Reçu le 17 novembre 2009 Gardez-vous de comprendre ! Lacan [1] pensait à Jaspers [2]. Il n'avait pas lu Binswan-ger. Dommage, c ¸a lui aurait plu. On comprend, en lisant l'excellente (et pour l'heure unique) monographie que Caroline Gros consacre à ce psychiatre philosophe, combien la question de la compréhension, au centre de son oeuvre, trouve quelque échoparadoxal dans l'injonction de Lacan. Pour l'un comme pour l'autre, il s'agit de questionner les fondements de la compréhension. Que veut dire comprendre ? Que comprenons-nous au juste lorsque nous disons à propos d'autrui : je le comprends ? Voulons-nous dire : je me mets à sa place, ce qui reste de l'ordre de la psychologie populaire et rapporte l'autre à une pâle copie de soi ? Ou plus profondément, voulons-nous dire : qu'est-ce que l'autre vit vraiment en première personne et qui fait qu'aucun autre Soi ne peut lui être substitué ? C'est cette seconde voie qu'approfondît Binswanger sa vie durant. Comme Lacan, et bien avant lui, sur la base de l'énigme de la rencontre de l'autre, Binswanger va proposer une épistémologie critique de la psychanalyse. Critique de la notion de transfert qui tend à rapporter excessivement la relation présente à la seule répétition du passé, dès lors que cette répétition est pensée comme une explication finale. Critique de la notion de pulsion, qui en cherchant l'explication ultime dans la sexualité infantile alourdit l'interprétation d'une fonction biologique encore trop enracinée dans l'organe. Critique enfin de la notion de psyche, dont on ne peut faire une science sans questionner au préalable les fondements mêmes de la science dans Gros M. Ludwig Binswanger. Chatou : éditions de la Transparence 2009.