralisation et d’ajustement
structurel s’est traduite par un désengagement des États du fonctionnement des marchés
agricoles, du crédit et des services (conseil et vulgarisation), ainsi que par le
démantèlement progressif des protections. Les agricultures ouest-africaines sont
désormais de plus en plus confrontées aux marchés mondiaux et à une concurrence
accrue.
La reconnaissance des impacts différenciés de ces politiques, généralement conçues à un
niveau très agrégé, sur les différents types d’agents économiques est aujourd'hui acquise,
tout comme l’existence d’effets distorsifs liés aux protections et soutiens accordés par les
pays industrialisés à leurs agricultures. Ainsi, au-delà du postulat d’une augmentation de
l’efficacité et du bien-être global lié à la libéralisation (qui reste en discussion dans le cas
des marchés agricoles), il existe des gagnants et des perdants [Oecd 2003] et ce constat
vaut aussi bien entre pays ou groupes de pays qu’au sein des différentes situations
nationales.
La question des perdants et de la prise en compte de la situation des plus pauvres est
devenue aujourd'hui une priorité de l’agenda international ; elle constitue aussi un thème
central pour la conception de l’action gouvernementale avec comme conséquence de
réhabiliter et rénover le débat sur les méthodes d’évaluation des effets des politiques
engagé durant les années 1970. L’objectif de lutte contre la pauvreté a mis en évidence la
nécessité de disposer d’outils et de méthodes permettant à la fois d’analyser les impacts
socio-économiques des politiques mises en œuvre sur les différentes catégories de
ménages agricoles et d’entreprises rurales, d’anticiper l’incidence à terme des réformes,
mais aussi de définir les actions d’accompagnement transitoires les mieux adaptées pour
les plus défavorisés. Il impose de disposer d’une connaissance fine des situations locales,
de pouvoir assurer leur représentation au niveau global et de prendre en compte
l’imperfection des marchés qui empêche une allocation efficace des facteurs [Brooks
2003].
Cet agenda n’est pas sans poser d’importants problèmes méthodologiques qui sont au
cœur des préoccupations du Forum. L’objectif de notre communication, dans la
perspective d’une amélioration des politiques économiques, est de discuter d’une
approche globale de l’analyse et de la représentation des réalités rurales et de
l’élaboration des politiques prenant en compte la complexité des phénomènes,
l’emboîtement des échelles, le rôle du risque et leurs conséquences sur le plan technique
et opérationnel. L’éclairage qu’offre le contexte ouest-africain sur le caractère mitigé des
résultats de la libéralisation, la prise en compte des réalités de la configuration démo-
économique de la sous-région et la mise en évidence de certains obstacles durables au
fonctionnement optimal des marchés sont l’occasion de discuter l’importance de la
définition de politiques adaptées, tant dans leur contenu que dans leur conception.
5
Cette communication ne s’inscrit pas dans le cadre de la réalisation du projet sur les
impacts des réformes en matière de politiques agricoles et commerciales piloté par la
direction de l’agriculture de l’OCDE2. Elle n’a pas pour objet de présenter des résultats
spécifiques issus d’études ad hoc réalisées dans le cadre de ce projet (cf. les cas du Brésil,
du Mexique et du Malawi) mais plutôt d’apporter des éclairages complémentaires des
auteurs et de leurs équipes de recherche sur le contexte ouest-africain, à partir de travaux
récents ou en cours, et d’en dégager des points de débat sur le plan méthodologique, en
particulier en regard des cadres de représentation des réalités rurales, de la question de
l’agrégation des résultats, mais aussi des conditions de définition des politiques.
Les données utilisées pour illustrer l’argumentaire sur l’impact de la libéralisation
proviennent principalement du cas malien et mobilisent divers travaux menés, pour la
plupart, par des équipes de recherche de l’Institut d’Economie Rurale (IER) de Bamako
auxquelles participent des chercheurs du CIRAD, en particulier l’étude intitulée « Impact
de la globalisation et de l’ajustement structurel sur les petits producteurs du Mali »
coordonnée par D. Kébé [Kébé et al. 2003b].
La communication s’articule en deux grandes sections. La première porte sur un éclairage
de l’impact de la libéralisation à partir de la situation ouest-africaine et met en
perspective le caractère mitigé des résultats obtenus avec les enjeux agricoles et défis de
la sous-région. La seconde section s’intéresse plus spécifiquement aux aspects de
méthode, tant dans l’analyse et la représentation des réalités rurales que dans
l’éléboration des politiques et l’évaluation de leurs effets.
2 “Effects of trade and agricultural policy reform within and between countries”
COM/AGR/TD/WP(2003)2).
6
1- Le contexte ouest-africain : incertitude des résultats, enjeux agricoles et défis
globaux
Les impacts des mesures de libéralisation en termes de résultats techniques et
économiques s’avèrent particulièrement composites et difficiles à évaluer à cause de
l’incidence des prix internationaux (renforcée par les variations de change et les
dévaluations), de la brièveté relative des pas de temps et de la faiblesse des systèmes
statistiques. Néanmoins, en Afrique de l’Ouest, les résultats de la libéralisation
apparaissent incertains et mitigés et la croissance de quelques indicateurs, comme le
niveau des récoltes de certains produits agricoles, s’accompagne d’une plus grande
instabilité de l’environnement économique et institutionnel et d’une stagnation
économique globale. Les taux de croissance appréciables enregistrés par certains pays au
cours de la dernière décennie n’ont pas permis de rattraper l’écart et de compenser la
forte poussée démographique. Ainsi, au cours des vingt dernières années, le PIB par tête
dans les seize pays de la sous-région a stagné voire s’est dégradé3 et l’agriculture
continue de peser entre 30 et 50% du PIB et à occuper entre 50 et 90% de la population
active.
Avant de présenter quelques exemples concrets, il apparaît essentiel d’insister sur cette
particularité africaine qui pose la question des enjeux spécifiques de l’agriculture en
regard des défis globaux du continent et de son insertion internationale.
11. L’exception africaine face aux difficultés pratiques et aux biais génériques de la
libéralisation
Le poids de la structure démo-économique
Les PED sont globalement face au défi de la croissance de leur population agricole. Au
cours du dernier quart de siècle, celle-ci s’est accrue de près de 30% (530 millions de
personnes) alors que celle des pays développés régressait de près de 80 millions (-44%).
Ainsi, dans le nouvel environnement économique mondialisé, le devenir du milliard trois
cents millions d’actifs agricoles des pays du Sud et des personnes qu’ils font vivre (soit
un total de près de 2,5 milliards de personnes, 41% de la population mondiale) aura un
impact direct sur la nature des évolutions internationales, puisque les deux tiers des
3 Sur la période, dix pays sur seize restent durablement dans la fourchette des 200 à 400$ par habitant,
quatre sont cantonnés entre 400 et 600$ et l’exception ivoirienne a disparu (700$/hab. aujourd'hui contre
1050$ en 1980). Valeurs exprimées en dollars constants 1995 (source World Development Indicators,
World Bank 2003). Voir également Cnuced [2002].
7
pauvres vivent dans les campagnes des PED [World Bank 2002]. Et les évolutions dans
leurs pratiques agricoles affecteront directement la durabilité des ressources naturelles4.
Dans ce contexte, l’agriculture africaine fait face à une situation inédite puisque,
contrairement à d’autres continents (ou pays continents), l’Afrique a vu la plus forte
croissance relative de sa population agricole durant le dernier quart du XXème siècle5 alors
que, simultanément, elle se trouve marginalisée dans les échanges commerciaux sur
lesquels se focalise le débat international en matière agricole.
Du fait de son poids persistant dans les grands agrégats économiques mais aussi de son
rôle dans la distribution des revenus, l’agriculture africaine (et plus généralement le
développement rural) reste et restera à moyen terme un secteur stratégique pour le
développement économique et social et la lutte contre la pauvreté. Ce constat est renforcé
dans le cas de l’Afrique de l’Ouest, qui a connu de profonds changements au cours des
quarante dernières années6, et plus particulièrement dans celui des pays de la zone
soudano-sahélienne où la population active agricole représente plus de 80% de la
population active totale.
Difficultés pratiques et biais génériques
Les politiques de libéralisation mises en œuvre par les bailleurs de fonds en Afrique font
partie, avec les mesures d’austérité budgétaire et les privatisations qui les accompagnent,
d’un ensemble de réformes standard appliqué dans d’autres régions du monde dont les
objectifs sont simples et reposent sur quelques postulats élémentaires : l’efficacité d’une
régulation par le marché ; la nécessité d’un État circonscrit à ses fonctions régaliennes et
à la prise en charge des défaillances de marché. En Afrique, ce référentiel s’est trouvé
renforcé par l’emphase mise sur les dysfonctionnements majeurs de la gestion publique
(entreprises publiques, grands « projets »), les dérives des systèmes de stabilisation et
leurs conséquences sur les revenus agricoles7. En conséquence, afin d’assainir la situation
économique et de relancer la croissance, l’agenda de la libéralisation reposait
structurellement sur la double nécessité de sortir de l’inefficacité de la gestion publique et
de rééquilibrer les incitations au profit du secteur rural.
4 L’ensemble des données démographiques est repris de Losch [2003] et issu de la base de données de la
FAO qui, malgré d’importantes inexactitudes, fournit des ordres de grandeur utiles.
5 Sur la période 1975-2000, l’Inde, la Chine et l’Afrique ont gagné chacune de l’ordre de 150 millions de
personnes vivant de l’agriculture ; mais c’est en Afrique que la croissance relative est la plus forte (56%)
contre 21 et 32 % pour les deux premiers pays et c’est l’Afrique, avec 35%, qui est en tête de la croissance
de la démographie agricole mondiale du dernier quart de siècle, ce qui atteste d’une différenciation nette au
sein de ces grandes masses agricoles dans leur rapport avec leurs environnements économiques locaux.
6 Comme l’a montré l’étude WALTPS, la physionomie ouest-africaine a été bouleversée par la poussée
démographique et urbaine et les migrations vers les pays côtiers. La croissance urbaine créé désormais une
forte demande intérieure qui stimule l’économie agricole [Cour et Snrech 1998].
7 Cette vision, à l’origine d’une délégitimation de l’État, a été confortée par l’adhésion aux analyses du
courant de la nouvelle économie politique expliquant les contre-performances agricoles du continent par le
biais urbain des classes dirigeantes issues des indépendances. Voir en particulier les analyses fondatrices du
rapport Berg [Banque mondiale 1981] largement inspiré des travaux de Bates [1981]. Sur une critique
fondamentale et actuelle des classes dirigeantes, voir van de Walle [2001].
8
Cette approche monolithique s’est cependant heurtée à des obstacles durables qui ont été
largement sous-estimés – l’incomplétude de certains marchés – ou ignorés – l’instabilité
structurelle des marchés agricoles.
En effet, le choix d’un rythme de réforme rapide imposé de l’extérieur, en supprimant
brutalement les dispositifs publics ou parapublics dans un contexte marqué par l’absence
ou la faiblesse du secteur privé, s’est traduit par une confrontation brutale à des situations
de marchés incomplets – en particulier en matière de crédit, d’assurance, de services de
conseil [Kherallah et al. 2000] – et par d’importants problèmes de coordination entre
agents économiques, notamment des ruptures en matière d’approvisionnement en intrants
ou de commercialisation dans les zones éloignées ou marginales8.
