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SYNTHÈSE / REVIEW ARTICLE
Psychologie et sophrologie en oncologie :
les voies d’un possible travail d’articulation
Psychology and relaxation therapy in oncology: a possible complementary work
E. Dudoit · E. Lheureux · L. Dany · F. Duffaud
Reçu le 15 octobre 2011 ; accepté le 2 février 2012
© Springer-Verlag France 2012
Résumé La sophrologie occupe une place de plus en plus
importante parmi les pratiques qui se développent au sein
des soins de support en oncologie. À partir d’un dispositif
pluridisciplinaire (psychologie clinique, psychologie sociale
et sophrologie), nous avons souhaité éclairer l’expérience du
recours à la sophrologie et l’inscription potentielle de ce
type d’offre de soins de support en oncologie. L’analyse de
données recueillies auprès de patients met en évidence que la
sophrologie permet de « suspendre » pour un moment le
temps de la maladie en permettant une baisse des tensions
et en favorisant une centration sur les dimensions du
bien-être. La présentation de vignettes cliniques (psycho-
oncologue et sophrologue) met en évidence le travail d’arti-
culation qui peut opérer dans la prise en charge des patients.
Les fonctions, le cadre et les limites possibles de ce travail
d’articulation sont discutés.
Abstract Relaxation therapy (sophrology) is playing an
increasingly significant role among developing supportive
care practices in oncology. With a multidisciplinary approach
(clinical psychology, social psychology and relaxation the-
rapy) we aim to increase awareness of the use of relaxation
therapy and the potential endorsement of this type of suppor-
tive care in oncology. Analysis of data collected from patients
highlighted that relaxation therapy allows time to be momen-
tarily “suspended”, by reducing stress and focusing on cente-
ring the dimensions of well-being. The introduction of clinical
case reports (from psycho-oncologists and relaxation thera-
pists) highlights the joint collaborations that can be used in
the management of patients. The functions, the scope and
the potential limitations of these joint collaborations were
discussed.
Au cœur des stratégies thérapeutiques de lutte contre le
cancer, nous trouvons un ensemble de soins non médicaux,
regroupés sous le terme de soins de support, qui connaissent
un essor important [18]. Ces soins engagent de nombreux
acteurs qui ont pour but ou mission de « restaurer »
le bien-être des patients, de les accompagner au travers
des événements de la maladie et de leur proposer, par
exemple, un ensemble de techniques psychologiques ou
psychocorporelles.
La sophrologie occupe une place de plus en plus impor-
tante parmi les pratiques de type relaxation
1
qui se dévelop-
pent au sein des soins de support. La sophrologie a pour but
d’amener l’être humain à vivre en harmonie avec son envi-
ronnement à la fois psychique et physiologique [4]. La phi-
losophie de la sophrologie est sous-tendue par une adhésion
aux systèmes complexes (cf. système qui comprend de nom-
breux éléments liés que l’on ne peut étudier séparément et
qui nécessite une approche globale). Pour les « thérapeutes »,
il s’agit de révéler ou d’harmoniser la relation corps–esprit
en agissant à la fois sur le corps par des massages-bien-être
2
et par la sophrologie. S’il y a une harmonie dans la respira-
tion et une cohérence des schèmes mentaux lors des visuali-
sations, le patient pourra alors trouver à l’intérieur de lui
les forces à la fois d’apaisement et de dynamisme face à
l’histoire de sa maladie [9].
L. Dany (*)
Université d’Aix-Marseille, LPS (EA 849),
F-13621 Aix-en-Provence, France
e-mail : Lionel.Dany@univ-provence.fr
E. Dudoit · E. Lheureux · L. Dany · F. Duffaud
Service d’oncologie médicale, AP–HM, Timone,
F-13385 Marseille, France
1
Le terme de sophrology est peu utilisé en langue anglaise. Ainsi,
aucune référence bibliographique ne peut être identifiée lorsque l’on
associe sophrology àcancer dans les bases de données bibliographi-
ques les plus courantes (cf. Medline, Psycinfo ou ScienceDirect). La
sophrologie s’inscrit, plus largement, dans les techniques de relaxation
(e.g., relaxation therapy), soit les techniques qui induisent un état de
relaxation physique et psychique [13]. L’étude de ces techniques de
relaxation a porté, en particulier, sur leurs effets, sur la réduction des
effets des traitements [13].
2
La réalisation de massages n’est pas généralisée dans la pratique.
Psycho-Oncol. (2012) 6:50-58
DOI 10.1007/s11839-012-0360-8
Le développement de la sophrologie au sein des services
d’oncologie n’est pas neutre pour les psychologues. La ques-
tion « traditionnelle » du territoire spécifique alloué aux dif-
férents professionnels peut s’accompagner, dans ce contexte,
d’une réflexion sur la complémentarité potentielle des cadres
d’intervention proposés aux patients. Ce type de démarche
est particulièrement heuristique, selon nous, car elle nous
oblige à questionner la légitimité des offres de soins dans
le contexte de la maladie cancéreuse au-delà de certains a
priori qui viseraient à légitimer de facto ces offres [5,8].
L’objectif de cet article est de rendre compte d’une
expérience de coordination-réflexion associant la psycholo-
gie et la sophrologie dans le cadre d’un service d’oncologie
médicale et de soins. Un groupe de travail pluridisciplinaire,
comprenant un psychologue clinicien, une sophrologue et un
psychosociologue, a été constitué au sein du service d’onco-
logie médicale du CHU de La Timone (Marseille), pour
éclairer, à partir de différents regards et méthodes, l’expé-
rience du recours à la sophrologie et l’inscription potentielle
de ce type d’offre de soins de support au sein de ce service.
