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La tolérance zéro en France: Succès d'un slogan, illusion d'un transfert

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Abstract

Zero tolerance in France This article analyzes transfers of U.S. public policies, focusing specifically on the influence of the New York Police Department’s “zero tolerance policing ” strategy on French crime control policies. An in-depth analysis of major French national newspapers shows undeniable support for this transfer in the media and in political and expert circles, which have taken it up as a slogan while gradually shifting its original meaning. In actual French crime control policies, however, both at local and national level, this supposed transfer turns out to be illusory, owing to insurmountable disparities between the institutional and professional codes and cultures of the two nations. Zero tolerance is, then, a good illustration of the gap between symbol and substance that may obtain in the transfer of public policies.
LA TOLÉRANCE ZÉRO EN FRANCE
Succès d'un slogan, illusion d'un transfert
Jacques de Maillard et Tanguy Le Goff
Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) | Revue française de science politique
2009/4 - Vol. 59
pages 655 à 679
ISSN 0035-2950
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2009-4-page-655.htm
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Pour citer cet article :
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de Maillard Jacques et Le Goff Tanguy, « La tolérance zéro en France » Succès d'un slogan, illusion d'un transfert,
Revue française de science politique, 2009/4 Vol. 59, p. 655-679. DOI : 10.3917/rfsp.594.0655
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LA TOLÉRANCE ZÉRO EN FRANCE
Succès d’un slogan, illusion d’un transfert
JACQUES DE MAILLARD ET TANGUY LE GOFF
S
’il est un domaine où, au cours des dernières années, les élites politiques françaises
ont cherché à l’étranger de nouvelles recettes d’action publique, c’est bien celui
de la lutte contre l’insécurité. Nombreux sont les emprunts, les références mobi-
lisées par les acteurs politiques français pour définir, dans leurs discours, « la » politique
qu’il conviendrait de mener pour lutter contre la délinquance. L’emprunt à des pro-
grammes et des idées venant de l’étranger s’est posé à de nombreuses reprises : le plaider
coupable instauré en 2002 n’est-il pas une importation du plea bargaining américain ?
L’adoption du bracelet électronique et la définition de ses modalités de mise en œuvre
n’ont-elles pas été précédées de fréquents voyages au cours desquels parlementaires et
membres du ministère de la Justice ont observé les pratiques existantes ailleurs
1
? Les
peines planchers pour les multirécidivistes adoptées par la nouvelle majorité en 2007 ne
sont-elles pas la directe application des politiques américaines imposant des sanctions
sévères et rigides aux délinquants les plus dangereux ?
On le voit, la référence aux pays anglo-saxons, et notamment aux États-Unis, appa-
raît ici essentielle. Si bien qu’en matière de politiques de sécurité et en matière criminelle,
s’est posée de façon récurrente la question de l’importation du modèle américain. Assiste-
t-on en France, comme dans d’autres pays occidentaux, à une américanisation des poli-
tiques publiques ? Sur cette question, on trouve dans la littérature internationale deux
ensembles de travaux aux conclusions opposées. Les premiers, à la suite des travaux de
D. Garland
2
et de N. Christie
3
, soulignent la transformation des sociétés occidentales et
la généralisation d’une nouvelle forme de contrôle sur les populations. La guerre contre
la drogue, l’incarcération massive, la montée d’une industrie pénale, l’introduction de
couvre-feux pour les mineurs représentent autant d’exemples de cette diffusion d’un
nouveau punitivisme, dont les États-Unis auraient représenté une préfiguration. C’est la
position retenue par exemple par L. Wacquant qui qualifie les politiques européennes de
« fac-similé » des politiques américaines
4
. Cette circulation de slogans et recettes d’action
publique entre États nations par le biais d’organisations professionnelles, de conférences,
de colloques conduirait, en France comme dans le reste de l’Europe, à l’importation d’un
modèle punitif américain ; modèle à partir duquel se construirait un État pénal qui se
1. Sur ce point, voir Jean-Charles Froment, Martine Kaluszynski (dir.), Justice et technolo-
gies. Surveillances électroniques en Europe, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2006
(CERDAP).
2. David Garland, The Culture of Control : Crime and Social Order in Contemporary Society,
Oxford, Oxford University Press, 2001.
3. Nils Christie, L’industrie de la punition. Prison et politique pénale en Occident, Paris,
Autrement, 2003.
4. Loïc Wacquant, Punir les pauvres. Le nouveau gouvernement de l’insécurité sociale, Mar-
seille, Agone, 2004, p. 269 et suiv. Et encore, nous dit-il, « un fac-similé de mauvaise qualité, parce
que même aux États-Unis, ces vieilles recettes sécuritaires, notamment la tolérance zéro, sont aban-
données parce que jugées inefficaces et offensantes pour une partie de la population » (p. 286).
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o
4, août 2009, p. 655-679.
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substituerait à l’État social. Quels sont les mécanismes à l’œuvre, selon L. Wacquant ?
Les politiques sécuritaires « made in USA » auraient connu une diffusion mondiale au
travers de trois dispositifs : les expériences américaines sont mises en forme par des think
tanks néoconservateurs ; elles sont diffusées par des médias complaisants et des organi-
sations équivalentes des think tanks américains ; elles sont légitimées scientifiquement
par des universitaires qui cautionnent l’adoption de méthodes et théories américaines.