Ce résultat est la conséquence, comme l’a bien montré le cas ivoirien (cf. encadré 1),
d’une sous-estimation des conditions préalables à la réalisation des réformes et des
rigidités économiques et institutionnelles de la configuration antérieure. Le manque de
préparation de la transition a généré des effets pervers, puisque les marché des facteurs
étant incomplets, le secteur privé trop réduit et les organisations professionnelles trop
fragiles, les structures héritées des choix techniques, organisationnels et politiques passés
ont empêché l’émergence d’un contexte de concurrence viable. Elle a également conduit
à une sous-estimation de l’impact de la fin des protections dans un contexte d’insertion
internationale défavorable, marqué par une dépendance de prix mondiaux déprimés. La
primauté accordée à la réalisation des objectifs programmés de la libéralisation et les
résistances fréquentes des États ont empêché le développement d'un environnement de
marché favorable (cadre réglementaire, surveillance de la concurrence, contractualisation,
prise en charge des missions de service public, etc.).
Les remèdes généralement envisagés pour répondre, avec retard, à ces situations non
optimales reposent sur un renforcement de la dotation en biens publics : renforcement du
droit, des infrastructures de communication, des systèmes d’information, du niveau de
formation des agents économiques, afin de permettre le développement de l’initiative
privée. Ces remèdes butent cependant sur le problème des délais de mise en œuvre, sur
celui de leur efficacité et sur la question du renforcement des institutions.
Un biais beaucoup plus fondamental dans la mise en œuvre des politiques de
libéralisation est l’absence de prise en compte de la nature de l’instabilité des marchés
agricoles. Le caractère défavorable de l’environnement de marché observé depuis les
années 1980 est généralement reconnu : les soutiens à la production et le dumping des
pays industrialisés ont eu et ont un effet dépressif sur les cours internationaux et
entraînent une concurrence sur les produits locaux ; la dérégulation des marchés
mondiaux (la suppression des systèmes de stabilisation nationaux allant de pair avec la
fin des oligopoles d’États-nations et des accords sur les produits de base) s’est traduite
par une variabilité plus forte. En revanche le caractère structurel de l’instabilité
intrinsèque des marchés agricoles qui explique cette variabilité est largement ignoré. En
8 Ces constats ne signifient certainement pas que les dispositifs publics répondaient aux besoins des
producteurs ; mais ils assuraient selon les cas une fourniture minimale au prix le plus souvent d’importants
déficits ou d’abondantes subventions qui n’étaient plus soutenables sur le plan macro-économique.
9
effet, l’instabilité habituellement prise en compte est une instabilité exogène liée à la
fluctuation des conditions climatiques qui entraîne une variation des rendements. En toute
logique, si les chocs climatiques sont indépendants et distribués selon la loi normale,
l’instabilité disparaît partiellement avec l’élargissement du marché permis par la
libéralisation puisque, si le marché couvre suffisamment de régions, bonnes et mauvaises
récoltes ont toutes les chances de se compenser. Dans ce sens, Bale et Lutz [1979] ont
démontré que les politiques de stabilisation des États ont un impact déstabilisant sur les
marchés mondiaux car elles rejètent sur les marchés extérieurs l’instabilité de leurs
marchés domestiques.
Encadré 1 :
La libéralisation du secteur agricole ivoirien :
croissance de l’incertitude et précarité accrue
Les liens entre la situation de crise politique que connaît la Côte d'Ivoire depuis 1999 et les conditions de la
libéralisation ne sont bien sûr pas directs. La crise ivoirienne est d’abord le résultat d’un déclassement
économique et géopolitique du pays lié aux changements internationaux et à la difficulté des adaptations du
fait des rigidités de la régulation interne. Cependant, le dogmatisme des réformes en regard des réalités
économiques, sociales et politiques locales et le manque de préparation et d’accompagnement ont joué un
rôle aggravant et accélérateur en renforçant une instabilité et une incertitude économiques et
institutionnelles qui pèsent sur le comportement des acteurs y compris dans leur dimension politique
[Losch et al. 2003].
En termes d’effets directs, les producteurs sont désormais soumis directement à la variation des prix
internationaux. Ils ont subi le choc de marchés extérieurs baissiers qui s’est traduit par une forte érosion de
leur pouvoir d’achat en valeur constante depuis les années 1980 et un triplement du taux de pauvreté en
milieu rural. Leur part dans la valeur ajoutée n’a pas connu d’amélioration (sauf quelques effets ponctuels
d’aubaine), à cause de la rigidité des structures de coût, du maintien des taxations et de l’asymétrie
d’information dont ils sont victimes au bénéfice des intermédiaires. Cette situation défavorable a été
renforcée par la difficulté de la coopération entre des catégories d’acteurs très disparates, qui a souvent
conduit à des situations de blocage sur les prix de cession des produits.
Mais la libéralisation a surtout eu une incidence majeure sur l’environnement global des producteurs. La
dérégulation a eu un impact direct sur la variabilité intra-annuelle des prix avec une transmission directe
différenciée selon les zones de production et les types d’acteurs (en fonction de l’organisation des réseaux),
ce qui constitue un facteur de croissance des inégalités régionales. La fin de la coordination administrée et
la défaillance des nouvelles règles (en particulier dans l’application des cahiers des charges des
privatisations du fait des comportements opportunistes et de l’absence de contrôle et de sanctions) se sont
traduites par la détérioration significative de certaines fonctions : le crédit, avec des conséquences directes
sur les approvisionnements en intrants, le conseil technique, l’entretien des pistes. L’aléa prix a ainsi été
renforcé par des aléas en termes de conditions de la production et de la commercialisation et par une perte
des « repères ».
Toutes ces évolutions ont débouché sur un climat d’incertitude renforcé pour tous les producteurs, accentué
par des rapports de force beaucoup plus mouvants, la dégradation du contexte politique et le non respect du
droit.
Par contre, l’instabilité endogène liée à la rigidité de la demande (besoins largement
incompressibles en biens alimentaires) et à celle de l’offre (résultat des délais de
production, des difficultés de transport et de stockage) est généralement ignorée quant à
ses conséquences structurelles. Or celle-ci a toutes les chances d’augmenter avec
l’élargissement du marché lié à la libéralisation à cause du déficit d’information des
agents économiques. Les comportements reposent en effet sur des anticipations soumises
10
aux rumeurs, basées sur l’imitation et sont donc beaucoup plus volatils. Keynes, dès
1921, affirmait le rôle central des anticipations dans la physionomie des marchés et, dans
la théorie générale (1936), il esquissait le concept de comportement moutonnier qui est
maintenant largement utilisé pour expliquer les comportements des opérateurs sur les
marchés financiers. Orléan [1989] montre comment ces comportements moutonniers,
quoique rationnels en l’absence d’information, sont à la source des « bulles rationnelles »
généralement suivies de réajustements brutaux qui génèrent ainsi une instabilité des prix
qui n’est pas liée à des perturbations extérieures. Les agents se trompent dans leurs
anticipations ; leurs erreurs affectent les volumes d’équilibre et les prix qui contribuent à
perpétuer les erreurs [Boussard 1994, 1996]. Face à cette dynamique chaotique,
l’élargissement des marchés a surtout un rôle amplificateur.
Aujourd'hui le débat sur la stabilisation (ou plutôt la gestion de l’instabilité) est de
nouveau d’actualité. Alors que la presque totalité des dispositifs de stabilisation a été
démantelée au cours des deux dernières décennies (offices, caisses, boards), l’impact des
variations des prix internationaux sur les économies dépendantes des matières premières
agricoles a conduit à relancer la réflexion sur les outils de gestion du risque de marché9.
Encadré 2 :
Faiblesse ou absence des gains de la libéralisation :
les premiers résultats du modèle « ID3 »
Le « modèle international dynamique pour l’étude du développement durable et de la distribution des
revenus » (ID3) a été développé par une équipe de chercheurs du Cirad et de l’Inra [Gérard et al. 2003] avec
pour ambition d’évaluer d’un point de vue dynamique l’impact de la libéralisation en prenant en compte,
contrairement à la plupart des modèles couramment utilisés, l’instabilité endogène des marchés agricoles,
l’imperfection de l’information et ses conséquences sur le comportement des agents.
Construit sur 13 régions, 17 secteurs (dont 14 liés à la production ou la transformation des produits
agricoles au sens large) et cinq facteurs de production, il s’agit d’un modèle récursif qui s’inscrit dans la
philosophie des modèles d’équilibre général calculable.
Les simulations réalisées ont permis de mettre en évidence à partir de plusieurs scénarii : la grande
faiblesse des gains associés à la libéralisation pour les pays du Sud en hypothèse d’information parfaite ; et
la très forte sensibilité des résultats à l’hypothèse d’imperfection des marchés.
Pour l’Afrique sub-saharienne, l’impact de la volatilité des marchés réduit à néant les gains de la
libéralisation et induit une très forte variabiité du PIB. Dans l’ensemble, les ménages pauvres sont les plus
touchés dans les périodes de dépression et bénéficient moins de la croissance dans les épisodes favorables.
Les limites de la compétitivité
Toute la philosophie de l’agenda de la libéralisation repose sur la théorie de l’échange
international qui postule qu’optimum et efficacité passent par une spécialisation dans les
avantages comparatifs. L’impératif de compétitivité – faire face à la concurrence et
gagner des parts de marchés pour soutenir une croissance basée sur la division
internationale du travail – implique une performance sur les coûts, les volumes et les
qualités mais aussi une capacité des acteurs d’un territoire à s’adapter aux changements
9 Cf. l’initiative de la Banque mondiale sur la couverture du risque avec les instruments des marchés
financiers, qui a mis en évidence les difficultés pratiques d’une telle approche [World Bank 1999], et les
discussions renouvelées sur les fonds de garantie [Guillaumont et al. 2003].
11
de l’environnement des marchés. Ainsi, la qualité des systèmes locaux d’innovation est
essentielle puisqu’elle détermine la flexibilité qui permet de valoriser au mieux les actifs
spécifiques et elle permet de comprendre – avec les dotations en facteurs – quels sont les
« pays et régions qui gagnent » [Benko et Liepietz 2000]. Cependant le paradigme de la
compétitivité présente d’évidentes limites et notamment la marginalisation croissante des
populations et des territoires les moins performants. Ce que signalait déjà le Groupe de
Lisbonne il y a dix ans [1995] est dorénavant reconnu au travers des débats sur la
pauvreté, qui tendent toutefois à considérer le besoin d’ajustement comme transitoire et à
sous-estimer les asymétries structurelles.
Or la situation africaine impose de rappeler quelques évidences. Il s’agit tout d’abord et
en premier lieu de la confrontation brutale entre des productivités agricoles nationales
sans aucune commune mesure. Le mouvement de libéralisation des marchés se traduit par
une concurrence directe entre des productivités marquées par des écarts allant aujourd'hui
de 1 à 2000, pour les céréales, entre l’agriculture manuelle sans intrants et la motorisation
lourde avec recours massif aux intrants [Mazoyer 2001]. Il s’agit ensuite de la croissance
des asymétries entre agents économiques sur des marchés mondiaux caractérisés par
l’émergence de macro-acteurs privés (conséquence des processus de fusions-acquisitions
dans les pays industrialisés), implantés dans de très nombreux pays, et qui ont souvent
participé activement au mouvement de privatisation des économies africaines. Le retrait
rapide des États de la commercialisation a ainsi fréquemment laissé la place à des
oligopoles privés sous contrôle étranger – le cas ivoirien est à cet égard exemplaire
[Losch 2002] - et cette nouvelle configuration rend plus difficile les marges de manœuvre
et les conditions de la négociation pour les opérateurs locaux, encore souvent peu
organisés (faiblesse des professions agricoles et du secteur privé).