Plus précisément, il s’agissait, d’une part, de recueillir des
données sur le contenu expérientiel des patients lors des
séances de sophrologie, d’autre part, de mettre en perspec-
tive, à partir de vignettes cliniques (portant sur un même
patient suivi simultanément par le psychologue et la sophro-
logue), le travail « d’articulation » qui peut se mettre en
œuvre auprès d’un patient entre le psychologue et la sophro-
logue au sein d’un service d’oncologie.
Expérience de la séance de sophrologie :
données exploratoires
Méthode
L’expérience de la séance de sophrologie a été étudiée à
l’aide d’une fiche « qualité » élaborée par le groupe de tra-
vail pluridisciplinaire afin d’accompagner la mise en œuvre
de l’activité de la sophrologue au sein du service. Cette fiche
a une double fonction :
–rendre compte de l’activité de la sophrologue ;
–recueillir des données de type « expérientiel » sur le vécu
des séances par les patient(e)s.
Cette fiche se veut « brève » car elle est proposée aux
patients à la suite de leur séance de sophrologie. Il s’agit de
recueillir une information en produisant le moins de
contraintes pour les patients. Les informations recueillies
sont :
–l’identité du patient ;
–la date de la séance de sophrologie ;
–les trois mots qui viennent à l’esprit du patient à l’issue de
sa séance (associations libres) ;
–la ou les raisons qui ont conduit le patient à participer à
cette séance : à partir d’une liste de 11 propositions, le
patient coche la ou les cases correspondant aux raisons
qu’il associe à sa participation ;
–le niveau de satisfaction vis-à-vis de la séance (sur une
échelle en 11 points allant de 0 « aucune satisfaction » à
10 « satisfaction totale ») ;
–une question s’appuyant sur un indicateur de type Patient
Global Impression of Change (PGIC) [10] qui évalue
l’impression globale de changement pour le patient. Le
patient répond sur une échelle à sept niveaux (de 1 = très
forte amélioration à 7 = très forte aggravation). Nous
avons adapté la formulation de la question afin qu’elle
permette une autoévaluation de l’évolution globale de
l’état physique et/ou psychologique entre le début de la
séance et la fin de la séance.
Résultats
Les données que nous présenterons portent sur les fiches de
30 patients différents. La période de recueil s’étend sur deux
mois à raison de deux jours de présence hebdomadaire de la
sophrologue. Ces patients sont majoritairement (n=23 ;
76,7 %) des patientes, ils sont âgés de 53,4 ans en moyenne
(écart-type = 16,24). Le niveau de satisfaction moyen se
situe à 8,28 (écart-type = 1,41) ; l’impression globale de
changement se situe à 2,50 (écart-type = 0,79) et indique,
en moyenne, une amélioration de l’état physique/psycholo-
gique des patients.
L’analyse des associations libres produites par les patients
nous a permis de faire émerger différentes catégories théma-
tiques (Tableau 1). Une première catégorie de termes renvoie
àl’expression d’un état intérieur associé à la détente et au
bien-être, au fait d’être relaxé et tranquille. Une deuxième
catégorie concerne l’idée d’une baisse des tensions, du
retour à un état antérieur dans lequel la maladie (c’est une
hypothèse) est moins présente. Plusieurs termes traduisent
cette idée : soulagement,apaisement,décontraction, etc.
D’autres termes servent à qualifier la séance dans ses carac-
téristiques et son déroulement : calme,respiration,voix
douce, etc. Enfin, une dernière catégorie concerne les termes
qui renvoient à des états négatifs : souffrance,stress, etc.
Trois raisons sont particulièrement retenues pour expli-
quer la participation aux séances de sophrologie (Tableau 2).
Les deux raisons les plus évoquées concernent le bénéfice
potentiel attribué à la séance : évacuer le stress lié à lamaladie
ou l’envie de se décontracter. La troisième raison concerne ce
que l’on pourrait nommer un « adressage », c’est-à-dire la
participation suite à la proposition d’un soignant. Viennent
ensuite des raisons moins évoquées qui renvoient à la
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recherche d’un temps pour soi, en dehors de la maladie et des
raisons qui touchent à un « prendre soin » qui s’inscrit à un
niveau physique et psychologique. D’autres raisons, moins
évoquées, relèvent de la découverte du dispositif, de son
corps sous un autre angle ou encore un travail sur le lien
corps–esprit.
Le questionnement systématique des bénéficiaires des
séances de sophrologie nous renseigne sur l’inscription de
cette nouvelle « offre de soins » dans le service et vise à
objectiver les conditions générales de sa mise en œuvre.
Par contre, cette option méthodologique ne nous permet
pas d’accéder aux processus en jeu dans ce dispositif et à
la manière dont les professionnels concernés se sont appro-
priés ce dispositif et l’ont mis en œuvre. Les vignettes
présentées ci-après visent à répondre pour partie à ce
manque. À travers la situation de Mathieu (le prénom a été
modifié), chaque professionnel (psychologue, sophrologue)
va successivement présenter le travail d’articulation qui
s’est mis en œuvre pour ce patient à partir de son champ
de compétence et de sa pratique.
Situation de Mathieu,
le regard du psychologue
Mathieu, 55 ans, est reçu dans le service d’oncologie médi-
cale et de soins palliatifs dans le cadre de douleurs séquel-
laires de type neuropathique suite à une chirurgie d’un léio-
myosarcome occipital avec greffe cutanée. La douleur influe
son moral au quotidien et a été évaluée sur une EVA à 5–6,
mais les pics douloureux sont permanents dans la journée.
Mathieu se plaint également d’un préjudice esthétique
influençant grandement sa vie quotidienne. Il ne peut plus
sortir sans sa casquette et souffre d’un psoriasis important
sur la surface du corps. C’est à la demande du professeur
du service que je reçois Mathieu.
Il dit d’emblée ne pas adhérer à la psychologie. Toutefois,
il dit qu’il est au bout du rouleau et a vraiment besoin d’aide.
Lors de notre première rencontre, je vois un homme fatigué,
exténué dont les douleurs et l’anxiété sont à la limite de le
déborder à chaque parole. Il me demande si je peux quelque
chose pour lui, et je lui dis que l’écouter, essayer de
comprendre ce qui ne va pas pourra peut-être nous amener
à une nouvelle thérapeutique. Il acquiesce et me dit qu’il est
quelqu’un de « cartésien », de « carré » ou encore de
«pragmatique ».
Mathieu me raconte combien il était heureux de faire par-
tie de l’armée et que c’est ce qui l’a sauvé : « Vous compre-
nez, avoir été abandonné 15 jours après ma naissance, il me
fallait un cadre ». Je lui demande alors de m’en dire un peu
plus sur cet abandon, et il me dit que ses parents n’ont pas pu
le garder, qu’il a été élevé par ses grands-parents et que cette
première blessure ne s’est jamais refermée : « Mais cela ne
m’a pas empêché de continuer, il fallait avancer. Vous voyez,
il ne fallait pas trop s’écouter ». Mathieu est fier de son
passage à l’armée en tant que soldat, puis en tant que sous-
officier : « Ca m’a formé à être un homme, un métier
Tableau 1 Évocations libres produites à la fin de la séance.
État intérieur (34)
a
Détente (11), bien-être (8), relaxation (6), tranquillité (2), serein (1), légèreté (2), plaisir (2),
bonheur (1), paix (1)
Baisse des tensions (14) Soulagement (4), apaisement (3), décontraction (1), lâcher (1), vider son esprit (2), relâchement (1),
oublier (1), évasion (1)
La séance (14) Calme (4), respiration (2), voix douce (1), visualisation (1), efficace (1), découverte (1),
extérioriser (1), fleur (1), surprenant (1), fluidité (1)
Les états négatifs (7) Souffrance (1), stress (1), manque d’air (1), crispation (1), difficulté (1), problème de sommeil (1),
agréable (1)
a
Le chiffre entre parenthèses correspond à la fréquence d’évocation de la catégorie ou du terme.
Tableau 2 Raisons sélectionnées comme ayant participé
au choix de faire la séance de sophrologie (plusieurs choix
possibles).
Nombre (%)
Évacuer le stress lié à la maladie 21 (70,0)
Envie de se décontracter 18 (60,0)
Proposition d’un soignant 16 (53,3)
Avoir un moment pour soi 11 (36,7)
Avoir un temps « en dehors » de la maladie 11 (36,7)
Prendre soin de mon corps 11 (36,7)
Prendre soin de mon esprit 9 (30,0)
Curiosité, envie de découvrir 9 (30,0)
Faire le lien entre ce que je ressens
dans mon corps et dans ma tête
9 (30,0)
Découvrir son corps autrement 6 (20,0)
Raisons sélectionnées en cochant la case correspondante parmi
une liste de 11 raisons. Une proposition « autre » était proposée.
Seule une personne l’a cochée.
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physique ». Mathieu se plaint des multiples spécialistes qui
le prennent en charge, tant sur le plan dermatologique que
sur celui de la cancérologie et de la douleur. Il me montre
son crâne et me dit : « On doit attendre, car ces douleurs
viennent du fait qu’on a coupé les neurones [plus exactement
l’axone] et que les douleurs resteront là longtemps avant que
tout cela se referme ».
Lors des entretiens, Mathieu essaie de garder la maîtrise,
surtout quand je lui demande s’il est anxieux, il me regarde
endisant:«Qui ne le serait pas ? Vous vous rendez
compte, voilà ce qu’ils m’ont fait, mais sans cela je serais
mort. Mais est-ce que ça vaut le coup de vivre comme ça ?».
Il me parle assez longuement de sa famille et du mal qu’il
fait aux siens. Il est très énervé et fatigué. Il fait chambre à
part et dit ne plus supporter ses petits-enfants qui viennent
le voir. Lors de ce premier entretien, il est logorrhéique, je
parle très peu. Lorsque je lui signifie, au bout d’une demi-
heure, que l’entretien est terminé, il me remercie, me dit
que ça lui a fait du bien et nous reprenons contact pour la
semaine suivante.
Nous nous verrons ainsi avec Mathieu pendant trois mois
exactement. Les séances s’enchaînent sans que je puisse trop
intervenir. Je l’écoute, cela semble le satisfaire. Il me raconte
comment il peut maîtriser sa douleur, son insomnie ou
comment, à d’autres moments, il est débordé par celles-ci.
Il revient très souvent sur son travail, il me dit être « obsédé »
par ce dernier. Il était responsable me dit-il : « Vous compre-
nez, si je ne suis pas là qu’est-ce qui va se passer ? J’ai un
contrat moral avec mon patron ». Au fil des entretiens, je ne
sais vraiment pas ce que je peux apporter à Mathieu. Je
repère bien une relation d’objet de type obsessionnel, une
tentative de maîtrise de sa vie, de la douleur ou, plus large-
ment, de ce qui lui arrive. Il ne sort plus. Il a honte et ne veut
plus engager de relations, c’est « trop dur » dit-il. Je l’invite
cependant à essayer de tisser des liens. Je l’invite à réviser
son enfance, son adolescence, mais pas grand-chose ne vient
si ce n’est des banalités, du factuel. J’ai la sensation qu’il me
met loin de lui comme si je ne pouvais pas comprendre. Le
sujet supposé savoir que je pourrais représenter ne semble
pas advenir ici, ou du moins je ne le perçois pas.