Dans un tel contexte, quel est l’avenir des agricultures ouest-africaines dans la
perspective d’une libéralisation totale ? Il existe là un paradoxe, car l’essentiel du débat
actuel sur l’évolution des agricultures du continent est monopolisé par la scène de l’OMC
et la question des subventions américaines et européennes ; alors que leur supression
profitera en premier lieu aux pays agro-exportateurs du groupe de Cairns. Quelles sont
désormais les productions pour lesquelles l’Afrique de l’Ouest aura encore des avantages
comparatifs ? Certainement pas les céréales, les oléagineux, ou les protéines animales.
Que restera-t-il ? Le coton - surtout si les subventions des États-Unis et de l’Union
européenne disparaissent - et le cacao, en poursuivant – tant que les ressources naturelles
le permettront - une croissance extensive ? Comment, sur les marchés domestiques
aujourd’hui portés par les habitudes alimentaires des urbains, les produits de l’agriculture
traditionnelle (mil, sorgho, manioc, niébé, etc.), pourront-ils résister aux produits de
grande consommation voire aux sous-produits (par exemple la brisure de riz) ?
La voie de la spécialisation et de l’ouverture sans garde-fous n’est donc pas réaliste et la
structure démo-économique africaine rappelle le caractère central et stratégique de
l’agriculture pour la croissance. Dans l’exemple de l’Asie de l’Est et du Sud-Est,
l’existence d’agricultures bénéficiant de bons dispositifs de coordination, développées à
l’abri d’une protection minimisant les risques pour les producteurs et avec un État
interventionniste explique une bonne partie des succès [Stiglitz 1996]. Ainsi, des
12
protections ad hoc peuvent être justifiées afin de réduire l’impact négatif de l’instabilité
structurelle des marchés agricoles sur la capacité d’initiative et d’investissement des
producteurs du fait de leur aversion au risque [Boussard 1987]. Elles peuvent également
permettre le maintien d’une production nationale minimale, y compris lorsque les
produits locaux ne sont pas compétitifs, car la variabilité des prix agricoles et des taux de
change rendent l’approvisionnement alimentaire sur le marché mondial périlleux (risque
de coûts élevés avec des conséquences sociales importantes)10. Enfin le rôle
d’entraînement de l’agriculture dans la croissance économique, y compris en l’absence de
performance internationale, reste déterminant [Timmer 2000].
Ainsi, dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest, et à contre-courant de nombreuses idées
acquises, la croissance de l’emploi agricole et la hausse des revenus tirés de l’agriculture
resteront encore longtemps le principal instrument de lutte contre la pauvreté [Bosc et
Losch 2002]. Le schéma de la révolution industrielle, qui a structuré les économies
développées et qui articulait gains de productivité liés au progrès technique et transfert
d’actifs de l’agriculture vers d’autres secteurs, est difficilement reproductible et en tous
cas non généralisable du fait de la faiblesse des secteurs d’activité susceptibles d’offrir
des emplois et des revenus aux « sortants » de l’agriculture, mais aussi – et c’est une
différence majeure avec l’histoire européenne – du fait des obstacles renforcés aux
migrations internationales. Cette situation, liée à la faiblesse des marchés intérieurs
empêchant toute économie d’échelle, milite pour un renforcement des processus
d’intégration régionale qui faciliteront aussi la structuration des marchés agricoles.
Ces différentes remarques liées aux difficultés pratiques et aux biais génériques de la
libéralisation dans le contexte ouest-africain signalent l’importance des politiques
publiques dans une perspective qui sort d’une vision restrictive des biens publics et du
rôle de l’État. Elle pose bien sûr simultanément la question des modalités concrètes de
définition et de mise en œuvre des politiques adaptées et celle de la qualité des
institutions.
12. Les résultats mitigés de la libéralisation
Comme l’ont montré le bilan réalisé par l’IIED [Toulmin et Guèye 2003] et les cas traités
par Bélières et al. [2002], l’analyse d’étape des effets de la libéralisation sur les
producteurs en Afrique de l’Ouest révèle globalement une forte capacité d’adaptation des
agricultures familiales. Ce constat s’accompagne toutefois de fortes interrogations sur la
pérennité d’un tel résultat du fait des écarts marqués entre exploitations agricoles et de
l’impact sur la gestion des ressources. Simultanément, les conditions de mise en œuvre
des réformes et la sensibilité aux chocs extérieurs en fonction de l’ouverture
internationale révèlent des différences nationales importantes (cf. le cas ivoirien).
10 En Afrique de l’Ouest, la part des importations alimentaires se situe toujours entre 20 et 35% de la valeur
totale des importations de marchandises (source World Development Indicators, Banque mondiale 2003).
13
Le cas malien, choisi pour illustrer notre propos, montre une situation très nuancée à
partir de deux exemples régionaux caractérisés par leur contraste : la zone cotonnière du
sud du pays et la zone irriguée du delta intérieur du Niger, marquées à la fois par des
conditions agro-écologiques et des contextes économiques et institutionnels très
différents.
Sur la production et l’intensification agricoles
Production rizicole et intensification à l’Office du Niger
La libéralisation de la filière rizicole mise en œuvre progressivement à partir du milieu
des années 1980 a été l’un des moteurs de la forte croissance de la production de riz au
Mali, plus particulièrement dans la zone de l’Office du Niger (ON)11 qui a connu une très
forte intensification. Les évolutions observées au cours de la décennie 1990 sont souvent
présentées comme une véritable « success story » : la totalité des superficies aménagées
est aujourd'hui cultivée ; l’extension du périmètre a repris ; et les rendements ont été
multipliés par trois par rapport au début des années 1980 [Kuper et al. 2002]. Pourtant, et
c’est un paradoxe par rapport à de nombreuses analyses sur le rôle éminent de la
propriété foncière, les terres sont détenues par l’État et les exploitants agricoles ne
disposent que d’une garantie foncière très limitée à travers des statuts spécifiques dont le
plus répandu est le contrat annuel d’exploitation (CAE) [Bélières et al. 2002].
Le succès enregistré dans cette zone, apprécié par les critères de superficies cultivées, de
production et de rendement (Fig. 1)12, apparaît nettement différent des déboires rencontrés
dans d’autres périmètres irrigués de la sous-région depuis la libéralisation (Sénégal,
Niger). Ce constat révèle que la libéralisation à elle seule ne permet pas d’expliquer
l’évolution des dynamiques agricoles : elle est un facteur majeur de changement qui
modifie radicalement le champ des opportunités et des contraintes mais dont les résultats
effectifs dépendent aussi de la situation antérieure. Ainsi, à l’Office du Niger,
l’amélioration des indicateurs de production est imputable à une conjonction de facteurs.
Si la déréglementation et le développement des marchés ont joué un rôle important, la fin
de la coercition qui s’exerçait dans la commercialisation de la production à travers une
« police économique », tout comme l’existence d’infrastructures et d’un capital social
élevé ont aussi été déterminantes. En effet, les aménagements hydro-agricoles, les
réseaux de routes et pistes, un investissement ancien en recherche-développement et
11 L’Office du Niger est un aménagement hydro-agricole de grande envergure situé dans le delta intérieur
du Niger, dont les premiers investissements ont été réalisés à compter des années 1930. Un barrage sur le
fleuve Niger, en relevant l’eau de quelques mètres, permet sa distribution par gravité à des périmètres
aménagés qui s'étendaient en 2000 sur environ 75 000 ha (mais le potentiel irrigable est beaucoup plus
élevé, de l’ordre du million d’hectares). L'Office du Niger a vu son statut et ses attributions se réduire
progressivement. Avec un statut d’établissement public, ses missions restent cependant très vastes et sont
conduites dans le cadre d’un contrat de concession de service public. Il s’agit notamment : de la gestion des
eaux et de la maintenance des aménagements, de l’entretien des infrastructures primaires, de la gérance des
terres (qui restent propriété de l’Etat), du conseil rural et de l’approvisionnement en intrants et matériel
agricole. L’Office gère les attributions de la terre aux producteurs qui s’acquittent d’une redevance
hydraulique pour l’entretien des aménagements et la gestion de l’eau.
12 Voir tableaux et figures en annexe.
14
vulgarisation, l’existence d’organisations paysannes contribuant à la fourniture de biens
et services collectifs favorisant la relation au marché (économies d’échelles, réduction
des coûts de transaction, mais aussi réduction des asymétries de négociation avec les
commerçants) représentent un ensemble de conditions préalables essentiel au succès de la
libéralisation. Il convient aussi de rappeler une différence technique majeure par rapport à
d’autres périmètres hydro-agricoles : l’existence d’une irrigation par gravité plutôt qu’une
irrigation par pompage, dont la conséquence est un niveau de charges d’investissement et
d’exploitation inférieur facilitant la rentabilité de la filière rizicole13. Enfin, la position
géographique du Mali et son absence d’ouverture sur la mer ont contribué à une
protection de fait du marché domestique (la compétivité du riz importé étant grevée par
les coûts de transport.
Croissance de la production cotonnière à rendement stable
La production de coton a fortement augmenté au cours de la dernière décennie alors que
la filière malienne reste encore fortement « intégrée » et contrôlée par une société
d’économie mixte, la CMDT14 (Fig. 2). Le fonctionnement de la filière est formalisé
depuis 1989 dans le cadre de contrats de plan entre l’Etat, la CMDT puis les
producteurs15. Une stabilisation des prix par la société cotonnière a été maintenue avec un
prélèvement relativement élevé (Fig.3). Ainsi, en 1999 et en 2000, la contestation du prix
par les organisations de producteurs s’est traduite par une « grève des semis » provoquant
une chute de production évaluée à 250 000 tonnes. Suite à cette crise majeure, des
mesures de libéralisation de la filière ont été entreprises – dont le transfert de
l’approvisionnement d’une partie des engrais aux organisations professionnelles (ceux
destinés aux céréales) – et la hausse du prix au producteur avec le soutien de l'Etat s’est
traduite par une récolte record.
Contrairement à la dynamique à l’œuvre à l’ON, l'évolution agricole de la zone
cotonnière s’est effectuée globalement sans intensification. Les producteurs ont cherché à
sécuriser leurs systèmes de production en minimisant les risques climatiques et
économiques par le choix des cultures et la limitation des consommations intermédiaires.
Ainsi, la hausse de la production repose d’abord sur une forte progression des superficies
cultivées en coton et en maïs. Dans les zones densément peuplées, où le développement
du coton ne pouvait plus s’effectuer sur les superficies en jachère, la croissance des
surfaces a eu lieu au détriment des céréales dites traditionnelles - mil, sorgho, fonio –
dont les récoltes sont beaucoup plus sensibles aux aléas climatiques [Kébé et al. 1998].
Cette option pose toutefois la question de la durabilité des systèmes à base coton et celle
de la rentabilité à terme de la culture dès lors que la gestion de la fertilité deviendra
13 L’irrigation par pompage entraîne des coûts d’investissement, de fonctionnement et des charges
récurrentes élevés (pièces détachées, gas-oil) qui ont été démultipliés par la fin des subventions et l’impact
de la dévaluation du franc CFA (la majeure partie des consommations intermédiaires étant importée).
14 La Compagnie malienne de développement des textiles est détenue par l’Etat et la société française
DAGRIS (ex-CFDT) respectivement à 60% et 40%. Une ouverture du capital aux producteurs et aux
salariés a été décidée en 2001 et est en cours.