Je remarque que, le plus souvent, ses plaintes touchent le
corps et que le fait de parler du corps ne l’amène pas à modi-
fier cette image du corps. Il y a là quelque chose qui semble
vraiment stérile. Lorsque je me fais plus insistant sur les
sensations de ce corps, il botte en touche. Il me parle de
ses timbres et de son garage qui lui servent de refuges. Il
me dit qu’il n’a plus « l’âme à ça ». Outre la poésie de l’âme
à ça, j’entends bien qu’il y a quelques soucis entre la psyché
et le réservoir pulsionnel. La difficulté de Mathieu à nommer
les affects viendrait peut-être du manque de lien entre repré-
sentation de choses et représentation de mots afin qu’advien-
nent des représentations conscientes. Cet affect est-il détaché
et renvoyé au garage, entre les collections de timbres ? À cet
instant, je risque le fait de lui proposer un accompagnement
sophrologique. Mathieu me regarde et a une réticence :
«Je n’aime pas trop ça, je ne comprends pas, je suis déjà
allé voir un psychologue ! Mais enfin vous êtes docteur »me
dit-il. Je sens bien que le signifiant docteur est important
pour lui. Je suis psychologue, mais je suis à ranger parmi
les soignants puisque je suis « docteur ». Et là, je lui « pres-
cris » de la sophrologie. Je lui dis : « Écoutez, je pense vrai-
ment que ça nous aidera et qu’on pourrait gagner énormé-
ment de temps ». Il me répond : « Si vous voulez. Mais
comment fait-on ? ». Nous organisons ainsi quelques séan-
ces où la sophrologue du service va travailler avec lui, et
juste après je viendrai là comme un renfort, sous la forme
d’un étayage psychologique.
Après la première séance de sophrologie, je rencontre
Mathieu et je suis très étonné de retrouver devant moi un
homme émerveillé. Il me dit que ça lui a fait énormément
de bien et que des « choses se sont passées ». À chaque fois,
Mathieu semble de plus en plus calme malgré des plaintes
récurrentes concernant ses douleurs qu’on n’arrive pas à
gérer. Avec la sophrologue, nous faisons alors appel à un
médecin algologue du service afin de voir s’il n’y a pas un
traitement médicamenteux pour calmer ses douleurs.
Mathieu se sent à ce moment-là dans un tissage relationnel
assez fort. Il doit voir l’algologue, la sophrologue, le psycho-
logue en espérant que tous ces « ogues » puissent quelque
chose pour lui. Les séances se poursuivent et les douleurs
baissent. Mathieu qui avait une grande difficulté, voire une
impossibilité, à me parler du monde de ses émotions, sans
pour autant être alexithymique, commence à énoncer quel-
ques émotions. Il me dit : « Vous savez, vraiment j’aime ma
femme ». Il me parle de cet amour pour elle. Il me parle de
ses enfants. Il me dit qu’il est inquiet pour son fils qui risque
un retrait de permis et ça le met très en colère. Nous travail-
lons sur cette colère, nous travaillons sur la place du père. Il
m’avoue qu’il n’en sait pas grand-chose parce qu’il n’adece
père que la représentation de l’armée. Je l’invite à m’en par-
ler et bien sûr il me fait une description quasi stéréotypée de
l’armée. Je lui rappelle combien il y avait quand même de
l’amour, des liens et combien c’est important que de pouvoir
parler entre hommes. Mathieu me prête certains pouvoirs.
Je suis le sujet supposé savoir. Mais ce qui est étonnant,
c’est que ce ne sont pas les séances de psychothérapie qui
l’ouvrent, mais bien les séances de sophrologie. Tout se
passe comme si la sophrologue lui permettait d’ouvrir de
nouveaux espaces, de pouvoir les loger en lui, et qu’ensuite
avec la parole il puisse rendre compte à un « maître » pour
valider ses nouveaux espaces à l’intérieur de lui. Je joue le
jeu en parlant avec la sophrologue et je deviens le « validant »
de nouvelles découvertes. Mais est ce que le « validant » est
le sujet supposé savoir au sens psychanalytique ? À y regar-
der de plus près, il semble que ce ne soit pas le cas. En effet,
c’est lors des séances de sophrologie que des « choses se
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sont passées ». Ainsi, c’est la sophrologue qui met au travail
le sujet de l’inconscient.
Ces moments sont d’une grande intensité. La sophrologue
me rapporte qu’à une séance il s’est mis à pleurer. Pour ma
part, je n’ai pas droit aux larmes, juste le droit à des yeux qui
brillent sur : « Peut-être que je n’ai pas tout compris de la
vie ». Je dois bien avouer que je suis d’une petite aide pour
Mathieu, mais mon travail de « validation » en lien avec les
séances de sophrologie semble extrêmement important pour
son avancement, et nous continuons ainsi. J’essaie de
l’orienter vers la question du psoriasis, vers cette question
de l’altération de la surface de sa peau. Je vois bien que
quelque chose d’inconscient le déborde et que ça passe par
la peau, quelque chose qu’il voudrait exprimer, malheureu-
sement rien ni fait, le psoriasis reste, tout a cédé sauf cela.
À la troisième séance, quand je l’incite à me parler de ces
choses, il me dit : « Voilà, j’ai vu dans une pièce un homme et
une femme qui faisaient l’amour ». Je pense, à ce moment-là,
à la scène primitive, mais ne sachant qu’en faire, je laisse sa
parole circuler sans intervenir. Il me dit : « Je n’ai pas connu
mes parents, mais il se peut que ce soit eux, enfin je crois que
c’est eux, enfin ils leur ressemblaient pas, vous savez mais,
mais c’est eux ». C’est comme si Mathieu avait recréé,
retrouvé, reconstruit quelque chose de cette enfance qui lui
manquait, quelque chose sur lequel il peut s’arc-bouter. La
séance se termine et on poursuit ainsi pendant quelques séan-
ces. Ici la question du transfert semble se nouer, Mathieu
m’investit davantage et déroule sa parole. Il est maintenant
assuré de l’oreille bienveillante que je représente. Mainte-
nant Mathieu se délie en parlant autant qu’en ressentant.
Lors de la dernière rencontre avec Mathieu, j’ai vu un
homme très bien habillé, portant un borsalino, les cheveux
un peu plus longs que d’accoutumée ; il m’a regardé en sou-
riant, en disant simplement : « On a fait un bon travail, hein
docteur ? ». Je lui ai dit effectivement qu’il était transformé,
il me dit : « Maintenant, je prends le temps. Je reconduis un
peu, mais surtout j’ai regagné mon lit conjugal, j’ai dit à
mon fils que ce n’était pas bien important toutes ces
histoires-là de plus avoir de permis, mais qu’il fallait faire
très attention. J’aime beaucoup mes petits-enfants, mais je
reconnais qu’ils font du bruit et que c’est la vie. J’ai repris
mes timbres mais je n’ai plus la fougue d’avant, ça m’inté-
resse moins d’être là comme ça dans mon garage avec mes
timbres. Je crois que je prends plaisir à rencontrer la vie et
les autres ». Au moment de partir, il se retourne, demande
après la sophrologue et je lui dis qu’elle n’est pas là ce jour.
Il me dit : « Dites-lui combien elle était importante.
Remerciez-la bien, car c’est grâce à elle aussi que j’en suis
là ». Je souris et lui dis : « C’est surtout grâce à elle, elle a
permis de loger à l’intérieur de vous des choses qui avant
vous faisaient peur et qui maintenant sont tolérables ». Et il
termine simplement en disant : « Oui, il n’y a pas besoin de
gérer la vie pour vivre ».
Situation de Mathieu,
le regard de la sophrologue
Le psychologue m’a présenté Mathieu alors qu’il était suivi
depuis quelque temps déjà. Le psychologue m’a précisé
devant Mathieu que du côté du cœur et de la poitrine, il y
avait un gros nœud. J’ai vu Mathieu une première fois, il
parlait avec précipitation et angoisse, mettant bout à bout
des parcelles de son histoire sans ordre apparent : travail,
famille, environnement, maladie ou dépendance. J’ai fait ce
jour-là une séance de base, visant à établir une relation de
confiance. Mathieu « mélangeait » beaucoup de choses sur
son parcours pour que j’arrive à travailler sur un endroit pré-
cis. Les douleurs persistantes auxquelles était confronté
Mathieu empêchaient toute relaxation dynamique physique.
Après une introduction d’usage, je pratique une sophronisa-
tion de base
3
avec lecture lente du corps et une respiration
ventrale, Mathieu ayant une pathologie qui ne permettait
pas davantage. Je lui ai fait pratiquer une activation intraso-
phronique
4
qui consistait simplement à serrer le poing
d’une main à l’inspire puis à relâcher à l’expire. Il s’agissait
d’apprécier la sensation en mettant l’accent sur l’empreinte
laissée par la contraction à l’intérieur du corps ; de ressentir
les sensations diverses que le corps détendu a enregistrées,
mains, bras, voire mâchoire ou ventre.
Cette activité a été suivie de respirations lentes avec pro-
position de mots de détente en « libre choix ». Mathieu était
conduit à écouter le ressenti, à s’en imprégner, à le garder en
mémoire en soi afin de pouvoir le retrouver sans difficulté.
Ensuite nous avons effectué un retour tranquille au moment
présent par une réactivation douce du corps. Cette séance,
qui a duré environ 25 minutes, l’a détendu. Mathieu parlait
de façon plus « cohérente » et reposée. Il a souhaité conti-
nuer et nous avons convenu de nous retrouver la semaine
suivante, après l’entretien avec le psychologue.
Lors de la deuxième rencontre, Mathieu était plus
confiant, mais cependant pas moins tendu. Il s’était écoulé
en fait deux semaines entre les deux séances. Mathieu reprit
plus en détail les mêmes sujets que la première fois, mani-
festant une confiance bien établie. Son travail l’obsédait bien
qu’il ne se soit pas senti capable de le reprendre. Ses
3
La voix du sophrologue induit un premier état de détente ouvrant la
porte à toutes sortes d’évolutions (en particulier un relâchement
musculaire entraînant une modification du niveau de vigilance). Cette
technique consiste en une prise de conscience des différentes régions
ou systèmes corporels, puis du corps tout entier. Elle peut se pratiquer
debout ou assis ou plus rarement en position allongée. Elle permet
rapidement et à elle seule un relâchement musculaire et une détente
mentale. Si elle est appliquée seule durant la séance, elle peut servir
de relaxation flash ou relaxation minute, facilement réalisable dans le
quotidien [9].
4
Frontière entre la veille et le sommeil où le système de perceptions
pourra être activé.
54 Psycho-Oncol. (2012) 6:50-58
préoccupations professionnelles le poursuivaient même la
nuit. Je lui demandais alors de me donner des détails sur
lesquels il pensait que nous pourrions travailler en respectant
sa priorité. Il n’arrivait pas à décrocher de ce lieu qu’il savait
ne plus jamais revoir. Il ne pouvait concevoir que cela
s’arrête aussi brutalement sans qu’il l’ait choisi. Il se sentait
incapable de savoir s’il était soulagé ou stressé de ne plus y
aller. Je lui demandais alors s’il se sentait bien chez lui et
entouré, s’il trouvait du plaisir à y rester, s’il avait de quoi
s’occuper lorsque sa santé lui permettait quelques loisirs. Il
me dit alors que sa femme et lui s’entendaient parfaitement
bien, que le couple avait toujours bien fonctionné, et très vite
il me dit que leur sexualité s’était arrêtée lors des premières
interventions à l’hôpital. Il me précise qu’après discussion
avec sa femme, il a décidé « par respect pour elle »qu’il
ne la toucherait plus tant qu’il serait malade. « Sans frustra-
tion » me dit-il. Il reprendra ce thème lors de la séance
suivante.