15 Les producteurs ne sont co-signataires que depuis 1993 suite à une grève des livraisons (octobre 1992)
lancée par le Syndicat des cotonniers et des vivriers (SYCOV créé en 1991).
15
impérative. Des signes d’intensification apparaissent néanmoins dans le vieux bassin
cotonnier (épandage de matière organique par les producteurs qui disposent d’animaux,
recours aux engrais chimiques, rotations culturales, aménagements anti-érosifs) ; mais les
possibilités d’extension des superficies, le rapport entre le prix des engrais et les gains de
production, l’existence de risques élevés (fluctuation des prix et aléas climatiques)
empêchent le développement de pratiques plus intensives, en particulier pour les
producteurs les moins bien dotés (absence d’animaux, trésorerie insuffisante).
Sur le développement du marché des céréales au Mali
Les céréales constituant la base de l’alimentation des populations tant rurales
qu’urbaines, « le marché céréalier a de tout temps été au centre des préoccupations en
matière de politique agricole » [Kébé et al. 1999]. La chronologie des politiques suivies
permet ainsi de distinguer : une première période caractérisée par un fort
interventionnisme de l’Etat sur l’ensemble des filières ; une seconde initiée avec le
Programme de restructuration du marché céréalier à compter de 1981, correspondant aux
réformes d’ajustement structurel et au début de la libéralisation.
Les filières céréalières sont complètement libéralisées depuis le début des années 1990
avec pour conséquence le développement de circuits de commercialisation en évolution
constante, impliquant de gros commerçants de la capitale, avec l'intervention d'opérateurs
de pays voisins favorisant une intégration régionale croissante et suscitant des initiatives
nombreuses pour adapter l'offre des produits à la demande.
Le bilan des réformes est, là aussi, contrasté. Alors que la production globale de céréales
a fortement augmenté - à un rythme d’environ 6,5 % par an entre 1984 et 1999 (Fig. 4)
le prix au producteur en termes nominal et réel montre une tendance globale à la baisse
[Staatz et al. 1999] et a induit un effet dépressif sur les revenus [Kébé et al. 2000]. Même
si les producteurs les plus pauvres privilégient l’autofourniture16, leur revenu dégagé des
ventes de céréales sèches a diminué, ce qui est contraire à l’objectif de croissance des
revenus des catégories les plus fragiles.
Cette tendance à la baisse des prix est liée à la conjonction d’une augmentation de l’offre
dans les meilleurs zones au cours des dernières années de la décennie 1990, en réponse à
une augmentation de la demande interne et sous-régionale (croissance démographique et
dévaluation du FCFA), et d’un risque climatique qui reste fort, à l’origine du paradoxe de
King bien connu : une évolution inverse des prix et des productions. Le phénomène est
renforcé par les imperfections de marché (absence de crédit adapté), les difficultés
d’anticipation des producteurs (incertitudes sur les débouchés) et l’asymétrie
d’information entre producteurs et commerçants, la faiblesse des marchés national et
régional, des évolutions climatiques (et des productions) souvent semblables dans les
pays de la zone soudano-sahélienne et, enfin, l’insuffisance des capacités de stockage, de
conservation et de transformation [Kébé et al. 2003a]. Le contexte s’avère donc peu
favorable à une intensification durable.
16 Les quantités de céréales sèches vendues par les producteurs restent faibles (10% à 25% de la
production).
16
Sur la différenciation des exploitations agricoles
D’une manière générale, ce sont les exploitations agricoles de grande taille qui sont les
gagnantes de la libéralisation17. Ces exploitations, constituées de plusieurs ménages (cf.
infra § 21), tirent principalement leur « richesse » d’une meilleure dotation en facteurs de
production (foncier, main-d’œuvre) mais aussi de la captation par le chef de famille d’un
nombre plus élevé de marges unitaires, qui restent globalement faibles18, offrant la
possibilité d’un recours plus accessible aux équipements et aux intrants (grâce à un
niveau de trésorerie plus important). Cette corrélation entre taille et résultats
économiques est attestée par les différences d’effectifs entre classes. Ainsi, en zone coton
(mais le phénomène est identique dans la zone ON), les exploitations « pauvres »
représentent 24% des effectifs pour une population qui ne représente que 15% de la
population totale ; alors que les exploitations « riches » correspondent à 23% des
exploitations mais 35% de la population19 (Tableau 1).
Si les performances des exploitations agricoles d'une même zone sont relativement
proches à l'unité de surface quel que soit le type, il est toutefois possible de noter les
phénomènes suivants. Dans la zone ON, les exploitations de petite taille obtiennent
relativement de meilleurs résultats. Ceux-ci ne proviennent pas cependant de niveaux
d'intensification significativement différents, mais plutôt d’un taux de mise en valeur
supérieur et d’une plus grande diversification avec des cultures ayant des marges brutes
plus élevées que le riz (maraîchage). En zone cotonnière, au contraire, les exploitations
pauvres ont une marge brute plus faible du fait d’une intensification moindre (recours à
l’engrais plus limité) et de surfaces cotonnières plus réduites, la priorité étant d’assurer
d’abord l’autosuffisance en céréales.
En ce qui concerne les marges brutes par personne, la libéralisation induit des différences
plus marquées. Dans les deux zones, les exploitations riches et intermédiaires dégagent
des marges brutes par personne nettement supérieures à celles des exploitations
pauvres, du fait notamment d’une plus forte productivité du travail liée à l’équipement.
L’écart est renforcé par l’importance du coton dans leur assolement (en zone cotonnière)
et par une disponibilité foncière supérieure en zone ON.
Plus précisement, en zone Office du Niger, l'intensification agricole a concerné tous ceux
qui ont un accès au foncier irrigué. Les plus pauvres demeurent les familles cantonnées à
la culture pluviale hors périmètre et qui n’ont accès qu’à la location occasionnelle de
parcelles irriguées. Le phénomène le plus marquant porte sur l'accroissement de la
proportion de petites exploitations [Bélières et al. 2002] qui s’explique par des surfaces
17 Ces conclusions s’appuient sur une étude menée en 2003 par l’IER pour le compte de la FAO et de la
Banque Mondiale [Kébé et al 2003b].
18 Globalement et quelle que soit la structure de l’exploitation, il y a relativement peu de différences entre
les marges unitaires par hectare.
19 Dans l’étude citée, la classification en trois grands groupes – riches, pauvres et intermédiaires – repose
sur une méthode d’enquête participative (ou à dire d’acteurs) conduite respectivement dans quatre villages
de la zone coton et de la zone ON et sur une enquête quantitative menée auprès de 80 exploitations
agricoles de chaque zone.
17
attribuées par l’Office plus faibles (dans les aménagements nouveaux ou réhabilités) et
par l’amplification du phénomène de segmentation des exploitations lié au mouvement
d’émancipation des dépendants20.
En zone cotonnière, la différenciation entre types d’exploitations est principalement
fonction de leur intégration au marché cotonnier. Les plus pauvres, qui font le moins de
coton, sont moins à même de profiter des effets d’aubaine (cours élevés) ; et leur
technicité plus faible se traduit par des marges brutes par hectare ou par personne plus
réduites du fait de rendements moins bons. Les dépenses de consommation par personne
étant proches quel que soit le type d'exploitation, le « disponible » au niveau du chef
d'exploitation est fortement contrasté en faveur des exploitations les plus grandes. A
l'inverse les exploitations pauvres, qui sont contraintes par leurs besoins en céréales, ne
parviennent qu'à peine à l'équilibre financier et tendent à diversifier leurs sources de
revenu (bûcheronnage, activités artisanales, cueillette, transformation de produits
agricoles, petit commerce, migrations saisonnière) pour répondre à leurs besoins de
consommation.
Cependant, l’évolution du contexte économique et social global tend à remettre
progressivement en cause les grandes exploitations basées sur la famille élargie sous le
double effet de la croissance démographique et des revendications des dépendants qui
cherchent à s’émanciper de la tutelle de l’aîné. L’éclatement ou la segmentation d’une
famille se traduit par une forte réduction de la capacité d’autofinancement du chef
d’exploitation et limite encore plus les moyens nécessaires à l’intensification.
Libéralisation et lutte contre la pauvreté
Le développement rapide de l’économie marchande a accentué la fragilité des petites
exploitations pauvres qui sont « acheteurs nets » de céréales : en période de mauvaise
récolte, les prix des céréales augmentent au profit des « vendeurs nets » et au détriment
des catégories les plus pauvres. Les « perdants » de la libéralisation sont bien
évidemment les petites exploitations qui sont peu dotées en facteurs de production mais
aussi les migrants les plus récents : en zone ON, les migrants arrivés dans les années
1980 sont, à quelques rares exceptions près, les plus mal lotis car ils n’ont pas accès au
foncier irrigué, sauf à la marge en passant par le marché foncier illégal ; en zone
cotonnière, ils sont installés dans les zones les moins fertiles.
La forte différenciation des situations locales révèle qu’il est difficile de raisonner les
mesures de politique de lutte contre la pauvreté à l’échelle nationale. En zone Office du
Niger, le goulot d’étranglement se situe au niveau de l’accès au foncier irrigué…. alors
qu’en zone cotonnière la lutte contre la pauvreté ne passe pas uniquement par des
mesures de régulation du prix du coton, mais aussi par des mesures concernant
l’amélioration des performances des systèmes de production (les pauvres cultivent
majoritairement des zones moins favorables), des systèmes de crédit adaptés (avec des
20 Ce phénomène d’émancipation des cadets – cf. infra – survient principalement lors des successions mais
aussi à l’occasion de la contestation de la gestion des revenus par le chef d’exploitation.
18
systèmes de garantie et des taux réalistes) permettant le renforcement des activités
agricoles et non agricoles.
Plus généralement, les observations sur les systèmes de redistribution hors marché
(solidarité au sein des organisations paysannes, dons et échanges non monétaires entre
exploitations agricoles et entre ménages ruraux et urbains), encore trop mal connus et
souvent ignorés dans les enquêtes, offrent des clés de compréhension sur les dynamiques
en cours et les modalités d’adaptation des exploitations aux changements du contexte
économique. Elles indiquent aussi des pistes de réflexion qui pourraient permettre de
mieux mobiliser les réseaux d’acteurs existants pour proposer des politiques innovantes
de lutte contre la pauvreté [Kébé et al. 2003a].
19
2 - A la recherche d’une méthodologie opérationnelle
Le caractère mitigé ou ambigu des résultats de la libéralisation dans le contexte ouest-
africain et ses impacts contrastés sur les différentes catégories d’agents économiques
impliquent de chercher à améliorer la connaissance des situations concrètes et leur
représentation. Cette préoccupation n’est pas nouvelle : mieux connaître pour mieux
mesurer la richesse fait partie intrinsèque des objectifs génériques des gouvernements
[Fourquet 1980] ; et, dans cette perspective, l’agriculture a un statut privilégié puisque
par ses rôles dans l’alimentation, la mise en valeur des ressources, l’occupation des
territoires et le développement des marchés, elle est historiquement « une affaire d’État »
[Coulomb et al. 1990]. Mieux connaître pour mieux comprendre et anticiper les
comportements des agents économiques est aussi à la base de la formulation des
politiques publiques ; et l’Afrique de l’Ouest n’a pas été en reste de recherches et
d’études sur financement public destinées à analyser et représenter les réalités rurales. A
la logique d’inventaire qui avait caractérisé la période coloniale et la première décennie
des indépendances, a succédé une logique d’évaluation des projets de développement, qui
correspondait aux interrogations sur l’impact réél des interventions publiques des années
1960 et 197021. Puis, après une décennie 1980 surtout consacrée à la gestion immédiate
de la crise macro-économique et à la mise en place des politiques d’ajustement, sont
apparus les premiers travaux d’analyse d’impact des réformes et en particulier de
l’impact sur la pauvreté.
Les débats sur les modalités d’analyse et de représentation des réalités rurales sont donc
anciens et il est important d’intégrer ce pas de temps et les leçons de l’expérience acquise
dans la réflexion d’aujourd'hui, aussi bien en regard des méthodes que de l’élaboration
des politiques.
21. Comment analyser et représenter les réalités rurales
Remarques générales
Quelles postures théoriques et méthodologiques
Analyse et représentation sont deux temps d’un même processus. De la plus ou moins
grande finesse de l’analyse dépendra la capacité à représenter le réel au plus près mais, à
l’inverse, toute représentation de la réalité (et tout modèle au sens large, y compris les
modèles non formalisés au plan mathématique) comprend une nécessaire réduction de la
complexité des phénomènes observés. C’est bien de la tension en termes d’équilibre et de
21 Cette période a été à l’origine d’une abondante production méthodologique et de débats animés,
aujourd'hui oubliés, notamment entre la méthode dite des effets et celle des prix de référence, voir Chervel
[1995].
20
cohérence entre ces deux exigences que dépend la qualité des analyses, sachant que
l’analyse des réalités rurales n’a de sens que par rapport à la question posée. Celle-ci va
déterminer ce que l’on observe et avec quelle perspective ; et la question du présent
Forum, qui est d’élaborer des politiques agricoles favorables aux pauvres, implique de
s’intéresser aux impacts des réformes afin de mieux les ajuster à l’objectif de réduction
de la pauvreté.
La gamme des objets et des variables à observer est donc large, puisqu’elle comprend le
ménage agricole mais aussi les marchés des produits et services, ainsi que
l’environnement économique, social, institutionnel et politique plus large, qui va jouer un
rôle déterminant aussi bien dans les réactions aux changements que dans leurs
anticipations. Cette palette d’observations requises pour évaluer les impacts et les
comprendre, afin de mieux définir les corrections nécessaires, renvoie ainsi à un champ
d’analyse complexe qui doit combiner des pas de temps et des niveaux d’échelle
emboîtés.
A ce stade se pose la question du référentiel et de la démarche qui renvoie à des options
théoriques ou paradigmatiques liées à des définitions différentes du champ de
l’économie. En référence à l’état de l’art proposé par Colin et Crawford [2000], il est
possible de distinguer deux approches principales :
- une première approche marquée par les postulats du paradigme néoclassique
avec une définition circonscrite et normative du champ, à savoir l’allocation
optimale des ressources, le choix rationnel de l’agent en référence à un objectif de
maximisation : cette approche a largement marqué la composante économique des
farming systems research ou fonde l’agricultural household economics, y compris
dans ses versions sophistiquées et élargies ;
- une seconde approche basée au contraire sur une acception large et une
conception substantive de l’économie qui délaisse le seul modèle du choix
rationnel au profit d’une prise en compte des rapports sociaux, des institutions et
d’une perspective historique de la répartition des droits et des ressources : cette
approche est représentative des recherches conduites en Afrique, en particulier par
les économistes ruraux de « l’école française » dans les années 1960 à 1980
[Colin et Losch 1994], caractérisées par l’importance des travaux empiriques de
terrain, la démarche inductive et le choix de l’interactionnisme méthodologique.
Le nouveau contexte des politiques économiques, marqué par la volonté de disposer
rapidement d’analyses ad hoc pour élaborer des choix en référence à des situations
d’urgence liées à la crise, ainsi que les avantages évidents offerts par des hypothèses
simplifiées en termes de modélisation, ont bien sûr conduit à retenir de façon dominante
la première approche depuis les années 1980. Pour autant, le besoin d’une analyse
compréhensive et approfondie des situations rurales n’en reste pas moins patent, d’autant
plus que les situations africaines se distinguent à la fois par quelques traits particuliers,
qui sont liés aux caractéristiques sociales et aux trajectoires historiques des sociétés
locales, et par la rapidité des changements en cours :
21
- le poids du non marchand et du non monétaire reste important : il ne s’agit pas
d’une originalité africaine car le non marchand joue fortement dans les stratégies
des acteurs dans toutes les économies en développement22 ; néanmoins en
Afrique, et avec des différences selon les zones, les marchés des facteurs et des
produits peuvent être inexistants ou partiels laissant la place à d’autres modes
d’accès et de distribution ;
- l’existence de niveaux de structuration sociale emboîtés (lignages, castes, classes
d’âge, etc.) encore très pregnants se traduit par la multiplication des niveaux de
décision au sein des exploitations agricoles familiales, ce qui limite souvent la
pertinence d’une représentation basée sur un décideur unique, « chef »
d’exploitation ou d’unité de production ;
- l’accélération dans la circulation des idées, des hommes et des revenus (au
travers des migrations et de la densité des relations villes-campagnes) bouscule à
la fois les référentiels des agents (par la confrontation des « logiques » et des
échelles de valeur entre le « local » et « l’extérieur »), l’organisation sociale
(contestation des rapports d’autorité), mais aussi les modalités de fonctionnement
des différents types d’unités de production familiales de plus en plus marquées par
la multipolarité et la diversification des revenus.
Ces besoins d’une analyse fine renforcent la tension avec les exigences de simplification
de la représentation ; mais il nous semble que c’est justement le maintien de cette tension
et la prise en compte des besoins réciproques de chaque perspective – plutôt que le choix
restrictif d’une option – qui peut être fécond et qui est aussi nécessaire pour « coller » au
mieux aux réalités concrètes.
Les difficultés particulières liées à l’analyse du changement
Les difficultés de l’analyse des réalités rurales sont renforcées par celles liées à l’objectif
de la mesure d’impact des politiques mises en œuvre. Il s’agit là d’un problème classique
mais réel qui découle de l’enchâssement des phénomènes en relation avec des pas de
temps et des échelles géographiques différentes. Ainsi, les économies rurales des pays
d’Afrique de l’Ouest sont inscrites dans deux mouvements : l'un historique, marqué par la
« transition » d'une économie majoritairement domestique à une économie de marché ;
l'autre plus récent et plus rapide, caractérisé par le passage d'une économie administrée à
une économie libéralisée dans le contexte d’une insertion accrue dans la concurrence
internationale [Griffon et al. 2001]. Les effets des mesures de la libéralisation sur les
producteurs ruraux se combinent donc à ceux de la monétarisation croissante des
échanges et à l’évolution de l'organisation sociale et politique. Cette imbrication rend
difficile l’isolement d’une seule composante du changement d’autant plus que l’ensemble
des phénomènes interagissent.
22 L’univers du non marchand tend également à être sous-estimé dans les pays industrialisés. C’est
notamment le cas des valeurs liées au patrimoine. Cf. Barthélemy [2000].
22
Les difficultés particulières liées aux informations disponibles
L’analyse des réalités rurales et des changements à l’œuvre bute enfin sur un problème
d’envergure et croissant : la dégradation dramatique des systèmes d’information
statistiques des États africains. L’Afrique de l’Ouest ne fait pas exception [Toulmin et
Guèye 2003]. Cette situation a plusieurs causes : la faillite des systèmes statistiques
publics, conséquence de la crise des administrations et des ajustements budgétaires ; la
fin des projets de développement, qui assuraient une fonction de « mesure » et
d’évaluation particulièrement utile pour représenter différents types de situation rurale ;
la fin des enquêtes ad hoc en milieu rural en raison des impératifs budgétaires mais aussi
des choix méthodologiques des bailleurs de fonds (cf. supra).
L’état actuel des systèmes statistiques en Afrique de l’Ouest laisse apparaître de larges
lacunes qui rendent impossible tout raisonnement qui se voudrait argumenté sur une base
statistique structurée et fiable sur la durée, ce qui n’empêche pas l’abondance d’études
dont certaines ont « une base empirique douteuse » [Naudet 2000]. Ce constat renforce
les problèmes liés au choix de la situation de référence auquel les analyses d’impact sont
particulièrement sensibles. Dans de nombreux pays la plupart des informations sur le
secteur rural sont obsolètes ou partielles ; or les enquêtes de structure sont indispensables
pour bien entendu caractériser la population, mais aussi pour servir de base de sondage à
l’ensemble des enquêtes sectorielles ou thématiques : enquêtes de niveau de vie ou de
mesure de la pauvreté, enquêtes de production ou de revenus. Au problème de la
disponibilité de l’information s’ajoute celui de la qualité des données qui a pâti de la
réduction drastique des moyens disponibles, y compris pour les dispositifs d’information
ad hoc qui avaient été mis en place dans les années 1980 comme les systèmes de
prévision des récoltes céréalières dans les pays sahéliens.
Globalement, on ne peut que constater la faiblesse de l’investissement intellectuel et donc
de l’innovation méthodologique pour essayer de faire face à cette situation [Baris et al.
2002]. Or le besoin actuel d’appréciation des effets des politiques est majeur. Il implique
aujourd'hui de mettre en place au cas par cas des dispositifs d’observation et de mesure
mais qui manquent cruellement de références pour caler les résultats.
Les niveaux et les catégories d’observation nécessaires
L’analyse de l’impact des réformes sur les ménages les plus pauvres implique de
mobliser plusieurs niveaux et plusieurs champs : le ménage agricole ou plutôt le ménage
rural du fait de la pluriactivité ; le ménage dans son contexte économique et social en
termes d’accès aux ressources ; les marchés dans lesquels il s’insère, leurs configurations
avec leurs organisations et leurs coûts de transaction ; enfin l’environnement
économique, politique et institutionnel plus global, expression de l’histoire et de
l’articulation entre le national et l’international. L’information requise correspond donc à
un large spectre et chaque élément est susceptible de faire l’objet d’analyses
approfondies.
23
Si on retient l’exemple des ménages, qui sont au cœur des travaux sur la pauvreté, le
contexte socio-économique africain révèle une forte complexité et pose la question des
catégories analytiques pertinentes pour l’analyse. Le recours à des catégories importées
en référence au modèle dominant de l’économie agricole a été questionné depuis
longtemps dans le champ des études africanistes. Les nombreux travaux de recherches
conduits sur les sociétés rurales ont signalé l’importance des enchâssements entre
l’organisation sociale et les modalités des activités économiques. Ainsi, les analyses sur
le repérage des unités de base ont permis de distinguer une grande variété de contours et
de combinaisons entre les unités budgétaires, de production, de consommation, de
résidence, dans un cadre familial à géométrie variable allant de la famille nucléaire au
lignager. En Afrique sahélienne par exemple (cf. le cas malien), une unité de résidence
peut comporter plusieurs unités familiales de production basées sur des ménages
agricoles nucléaires (comprenant souvent plusieurs femmes) ayant une autonomie
partielle et contribuant pour partie de leur temps de travail au fonctionnent de l’unité de
production élargie, qui correspond à une unité budgétaire différente de celle du ménage,
gérée de manière centralisée par le chef de famille ou de lignage. Au sein des ménages
agricoles nucléaires peut également s’opérer une distinction similaire entre les femmes,
gérant parfois certaines parcelles de manière individuelle, et l’unité budgétaire commune
du ménage.