Il me parle de ses enfants et de ses rapports avec sa famille
qui l’entoure de beaucoup d’amour : « J’ai de la chance de
ce côté-là ». Il me raconte également son jardin dans lequel il
ne va plus trop souvent, le traitement entraînant une grosse
fatigue, de plus, il n’a plus le courage de grand-chose. Il ne
fait plus de marche non plus et fait peu d’activités avec
sa femme qui ne sort plus beaucoup, elle-même, afin de
l’accompagner dans sa maladie.
J’ai pratiqué une séance plus approfondie, en essayant de
reprendre certains mots que Mathieu avait lui-même utilisés
plusieurs fois, en veillant à les inclure dans des phrases posi-
tives concernant toujours la détente corporelle. Je choisissais
une séance de détente dans une nature boisée. Après une
sophronisation de base, une respiration un peu accentuée,
j’ai choisi de lui proposer un scénario qui reposait sur une
ballade dans un bois avec description du chemin sans obsta-
cle, souple mais suffisamment ferme pour ne pas trébucher,
avec écoute du vent dans les arbres. Un bruit de couloir se
fait entendre, assez violent avec des personnes qui parlent
fort. J’invite Mathieu à se centrer sur la nature, laissant les
bruits de la ville au loin. Nous restons un moment au bord
d’un ruisseau pour saisir toutes les sensations évoquées par
la caresse de la brise, la douce chaleur du soleil sur la peau, le
contact avec la terre et les feuilles sous les mains, le bruit de
l’eau. Vivre pleinement l’instant présent. Puis après avoir
apprécié longuement les éléments, nous reprenons le chemin
du retour non sans garder dans toutes les parties de notre
corps la sensation de ce bain de nature et de tranquillité. La
désophronisation a été un peu longue tant la détente fut
grande. Mathieu était ravi de cette séance, car il se sentait
parfaitement calme et serein, ayant bien ancré en lui ces
sensations. Je lui proposais alors de garder à l’esprit qu’à
chaque exercice de respiration qu’il pourrait faire à la maison
(en reprenant cette image), il pourrait retrouver cet état de
détente et qu’il pouvait y penser. Nous évoquions ainsi
d’autres possibilités de petits mécanismes à mettre en place
seulement si cela ne représentait aucune contrainte.
À la séance suivante, Mathieu est agité. Dès les premières
minutes d’entretien, il « déballe » toute une série d’événe-
ments qui, disait-il, l’ont traumatisé depuis son enfance. Le
discours change : plus orienté, plus chronologique, partant
de la petite enfance. Il parle de son abandon à 15 jours, du
fait qu’il a été confié à ses grands-parents, de ses croyances,
de ses amours et angoisses. Ce passé prend place comme
« gestation » de la maladie. Pourquoi là et ce jour-là ?
Sans doute la psychothérapie avait fait son œuvre, peut-
être était-ce le moment. Je constatais que nous n’avancions
que très lentement et que ses barrières s’érigeaient à nouveau
dès qu’il se retrouvait seul. Il me certifiait que le calme reve-
nait plus facilement, mais effectivement il avait du mal à se
sortir de ses pensées angoissantes et circulaires.
Il me précise qu’il a fait un peu d’exercices et qu’il a pu
sortir aussi avec sa femme. Ils n’étaient pas allés bien loin,
surtout dans le jardin, mais c’était déjà beaucoup pour eux.
Je décide de faire une séance un peu plus ciblée sur ce que je
venais d’entendre. Je précise à Mathieu que s’il sent un désa-
grément pendant la séance il est libre de me le faire savoir et
d’interrompre la séance à tout moment. Après une lecture
corporelle et un travail sur le souffle, je pratique une
visualisation
5
laissant entrevoir une porte et ses multiples
possibles.
Nous avons repris le même chemin de départ que notre
promenade en forêt pour garder un endroit connu. Laissant
suffisamment d’espace à l’imaginaire, je veille à ce que la
sécurité affective et émotionnelle soit garantie en mettant des
garde-fous, afin que les images naissant de cette « prome-
nade » ne puissent en aucun cas représenter un danger ou une
source d’angoisse mais bien une mise à distance des événe-
ments en toute sérénité. L’harmonisation du corps et de
l’esprit avec une sensation de paix nous a guidés tout le
long du cheminement intérieur.
J’ai mis Mathieu dans un chemin où il a pu prendre
contact avec ses mémoires, n’ayant pas d’intention particu-
lière sinon de le conforter dans l’idée de regarder ce qu’il
m’avait raconté en étant seulement spectateur de loin.
Les mots étaient les siens, les faits nullement suggérés, il
est allé là où il a voulu et je n’induisais rien d’autre qu’un
lieu propice à cette rencontre. Je décrivais un environnement
serein, mais le reste lui appartenait : couleurs, endroit, décor,
personnes présentes ou non. Je veillais simplement à le
laisser aller en toute indépendance là où ses souvenirs le
5
« Les méthodes de visualisation ou d’imagerie mentale s’étayent sur
une suggestion d’images chez des patients en état de relaxation. Elle a
pour objectif d’approfondir la relaxation en induisant une perception
agréable, de permettre un retour aux expériences passées ou une
anticipation du futur, et de stimuler l’imagination et l’acquisition de
nouveaux mécanismes d’adaptation » [17].
Psycho-Oncol. (2012) 6:50-58 55
conduisaient, l’assurant d’un accompagnement très proche
constant et sécurisant. Lorsque nous sommes revenus de
notre promenade, j’ai simplement suggéré à Mathieu de
regarder ses pieds, les ressentir souples et bien ancrés sur
le sol. Puis nous avons terminé la séance comme il est
d’usage. Un grand silence a suivi.