La finesse de ces analyses, qui sont souvent le fait de monographies, se révèle
particulièrement utile pour la compréhension des situations locales et la dynamique des
systèmes agraires. Elle est à la fois nécessaire et complémentaire des analyses de
structure qui permettent d’identifier les dotations en facteurs de production et facilite
l’élaboration de zonages et de typologies qui constituent un premier niveau de
représentation des réalités rurales.
Les représentations synthétiques
La grande diversité des informations potentielles sur la complexité locale et leur
variabilité régionale impose néanmoins de procéder à des représentations synthétiques, à
la fois des différents types « d’unités » de production et de la configuration de
l’organisation économique. Dans cette perspective, les matrices de comptabilité sociale et
les modèles de comportement dynamiques constituent des outils intéressants et
complémentaires.
Le recours aux matrices de comptabilité sociale (MCS)
Sans entrer dans la présentation des MCS qui sont des outils connus23, il convient de
rappeler qu’elles sont des modèles descriptifs synthétisant les transactions majeures en
termes de production, redistribution et consommation dans un système interdépendant,
fermé et cohérent [Thorbecke 1985].
Les MCS permettent : (i) la constitution d’une base statistique mettant en évidence les
manques et insuffisances d’information ; (ii) l’organisation de l’information disponible,
23 Voir notamment Pyatt et Round [1985] ou Sadoulet et de Janvry [1995].
24
pour une année donnée, sur la structure économique et sociale d’une unité territoriale
(généralement pays mais aussi région ou village) ; (iii) une représentation du
fonctionnement de l’économie en cohérence en raison du principe de construction de la
matrice avec, pour chaque compte, un total des recettes identique au total des dépenses.
Une des qualités importante de la MCS est que le niveau de désagrégation des comptes
peut être plus ou moins important selon la problématique étudiée. Il est par exemple
possible de désagréger profondément (pourvu que les données soient disponibles) les
comptes des agents et des institutions pour représenter au mieux la réalité des flux en
utilisant une typologie spécifique pour les exploitations agricoles mais aussi en faisant
apparaître les organisations de producteurs et les collectivités locales. Il est également
possible de décomposer les activités productives par culture, par type de troupeau, etc. et,
pour certaines cultures, de décomposer selon le niveau d’intensification ou selon les types
d’aménagement hydro-agricoles. La MCS permet également de représenter les flux non
marchands et donc d’intégrer une réalité économique et sociale généralement sous-
estimée.
Elle permet enfin d’apprécier la répartition de la valeur ajoutée des différentes activités
entre les différents agents et institutions et sa redistribution à travers la consommation.
Elle est ainsi particulièrement utile pour repérer la « physionomie » de l’économie locale.
La MCS présente cependant de nombreuses limites [Bélières et Touré 1999]. Sur un plan
opérationnel, la matrice de comptabilité sociale ne garantit la cohérence que pour les
informations qu’elle intègre (ce qui est aussi son principal intérêt). Toutefois, la masse de
données à brasser est volumineuse et les redressements à effectuer très nombreux. Ainsi
l’exigence de construction de la MCS qui constitue sa qualité intrinsèque est également
une de ses contraintes majeures.
Les modèles de comportement dynamiques avec prise en compte de l’incertitude
Les MCS en offrant une photographie de l’ensemble des relations entre agents (y compris
le non marchand) avec une représentation des flux et de la répartiton de la valeur
proposent une analyse cohérente de l’économie qui permet de mettre en lumière les faits
stylisés et de raisonner la construction de modèles.
Cette meilleure vision des réalités économiques est d’autant plus nécessaire que la
diversité des conditions de production et les biais de l’agrégation en présence
d’hétérogénéïté [Just et Pope 1999] préconisent une analyse désagrégée au niveau des
ménages qui seule permet de représenter la diversité des opportunités et contraintes qui
président aux processus de décision, en particulier les imperfections de marchés. Une
telle approche peut permettre de représenter les trajectoires d’évolution des exploitations
ainsi que les déterminants des décisions. Elle facilite l’identification des politiques
incitatives ciblées sur un groupe particulier de producteurs, les plus pauvres par exemple.
Il apparaît cependant essentiel de prendre en compte le risque et la contrainte de liquidité
(simultanément aux autres contraintes de production) qui découlent directement de
25
l’incomplétude des marchés (assurance, périodes futures, crédit). Comme le souligne
Anderson [2003], l’importance du phénomène est attestée par des stratégies de gestion
des risques comme l’épargne sur pied constituée par les animaux, le recours à la
diversification des revenus et aux activités extra-agricoles ou encore la participation à des
échanges non marchands (dons, contre-dons)24.
En effet, alors que le risque est rarement pris en compte dans les modèles censés éclairer
la décision publique, ses impacts négatifs sur le développement du secteur agricole sont
pourtant bien connus : les erreurs d’anticipation engendrent une production non
efficiente ; la nécesité de se prémunir contre le risque pousse les agents à conserver une
épargne de précaution qui implique des investissements et une production plus faibles,
pour des prix plus élevés car ils comprennent une prime de risque. Le risque, du fait de
volume produits inférieurs, a un impact négatif sur la sécurité alimentaire et/ou sur le
niveau des recettes d’exportation.
Parallèlement, il est important que les modèles soient dynamiques, car l’impact du risque
et de la contrainte de liquidité ne sont pas seulement à court terme. Au contraire, il est
important de considérer la corrélation des risques dans le temps. Pour des raisons de
simplicité et aussi du fait de la forte préférence pour le présent caractéristique des
agricultures pauvres une dynamique récursive, où les résultats de chaque période forment
le point de départ de la période suivante, permet de relier les années entre elles.
L’investissement sera ainsi, en l’absence de crédit, le résultat de plusieurs années
d’épargne, et une mauvaise année se traduira par peu de trésorerie pour la période
suivante, voire par des « ventes de détresse » d’une partie de l’équipement, qui aura alors
des conséquences durables sur l’exploitation. Chaque année peut être représentée par une
optimisation statique basée sur des anticipations de prix où le calendrier des cultures et
les contraintes techniques sont respectés. Des opportunités de travail non agricoles sont
incluses dans les activités possibles. A la fin de chaque période, le calcul des prix réels25
permet de présenter les résultats de l’exploitation, le niveau de consommation et
d’épargne. Une telle approche a l’avantage de réintroduire « l’histoire » dans la
modèlisation des ménages agricoles selon les principes de la nouvelle économie du
développement [Stiglitz 1998].
Le recours à la programmation mathématique permet de représenter très simplement et
explicitement l’ensemble des opportunités et contraintes auxquelles le ménage rural est
confronté. L’utilisation de la simulation dynamique offre une possibilité simple de
validation sur les années passées. Ce dispositif permet ensuite de tester des innovations -
et d’analyser les raisons de leur (non) adoption -, des variations de prix internationaux,
etc. et d’obtenir une analyse sur les variables-clés au niveau des ménages (consommation,
revenus, investissement) puis, après agrégation, sur la production régionale, le commerce
24 Ces éléments peuvent être représentés dans les modèles à travers des paramètres comme la propension à
épargner.
25 Soit tirés au hasard autour d’un prix international exogène, soit résultat de l’agrégation des offres des
différents producteurs face à une courbe de demande.
26
Encadré 3 :
La nécessaire prise en compte du risque
L’exemple du modèle MATA
MATA (Multilevel Analysis Tool for Agriculture) représente une série de modèles d’impact dont
l’originalité repose sur la place donnée aux comportements micro-économiques des acteurs du secteur
(agriculteurs, transformateurs et consommateurs) tout en offrant, à la suite de processus d’agrégation
successifs, un ordre de grandeur de l’impact au niveau national. Pour les aspects méthodologiques, voir
Gérard et al. [1994]. Les exploitations agricoles sont les cellules de base du module « production
agricole » ; leurs comportements individuels sont additionnés et confrontés sur des marchés à des échelles
différentes, marché du travail et de la terre au niveau du village et marchés des produits au niveau régional
ou national.
L’analyse est basée sur une sélection des grands types d’exploitations agricoles et leur représentation par
des modèles de programmation mathématique non linéaire. Chaque exploitation est représentée par un
processus de décisions face à l’ensemble des activités économiques envisageables sous la forme d’une
optimisation sous contraintes. Pour la prise en compte du risque dans le processus de décision, le choix
s’est porté sur un modèle espérance-variance [Markovitz 1959], modifié pour faire varier l’aversion pour le
risque en fonction de la richesse du décideur.
(1) Max U (WF) = E (WF) - ½Avers σ²WF
E(WF) représente la richesse espérée pour l’exploitation F et
σ
²WF le risque anticipé associé. Avers représente le
coefficient d’aversion pour le risque.
(2) WF = Σa AF,a * E(Pa)
avec AF,a représentant le niveau de chaque actif “a” appartenant à l’exploitation F et E(Pa) le prix anticipé
correspondant. Les actifs considérés sont la terre, l’équipement, les animaux, les liquidités et l’épargne.
Le risque associé à la richesse dépend du portefeuille d’activité et des actifs détenus :
(3) σ²WF = Σa (σa*E(Pa)* AF,a)² + Σact (σact * E(P act)*Y act
avec act représentant toutes les activités économiques possibles sur l’exploitation et à l’extérieur, E(P) le prix anticipé
et
σ
le risque anticipé associé à l’activité.
Les contraintes usuelles sont considérées au niveau des exploitations agricoles. Elles concernent les données
agronomiques, la dotation en facteurs (terre, travail, capital), la situation économique de l'exploitation (flux de
trésorerie, épargne, investissement).
Ainsi l’utilisation de la terre pour chaque culture J(ALJ) est soumise à sa disponibilité, définie par la somme de la terre
possédée (Laown), achetée (Lp) et louée (Lrin) auquel on soustrait la terre vendue(Ls) ou louée pour une utilisation
extérieure (Lrout) (le même type d’équation contraint l’allocation du travail, familial et salarié, le recours à la traction
animale et aux machines) :
(4) ΣJ ALJ Laown + Lp - Ls + Lrin - Lrout
Les prix des inputs et des facteurs, les possibilités d’accès au marché du crédit, le niveau des taux d’intérêt et des
salaires, les opportunités d'emplois hors de l'agriculture et la croissance démographique sont exogènes. S’il n’existe pas
de pénurie sur le marché des inputs, leur utilisation est contrainte par la trésorerie. Ainsi à chaque période, les dépenses
(coûts de production, Cact, consommation, Cons, acquisition de biens d’épargne et d’investissement, Inv) doivent être
couvertes soit par les liquidités issues des périodes précédentes (Pcash), soit par les gains actuels (Earnact), soit par le
recours à l’emprunt(B) :
(5) Σact Cact + Cons + Inv + Sav = Σact Earnact + Pcash + B + Tcash
La consommation est définie par un montant incompressible auquel s’ajoute une partie du bénéfice anticipé en fonction
d’une propension à consommer. L’investissement et l’épargne sont négatifs lorsqu’une décapitalisation est nécessaire.
Dans cette équation, qui représente les entrées et sorties de la « caisse » de l’exploitant, on s’attache à prendre en
compte précisément les décalages dans le temps entre décaissements et recettes et les choix reposent sur la richesse
anticipée en fin d’année.
Ainsi beaucoup d'attention est portée dans cette représentation de l'activité agricole à l’hétérogénéité des
conditions de production, tant d'un point de vue agronomique qu'économique, aux imperfections des
marchés réels auxquelles sont confrontés les producteurs, ainsi qu’à leurs réactions aux risques. Les
solutions obtenues sont ainsi différentes de celles d'un modèle d'équilibre partiel classique.