Mathieu n’en revenait pas lui-même des images qu’il
avait pu voir sans toutefois les expliquer. Il a fallu un temps
de pause pour reprendre l’ancrage dans la réalité du lieu. Il
avait aperçu un couple qui faisait l’amour. Il avait quitté ce
couple puis était revenu et le couple se tournait alors le dos :
«Qui pensez-vous que j’ai vu ? », me dit-il. Une petite vague
de panique m’envahit quelques fractions de secondes. Je
n’en savais rien et n’avais nullement l’intention de lui sug-
gérer quoi que ce soit : « C’est une excellente question et
vous avez toute la semaine pour y réfléchir » en lui suggérant
d’en parler au psychologue lors du prochain rendez-vous
puisqu’il le voyait avant moi : « Je suis sûr que ce sont
mes parents ».
La séance ayant duré un temps assez long, nous nous
sommes quittés sans préciser quand se revoir, Mathieu avait
des rendez-vous incertains et rappellerait. Il paraissait très
ancré, porteur d’une ouverture à explorer. Trois séances ont
été nécessaires pour « dénouer » ce que Mathieu a bien voulu
me livrer, et ce sur quoi travailler. Au cours de ces séances,
j’ai pratiqué une progression plus rapide que prévue,
mais Mathieu était très demandeur et l’alliance rapidement
établie. Après une sophronisation de base et une relaxation
lors de la première rencontre, la deuxième séance a permis
de faire une visualisation positive de détente. Ses « confiden-
ces » lors du troisième entretien m’ont permis de tenter une
visualisation plus ciblée pour laisser s’épanouir ce qui ne
demandait qu’à émerger. Le reste du travail s’est fait grâce
à lui et à la prise en charge psychologique.
Discussion
S’appuyant sur un groupe de travail pluridisciplinaire, les
analyses présentées visaient à interroger, et potentiellement
circonscrire, certains enjeux associés à la mise en œuvre
d’une activité de sophrologie au sein d’un service d’onco-
logie médicale. La présentation des données recueillies
(analyse des fiches « qualité », vignettes cliniques du
psychologue et de la sophrologue) permet, selon nous, de
renseigner les modes d’appréhension du dispositif par les
patients mais aussi de préciser les lieux possibles du travail
d’articulation entre psychologie et sophrologie dans ce
contexte (fonctions, cadre, limites).
Notons, dans un premier temps, les différentes fonctions
que les patients attribuent aux séances de sophrologie.
Celles-ci sont envisagées comme un lieu qui contribue à un
« mieux-être » dans un contexte (celui de la maladie) qui met
à mal l’équilibre psychoémotionnel des patients. Ces séances
permettent un temps à soi et pour soi. Elles permettent de
« suspendre » pour un moment le temps de la maladie en
permettant une baisse des tensions que celle-ci engendre et
en favorisant une centration sur les dimensions du bien-être.
Ces bénéfices perçus sont évoqués comme « constats » à la
suite de la séance (associations libres, niveau de satisfaction,
impression globale de changement) mais aussi comme rai-
sons pour participer. Notons également le rôle potentiel que
peuvent jouer les soignants comme « prescripteur » de ces
séances. Cette première partie empirique se distingue du tra-
vail effectué dans le cadre des vignettes. Il s’agissait, de
façon exploratoire, d’évaluer les perceptions des patients
vis-à-vis de cette offre de soins, d’en questionner le « bien-
fondé » à travers les « effets » ressentis et les conditions de sa
mise en œuvre. Le questionnement systématique des bénéfi-
ciaires des séances de sophrologie s’inscrit dans une « démar-
che qualité » qui vise à objectiver les conditions de mise en
œuvre de tout nouveau dispositif tout en se donnant les
moyens (partie vignettes) de mettre au jour les processus
en jeu dans ce même dispositif. Ces résultats constituent
également une base pour penser la communication auprès
des patients au sein du service.
Le travail d’articulation psychologie–sophrologie, dont
les vignettes sont une illustration, sera discuté à partir de
différents axes : celui des champs respectifs d’intervention,
celui des relations entre professionnels et la manière dont
cette relation peut être « fantasmée » par les patients, un
autre axe portera sur la place de la sophrologie et sa légiti-
mité dans l’offre de soins actuels, enfin, un dernier axe
portera sur la méditation accompagnée.
La coordination des deux « soins » psychologique et
sophrologique demande comme préalable une bonne entente
entre les deux thérapeutes et un respect des places de chacun
dans le déroulement du processus d’accompagnement mis
en place. Le psychologue restera psychothérapeute en utili-
sant des techniques d’entretien non directif et en gardant
l’apport de la « pensée » clinique psychanalytique dans la
façon de « se posturer » avec le patient. Il ne reprendra avec
celui-ci que les éléments qu’il ramènera des séances de
sophrologie au cœur du dispositif clinique. Il agira ainsi
comme un pousse à symboliser ce qui est vécu dans un autre
lieu et un autre temps. Il s’attachera à préserver l’intégrité
psychique du patient face à des troubles survenus lors des
processus de sophronisation et visualisation. L’idée étant de
permettre une mise en pensées et en paroles des « rêveries »
provoquées par la sophrologue. Ce que nous appelons des
« rêveries » sont les scénarios fantasmatiques émergeant
suite aux inductions de la sophrologue. Celles-ci seront
traitées comme signifiantes des « troubles » dont peut souf-
frir le patient à la fois dans son rapport au monde et son
rapport au corps [14]. Si, par exemple, suite à une visualisa-
tion où il est demandé au patient de se promener dans un
56 Psycho-Oncol. (2012) 6:50-58
sous-bois agréable celui-ci n’y arrive pas ou sent une tension
traverser son corps ou toute autre chose plus ou moins
saugrenue, ces éléments seront repris par la sophrologue en
fin de séance et travaillés par ses soins avec les protocoles et
dispositifs qui sont les siens. Mais si ces éléments viennent à
être évoqués dans l’entretien clinique avec le psychologue,
alors ils prendront une autre valeur comme celles pouvant
potentiellement être symbolisées et amener le patient à réa-
liser une problématique psychique. Bien évidemment, le
patient peut aussi rapporter des éléments d’entretien clinique
au cœur de la sophrologie. Ces éléments prendront eux aussi
une autre valeur et pourront être traités par la sophrologue.