27
extérieur. Le modèle MATA, qui a été utilisé en Indonésie, offre une bonne illustration
de ce type d’approche (cf. encadré 3). Il a permis de montrer la diversité des impacts de la
libéralisation en fonction des groupes de producteurs et son caractère particulièrement
négatif sur le revenu des producteurs les plus pauvres qui sont les plus sensibles au risque
[Gérard et al. 1999].
Croiser les approches
L’intérêt d’élaborer des représentations synthétiques ne fait aucun doute et le besoin
d’articuler les différentes bases d’information est évident, qu’il s’agisse d’approches
ascendantes ou descendantes. En revanche, vouloir tout englober dans un modèle intégré
apparaît peu pertinent.
Sur le plan technique, un tel objectif conduirait à élaborer un outil gigantesque dont le
nombre de variables rendrait les vérifications interminables et l’analyse des résultats
presque impossible. En dépit des immenses progrès réalisés depuis les trente dernières
années, le temps de résolution serait extrêmement long. Il paraît ainsi plus raisonnable de
disposer d’outils plus ou moins détaillés, selon leur échelle d’analyse, et d’organiser en
fonction des besoins des alimentations croisées.
Plus globalement, les représentations synthétiques ne doivent pas oublier le caractère
réducteur d’une réalité complexe, ce qui implique de confronter avec régularité les
hypothèses et les résultats avec des approches compréhensives et détaillées, mais aussi de
favoriser les regards croisés entre les différentes disciplines des sciences sociales. Cette
option apparaît nécessaire pour maintenir la tension entre les exigences de l’analyse et de
la représentation et fournit une opportunité de confrontation des méthodes, des
perspectives et des postures de recherche.
22. Comment élaborer les politiques
La mise en œuvre d’analyses désagrégées, le (ré)investissement dans des études
compréhensives du milieu rural africain, le croisement des approches pour améliorer les
représentations ne doivent cependant pas répondre au seul besoin de mesurer les impacts
pour améliorer en retour les politiques économiques existantes et les mesures en faveur
des plus pauvres. Ces efforts de connaissance et de méthode doivent - aussi et surtout -
servir à élaborer les politiques elles-mêmes ; car la qualité du processus d’élaboration
apparaît comme une condition de l’efficacité des réformes.
Les politiques, un autre bien public
L’une des critiques internes les plus vigoureuses des politiques d’ajustement et de
libéralisation qui ont été instaurées sous l’impulsion des bailleurs de fonds internationaux
porte sur l’absence d’appropriation des réformes par les acteurs locaux [Stiglitz 2002]. En
effet, les mesures proposées ont d’abord correspondu à une conception standard ou à un
28
« prêt-à-porter » souvent inadapté à des contextes qui nécessitaient du « sur mesure » ;
car les situations locales ne sont généralement pas réductibles à un modèle commun. Il
existe certes des principes de bonne gestion, le besoin de respecter certains équilibres
macro-économiques en fonction d’une appréciation réaliste des contextes ; mais les
orientations stratégiques doivent s’appuyer sur les particularités de chaque trajectoire
nationale et sur l’appréciation des marges de manœuvre liées aux ressources locales (dans
leur acception large) et aux conditions de l’insertion internationale (cf. § 11).
Si l’une des réponses aux difficultés de la libéralisation est bien de corriger les
défaillances et imperfections de marché par une meilleure provision en biens publics, il
apparaît ici qu’il ne faut pas se laisser enfermer dans une acception qui serait trop
restrictive. En économie la catégorie des biens publics fait l’objet d’une reconnaissance
unanime autour de quelques principes incontestés : exclusion impossible, usage collectif
ou conjoint, absence de perte d’utilité globale liée à la consommation individuelle. En
revanche, la désignation des biens entrant dans cette catégorie est beaucoup plus
imprécise. Un certain consensus s’est imposé autour de biens comme la sécurité et la
défense, la justice, la santé, l’éducation et la formation en général, certaines catégories
d’infrastructures - surtout lorsqu’elles se combinent avec l’existence de monopoles
naturels ; mais il existe désormais aussi une discussion sur la prise en compte, dans cette
catégorie, des politiques publiques ou, plus globalement, des stratégies de
développement.
Cette réhabilitation des politiques publiques ne doit pas être équivoque26. Il ne s’agit bien
sûr en aucun cas de faire un plaidoyer pour des politiques étatistes, qui sont condamnées
par leurs limites et leurs dérives mais aussi par les nouvelles règles internationales, mais
plutôt d’insister sur l’importance des processus d’élaboration des choix qui, pour être
efficaces et durables, doivent permettre la participation des acteurs concernés. C’est ce
que reconnaît Wolfensohn27 ; et Stiglitz ne dit pas autre chose lorsqu’il débat du
« freedom to choose » [2002 : 53-88]. Mais il est encore plus explicite lorsqu’il attribue
justement aux stratégies de développement le statut de bien public28. Cette perspective
réhabilite bien sûr le rôle d’interface et d’accompagnement des États qui, comme pour la
promotion des autres biens publics, doivent disposer des compétences ad hoc.
En revanche, si un consensus semble émerger sur ces grands principes, il convient
cependant de le traduire dans les pratiques et il apparaît que, sur ce point, des progès sont
encore à accomplir. L’analyse des stratégies nationales de lutte contre la pauvreté – qui
ne sont pas sans lien avec les objectifs du Forum - initiées dans le cadre des programmes
PPTE (Pays pauvres très endettés) révèle en effet un écart important entre les objectifs
affichés et le contenu réel des processus de concertation.
26 Sur le rôle et l’intérêt d’un appui aux politiques publiques, voir les travaux du réseau Impact (Réseau
d’appui aux politiques publiques de réduction de la pauvreté et des inégalités) qui bénéficie du soutien du
ministère français des Affaires étrangères, cf. Winter [2001], Levy [2003].
27
N’oublions jamais que c’est aux pays et à leurs populations d’établir leurs priorités et n’oublions
jamais que nous ne pouvons, ni ne devons, forcer le développement à coup de diktats venus de l’étranger
[Wolfensohn 1998].
28 Discours à la CNUCED de 1998 repris in Stiglitz [2000].
29
L’élaboration des DSRP (Documents stratégiques de réduction de la pauvreté), qui est au
cœur du dispositif, va évidemment dans le bon sens dans son principe puisqu’elle permet
d’enclencher bien souvent ou de réinitier un débat local29. Cependant les observations
conduites sur plusieurs cas nationaux révèlent de nombreux obstacles à la participation
effective des différentes catégories d’acteurs, ce qui nuit à l’appropriation réelle de la
démarche puis des objectifs [Campbell et Losch 2002]. Le principal problème constaté
est celui des délais, généralement beaucoup trop courts (souvent quelques mois), qui
s’explique par le souci partagé d’aller vite, tant de la part des bailleurs de fonds que des
gouvernements, les premiers en raison de leurs objectifs de résultats, les seconds en
raison de l’urgence des réductions de dette (puisque les DSRP sont devenus une des
conditions pour y accéder)30. Mais il s’agit aussi du déficit ou de la qualité insuffisante de
l’information fournie, information parfois en anglais (y compris en pays non
anglophones) ou avec des traductions approximatives. Enfin, il existe un biais plus
fondamental qui découle de l’objectif même de la concertation, puisque celui-ci est
prédéfini. En focalisant la démarche sur la pauvreté, le processus des DSRP prédétermine
logiquement le champ de la discussion et de la négociation, alors que la pauvreté devrait
être l’un des thèmes – certes central – d’une réflexion plus générale sur les stratégies de
développement.
Accompagner les processus
L’intérêt des politiques publiques considérées non pas uniquement comme un résultat
mais aussi et surtout comme un processus provient du fait qu’elles reposent sur plusieurs
étapes structurantes, en particulier celles du diagnostic et de la négociation, qui sont
centrales tant pour la définition que pour la participation à la définition des choix.
Le diagnostic
Or l’étape du diagnostic nous ramène justement à l’importance des analyses et des
représentations sur les réalités rurales. Il y a besoin aujourd'hui non seulement d’analyses
pour mesurer les impacts mais aussi pour identifier ce que sont les marges de manœuvre
réelles des campagnes africaines dans la mondialisation. Cet impératif implique aussi
bien des approches de type désagrégé que de type global, des approches centrées sur les
comportements d’agents et d’autres sur l’évolution des rapports sociaux, qui devront
ensuite être croisées pour alimenter le mieux possible la réflexion et le processus
d’élaboration des politiques.
Ces constats débouchent sur la nécessaire réhabilitation de systèmes statistiques dont on a
vu que l’absence constituait un handicap majeur31, sur un besoin de réinvestissement dans
des études transversales sur l’évolution des formes de la ruralité africaine et sur la
29 C’est notamment le cas du Mali qui nous a servi d’illustration. Cf. Dante et al. [2002].
30 L’élaboration des DSRP-I (I pour intérimaires) pour essayer de lutter contre cette tendance a entraîné un
effet pervers puisque les orientations des DSRP-I conditionnent fortement celles des DSRP finaux.
31 Ce “défi statistique” est à l’origine de la création de l’initiative Paris21 (Partenariat statistique au service
du développement à l’aube du XXIème siècle) hébergée par l’OCDE.
30
constitution de dispositifs d’observation pérennisés portant sur des situations-types
représentatives. Un tel objectif implique des moyens financiers et humains spécifiques, à
la hauteur de l’enjeu, mais doit aussi comprendre la participation de représentants des
ruraux à l’analyse (qu’il s’agisse d’organisations à caractère territorial ou professionnel),
à la fois en tant que composante de l’expertise globale et étape dans le processus
d’élaboration des politiques.
La négociation
La négociation est la pierre angulaire du processus de définition des politiques publiques
puisque c’est de cette étape que dépend l’élaboration des compromis institutionnalisés32
qui expriment l’accord sur des principes et des objectifs entre des acteurs ayant le plus
souvent des intérêts divergents ou contradictoires. Ces compromis sont donc
« fondateurs » puisqu’ils correspondent à une analyse partagée – un référentiel commun –
à l’origine des choix de stratégies et de leurs contenus en termes de politiques publiques.
Ils permettent de garantir l’esprit et les objectifs des réformes qui sont ainsi appropriées
par les acteurs locaux.
L’étape de la négociation implique évidemment des préalables de taille puisqu’il faut
d’abord que les conditions de la concertation existent – la qualité du débat public et des
institutions est essentielle – mais aussi que la négociation soit effective, ce qui renvoie au
problème central de l’asymétrie entre acteurs. En effet, le désengagement des États et les
politiques de libéralisation se sont accompagnées d’une promotion des dispositifs de
concertation qui ont vu la participation croissante et rapide des représentants du monde
rural ou des organisations professionnelles aux « tours de table », à côté de ceux du
secteur privé, des banques, des agences d’aide. Cette évolution positive est une étape ;
mais elle ne résoud cependant pas le gap existant entre les capacités d’analyse, de
propositions et de négociation des différents protagonistes : quelles possibilités de
dialogue efffectif entre le bailleur de fonds, le représentant d’une firme internationale,
celui de l’État et celui d’une organisation professionnelle souvent jeune et sans moyens
réels de définition de sa stratégie ?