Reste à élaborer la relation des professionnels entre eux.
Le fait qu’il s’agisse, dans notre situation, d’un homme et
d’une femme peut amener le patient à fantasmer une prise
en charge par un couple parental. Cet inconvénient peut être
travaillé par les deux thérapeutes chacun de leur côté et par
une mise en sens et en lien de ce qu’ils vivent avec le même
patient afin de repérer si de tels fantasmes sont actifs ou non
et déjouer les pièges de ce qui pourrait ne pas être théra-
peutique. Un autre fantasme provenant des patients suivis
concomitamment avec le psychologue et la sophrologue est
celui du mariage, de l’amour infini entre les deux thérapeutes
dont le patient serait à la fois porteur et garant. Devant la
puissance de telles manifestations transférentielles, il est
obligatoire que les deux thérapeutes soient vécus comme
ayant chacun un espace et une place différenciés voire qu’ils
soient à certains moments en opposition. Quoi qu’il en soit,
nous ne sommes pas dupes que ces réaménagements perpé-
tuels, lors de la prise en charge d’un patient, perdurent dans
le fantasme des uns et des autres. Il semblerait que l’effet de
triangulation œdipienne permette une potentialisation de la
charge thérapeutique. Cette potentialisation, loin d’entraver
la psychothérapie ou d’aliéner le patient, permet un travail de
la symbolisation d’une possible « coïncidence des opposés »
décrite dans les travaux de Jung [12].
Un autre gain non négligeable du couplage thérapeutique
psychologie–sophrologie est lié aux représentations sociales
[6,11,16] qui sont véhiculées dans notre société de ce que
peut être la psychologie et de ce que peut être la sophrologie.
Dans notre expérience, il n’est pas rare qu’un patient accepte
l’offre d’une séance de sophrologie en refusant l’offre de la
psychologie sous prétexte soit qu’il n’en est pas là (il a
encore les ressources nécessaires pour affronter les événe-
ments), soit qu’il n’est pas fou. La représentation de « méde-
cine douce » véhiculée par la sophrologie est aidante et
facilitante dans la mise en relation, dans l’instauration de
l’alliance thérapeutique sophrologue–patient. Notre société,
via les médias, communique énormément sur les bienfaits
d’une nourriture saine, de la nécessité de se relaxer, de médi-
ter, d’apprendre à respirer. Nous assistons depuis quelques
années à l’émergence d’une société du bien-être [15]. Dans
ce contexte, la sophrologie se trouve soutenue positivement,
même si cela n’empêche pas certaines difficultés rencontrées
par les sophrologues pour être « reconnus » comme des
acteurs potentiels du soin. L’alliance psychologie–sophrolo-
gie nous semble heuristique, s’inscrivant dans une certaine
nécessité, voire un besoin de passer par le somatique sans
oublier le lien psychique. Si l’alliance médecine–psycholo-
gie passe souvent pour ne pas dire toujours par le clivage
somatopsychique, le programme proposé ici sous-entend et
sous-tend une approche somatopsychique. Dans ce cadre, le
corps dépasse sa condition d’objet du soin et devient sujet
du soin. Cette approche rend compte du lien entre le soma
et la psyché sans pour autant tomber dans le travers d’expli-
cations non scientifiques de certaines écoles psychosomati-
ques. Cette position trouve son fondement dans les recherches
médicales et psychologiques faites sur l’immunodépression
ou encore le stress [3]. Ajoutons à cela la place que donnent
les patients à l’articulation entre soma et psyché pour rendre
compte de leur expérience de la maladie [2].
Un autre point qui attire tout aussi fortement notre atten-
tion, c’est le travail sur ce que les « spirituels » appellent « la
méditation accompagnée » et que l’on pourrait traduire en
langage psychologique par une posture interne apaisée. La
méditation est en fait centrale dans tout travail avec la souf-
france psychique. Il ne s’agit pas pour nous de quelque chose
de religieux, mais bien un travail sur l’activité psychique
que doit entreprendre tout être humain pour être au mieux
dans son intériorité, sa spiritualité [7]. Nous comprenons la
méditation comme étant une posture psychique où on lâche
l’emprise de notre attention sur les pensées qui défilent ce
qui correspond à cette attitude dont parle Bion dans le fait
d’être to be at one ment with avec le patient et bien entendu
avec soi-même [1]. Le travail de la méditation est en mesure
de donner de surcroît un apaisement des affects, diminue les
tensions et les crispations, mais surtout une vraie liberté dans
la capacité à pouvoir recevoir et transformer les désagré-
ments et les très fortes émotions qu’un patient est amené
à vivre au cours de sa maladie.
Conclusion
Pour conclure nous souhaitons souligner que la démarche
que nous avons mise en œuvre s’inscrit dans une dynamique
d’ensemble qui ne vise pas la substitution des compétences
ou l’indifférenciation des « territoires » et compétences de
chacun des acteurs du soin impliqués dans la prise en charge
des patients. Cette démarche relève d’un objectif de cocons-
truction d’un espace qui potentialise les bénéfices potentiels
de chaque mode d’intervention dans une perspective holis-
tique centrée sur le patient. En ce sens, cette approche ne vise
pas nécessairement une articulation continue entre le travail
du psychologue et du sophrologue. Il s’agit d’une articula-
tion « silencieuse » dans le sens ou chaque intervention
Psycho-Oncol. (2012) 6:50-58 57
contribue, sans l’obligation d’une explicitation formelle
répétée, à l’élaboration d’un projet commun au bénéfice du
patient.
Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent que les séances de
sophrologie au sein du service d’oncologie médicale du
CHU de la Timone sont réalisées en partie grâce au soutien
financier de la Ligue Nationale Contre le Cancer (Comité
des Bouches-du-Rhône).
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