Pour que les compromis soient effectifs il existe donc un besoin éminent de renforcement
des capacités des acteurs locaux. Ce renforcement passe par de l’information sur les
marges de manœuvre disponibles (ce qui renvoie au diagnostic) et par des formations
adaptées aux objectifs d’élaboration des choix et aux méthodes de négociation. Mais,
parallèlement, il apparaît également impératif d’améliorer la vision des autres acteurs –
en particulier les responsables de l’État et des bailleurs de fonds – sur les réalités d’un
monde rural dont les caractéristiques ont profondément changé.
32 Pour les spécialistes des politiques publiques, la notion de compromis institutionnalisé correspond à un
« armistice économique et social » entre agents ayant des intérêts différents. Elle s’appuie sur un référentiel
commun qui exprime un accord sur les défis et les moyens envisageables pour y répondre. Cf. par exemple
Muller [1995].
31
**
***
**
Le processus de libéralisation des économies africaines dans un contexte marqué par
l’instabilité et l’incomplétude des marchés révèle des résultats mitigés et différenciés vis-
à-vis des différentes catégories de ménages. Dans cette situation, les ménages les plus
pauvres ne disposent pas des moyens nécessaires à la gestion des risques auxquels ils sont
confrontés. Cet impact différencié milite pour une amélioration des connaissances des
situations agricoles et de leur représentation afin de préciser les facteurs de blocage et les
inputs nécessaires à apporter en termes de politiques d’accompagnement et de réponse
aux défaillances et incomplétudes des marchés.
Plusieurs conclusions méritent d’être mises en avant.
Dans le contexte africain, l’incertitude structurelle liée aux marchés incomplets mais
aussi au caractère endogène de l’instabilité des prix agricoles implique la prise en compte
du risque avec une perspective dynamique dans les travaux de représentation du
comportement des agents.
La dégradation des systèmes statistiques et le caractère daté de nombreuses analyses
rendent impératifs un réinvestissement dans la compréhension des réalités locales et la
réhabilitation des bases d’information : la faiblesse des données disponibles, tout comme
l’interêt d’adopter des perspectives complémentaires, justifient de croiser les approches et
les techniques de représentation plutôt que de chercher à les integrer dans des dispositifs
complexes posant par ailleurs des problèmes techniques non résolus.
Les caractéristiques de l’insertion internationale, le poids de l’agriculture dans
l’économie et les sociétés locales impliquent d’élargir le champ des politiques
économiques à la gestion des chocs et des écarts de productivité. Simultanément, les
recompositions des formes de la ruralité, le passage progressif de systèmes de production
agricoles à des systèmes d’activités plus diverisifiés invitent à dépasser les politiques
sectorielles au profit de politiques territoriales plus globales.
Enfin, le besoin d’appropriation des politiques par les acteurs concernés, reconnu par les
critiques internes des politiques d’ajustement et de libéralisation, conduit à accorder une
attention centrale au processus d’élaboration des politiques économiques.
Ainsi, l’amélioration des connaissances et des méthodes pour une représentation plus
réaliste des situations rurales ne doit pas se limiter à l’objectif de correction des impacts
et d’aménagement des politiques. Elle doit aussi s’attacher au processus d’élaboration des
politiques elles-mêmes dont la qualité correspond à la production d’un bien public. Ce
constat implique de renforcer les capacités d’analyse, de gestion et de proposition des
pouvoirs publics et des différentes catégories d’agents impliquées, afin d’améliorer les
conditions du diagnostic et de la négociation et de consolider les choix politiques.
32
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36
ANNEXES
Figure 1 : Evolution des superficies cultivées et des productions de riz à l’Office du Niger
0
50,000
100,000
150,000
200,000
250,000
300,000
350,000
400,000
1960/61
1962/63
1964/65
1966/67
1968/69
1970/71
1972/73
1974/75
1976/77
1978/79
1980/81
1982/83
1984/85
1986/87
1988/89
1990/91
1992/93
1994/95
1996/97
1998/99
2000/01
Superficies cultivées en riz (y compris
sur hors casiers et en contre saison) en
Hectares
Production annuelle de paddy en
Tonnes
Figure 2 : Evolution des superficies cultivées et des productions de coton graine au Mali
0
100 000
200 000
300 000
400 000
500 000
600 000
60/61
63/64
66/67
69/70
72/73
75/76
78/79
81/82
84/85
87/88
90/91
93/94
96/97
99/00
Superficies totales
de coton (en HA)
Production totale de
coton graine (en
Tonnes)
So urc e CM D T
37
Figure 3 : Evolution de la production et des prix du coton au Mali et comparaison avec les cours
mondiaux
(source : BAD - OCDE, 2003)
Figure 4 : Evolution de la production céréalière au Mali (source CPS 2001)
y = 72602x + 1E+06
R
2
= 0,6494
0
500 000
1 000 000
1 500 000
2 000 000
2 500 000
3 000 000
1984/1985
1985/1986
1986/1987
1987/1988
1988/1989
1989/1990
1990/1991
1991/1992
1992/1993
1993/1994
1994/1995
1995/1996
1996/1997
1997/1998
1998/1999
1999/2000
Riz
Mais
Aut res céréales
Total
Linéaire (Total)
Tonnes
Source CPS 2001
38
Tableau 1 : Quelques caractéristiques des exploitations agricoles en zone cotonnière et à l’Office du
Niger selon une classification à dire d’acteur.
Zone Office du Niger Zone cotonnière
Variables Riches
Inter-
médiaires Pauvres Riches Inter-
médiaires Pauvres
Répartition des EA 22% 35% 43% 23% 53% 24%
Population moyenne (personnes) 26,67 15,67 11,45 25,27 15,23 9,88
dont actifs agricoles (personnes) 14,87 8,04 5,66 10,87 7,43 5,19
Répartition de la population 36% 34% 30% 35% 50% 15%
Superficie cultivée en 2001/02 (ha) 9,53 5,20 2,89 17,40 10,27 5,59
Superficie en location en 2001/02 (ha) 0,27 0,73 0,04 0,00 0,00 0,00
Superficie cultivée par actif (ha) 0,64 0,65 0,51 1,60 1,38 1,08
Superficie coton par exploitation (ha) 0,00 0,00 0,00 6,52 3,53 1,95
Boeufs de labour (unités) 5,40 2,71 1,03 5,87 4,03 1,81
Autres bovins (unités) 9,93 1,63 0,72 21,80 3,97 1,88
Charrettes (unités) 1,33 0,88 0,59 1,27 1,00 0,63
Attelages (unités = 2 BL+1Charrue) 1,33 1,02 0,45 1,53 1,39 0,78
Quantité engrais par ha cultivé (kg) 295 309 286 71 72 39
Equivalent céréale consommable par pers (kg) 1 057 736 518 407 373 368
Marge brute agricole par hectare (1000 Fcfa) 317 327 337 116 118 87
Marge brute agricole par actif (1000 Fcfa) 204 212 172 186 164 94
Revenu total (1000 Fcfa) 3 565 1 903 1 163 2 225 1 311 577
Revenus non agricoles / revenu total 15% 13% 19% 12% 12% 19%
Revenu total /personne (1000 Fcfa) 134 122 102 88 86 58
Dépenses consommation /personne (1000Fcfa) 107 103 87 50 56 49
Autofouniture / dépenses de consommation 65% 55% 49% 68% 63% 68%
(source : Kébé et al 2003b)
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Alors que les gains à attendre suite à la libéralisation des échanges, en particulier pour les PED, sont généralement présentés comme essentiels aux progrès de la lutte contre la pauvreté, cette étude souligne leur faiblesse lorsqu'ils sont exprimés en termes relatifs et leur sensibilité aux hypothèses réalisées sur le fonctionnement des marchés. En effet, alors que l'imperfection de l'information est largement admise, parmi les spécialistes, comme caractéristiques des marchés agricoles, sa prise en compte dans le modèle transforme des gains extrêmement faibles en pertes parfois importantes, soulignant ainsi l'utilité sociale des politiques agricoles.
Article
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This article reviews the extensive evidence on agricultural market reforms in Sub-Saharan Africa and summarises the impact reforms have had on market performance, agricultural production, use of modem inputs, and poverty. It offers eight recommendations for completing the reform process and developing a new agenda for agricultural markets in Sub-Sahoran Africa. The reform experience in Sub-Saharan Africa has varied widely across countries and crop subsectors. The available evidence shows clear progress in some areas and mixed results in others. Most reforms were only partially implemented and policy reversal was common. Once implemented, however, reforms have increased competition and reduced marketing margins, benefiting both producers and consumers. Reforms have also boosted export crop production. On the other hand, food crop production has stagnated and yields have not improved. Further expansion of private trade is constrained by lack of access to credit, uncertainty about the government's commitment to reform, and high transaction costs.
Article
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L’agriculture africaine fait face à une situation inédite liée au processus de mondialisation, mais aussi à la forte croissance relative de sa population agricole durant le dernier quart du XXe siècle, contrairement à d’autres continents (ou pays continents). Paradoxalement, alors que l’Afrique se trouve marginalisée dans les échanges commerciaux, sur lesquels se focalise le débat international en matière agricole, l’agriculture africaine et le développement rural restent des domaines stratégiques pour les politiques publiques qui doivent prendre en compte la configuration démographique et économique spécifique du continent. La question du type d’agriculture qui accompagnera la nécessaire transition économique et agricole africaine est en débat. Alors que certains opérateurs et décideurs soutiennent le développement d’une agriculture d’entreprise, les organisations paysannes font massivement le choix de défendre l’agriculture familiale comme axe privilégié de développement, car elle fournit emplois et revenus pour le plus grand nombre. Cependant, les organisations doivent faire face à un rapport de force inégal avec les autres acteurs privés issus du processus de libération. Renforcer leurs capacités de proposition et de négociation apparaît dès lors comme une condition permettant d’envisager une refondation des politiques publiques sur la base d’une réelle contribution des ruraux.
Book
Cet ouvrage, qui ne constitue pas le compte rendu exhaustif du colloque de 1987, est centre sur le theme le plus important : agriculture et politique depuis 1970. Les politiques agricoles pratiquees depuis cette date par les differents gouvernements et les relations du monde agricole avec ceux-ci sont etudiees. Face aux difficultes economiques de ce secteur, la France cherche toujours une formule permettant de concilier des exigences souvent contradictoires. Comment, dans ces conditions, se reorganise la representation professionnelle des agriculteurs, qui restent parmi les citoyens les plus syndiques du pays ? L'engagement professionnel a-t-il la meme signification politique pour tous et comment se combinent dans les elections les appartenances territoriales, les identites professionnelles, les opinions politiques ? Que devient le projet agricole si mobilisateur que la France a connu ? Telles sont les questions principales auxquelles tentent de repondre les chercheurs specialises.
Conference Paper
The restructuring of the world cocoa market has concluded with the liberalisation of the sector in the world's leading producing country - Cote d'Ivoire - clearing the way for domination by an oligopoly of global companies. This paper describes how Cote d'Ivoire's shore of world production created an illusion but not the reality of market power, In the 1990s, in the wake of failed attempts to influence the world market, the Ivorion cocoa experienced a series of upheavals that were both pivotal to broader changes in the global market and a reflection of them. The converging strategies of new Ivorion firms and of the major global grinding companies resulted in increased vertical integration in Me d'lvoire, exemplified in the development of "origin grinding". Later, financial difficulties encountered by Ivorion firms led to global companies taking control. Amongst the results of these changes are a decline in the role of traders, a redefinition of relationship between grinders and chocolate manufacturers, and a standardisation of cocoa quality around an average "bulk" level. This signals the end of "the producing countries" and of the global market.