Une seconde série de travaux présente un ensemble de conclusions contraires. Les
recettes américaines ne sont que rarement véritablement transférées, importées clef en
main. Les facteurs politiques, les cultures politiques nationales, les prismes institutionnels
transforment radicalement la nature des politiques transférées
1
. Tout en reconnaissant les
similarités entre certains développements que connaissent le Royaume-Uni et les États-
Unis, et l’adoption par les Britanniques de mesures initialement forgées aux États-Unis,
T. Jones et T. Newburn mettent en évidence les écarts et les usages différents de ces
réformes, qu’il s’agisse de la privatisation des prisons, des célèbres lois « three strikes
and you’re out » ou du traitement de la délinquance sexuelle
2
. Les stratégies politiques
poursuivies, le rôle des professionnels dans l’application des lois, l’existence de règles
de nomination spécifiques (qui impliquent une plus ou moins grande politisation), le
poids des cultures légales constituent des facteurs permettant d’expliquer les écarts. Si
certaines expériences américaines peuvent connaître un succès politique (être reprises
dans les médias, valorisées dans le discours politique), elles ne sont pas pour autant
traduites dans les politiques pénales ou policières. Les experts et universitaires, s’ils
peuvent jouer le rôle de passeur, sont loin de se transformer en chantres des politiques
américaines et n’ont qu’une influence limitée dans la fabrication concrète des dispositifs.
C’est principalement à ce deuxième ensemble de travaux que notre article souhaite
contribuer. Dans cette perspective, nous nous appuierons sur un exemple particulier,
amplement cité par les travaux défendant la thèse d’une possible américanisation des
politiques de sécurité française : l’usage de la référence à la tolérance zéro new-yorkaise
dans le débat français relatif aux politiques de sécurité. L’omniprésence de la référence
à la tolérance zéro dans le débat public pourrait laisser penser que celle-ci constituerait
une référence incontournable dans les politiques françaises. La réussite de cette recette
américaine dans les discours politiques se traduit-elle dans les politiques et les pratiques
des acteurs ? Comment les expériences américaines sont-elles prises en considération
dans l’élaboration de doctrines et d’instruments des acteurs administratifs et politiques ?
Quelles significations les acteurs donnent-ils à la tolérance zéro ? Ces questions sont au
cœur de cette analyse qui, en s’intéressant aux processus de transfert des politiques pénales
et de sécurité entre les États-Unis et la France, cherche à dégager des formes d’appro-
priation mais aussi d’instrumentalisation de « l’étranger » comme catégorie de discours
politiques et recette d’action publique.
1. Tim Newburn, Richard Sparks (eds), Criminal Justice and Political Cultures. National and
International Dimensions of Crime Control, Cullompton, Willan Publishing, 2004 (voir la présen-
tation dans Jacques de Maillard, « Insécurité, globalisation et transferts de politiques publiques »,
Revue française de science politique, 56 (4), août 2006, p. 737-743) ; James Q. Whitman, Harsh
Justice : Capital Punishment and the Widening Divide between America and Europe, New York,
Oxford, 2003 ; Michael Tonry, « Symbol, Substance and Severity in Western Penal Policies »,
Punishment and Society, 3 (4), 2001, p. 517-536.
2. Trevor Jones, Tim Newburn, « “Three Strikes and You’re Out”. Exploring Symbol and
Substance in American and British Crime Control Policy », British Journal of Criminology, 46 (5),
2006, p. 781-802 ; Policy Transfer and Criminal Justice. Exploring US Influence over British Crime
Control Policy, Maidenhead, Open University Press, 2007.
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Nous nous attacherons d’abord à saisir comment les expériences anglo-saxonnes ont
été mobilisées par les acteurs politiques, à la suite de leur diffusion médiatique et experte,
afin d’adopter et de légitimer un changement dans le type de politiques de sécurité à
mener. Nous mettrons ensuite en évidence l’écart important entre la circulation de slogans
et la circulation réelle des programmes, des doctrines et des outils d’action publique que
révèle le faible nombre d’expériences concrètes réellement inspirées de la tolérance zéro.
Enfin, nous soulignerons les déplacements, les glissements et les réappropriations dont
la tolérance zéro a fait l’objet.
LA TOLÉRANCE ZÉRO : LE SUCCÈS D’UN SLOGAN
Le succès de la tolérance zéro auprès d’une partie des élus, en particulier des maires,
est indissociable d’un travail de construction et de diffusion par une série d’acteurs du
modèle policier new-yorkais du Quality of life qui a été fortement médiatisé au travers
du slogan tolérance zéro. C’est d’ailleurs ce slogan que les élus retiennent du modèle
policier new-yorkais, que nombre d’entre eux partent découvrir et qu’ils instrumentalisent
dans le cadre des compétitions politiques locales ou nationales.
LE « MIRACLE NEW-YORKAIS » : CONSTRUCTION ET DIFFUSION D’UNE RÉUSSITE
POLICIÈRE DANS L’ESPACE PUBLIC FRANÇAIS
Les premiers acteurs de l’exportation outre-Atlantique de la tolérance zéro sont le
chef du New York Police Departement (NYPD), W. Bratton, et le maire républicain de
New York, R. Giuliani, qui a défendu avec ardeur cette stratégie policière dans sa ville.
Méthodes, résultats et marketing d’une stratégie policière
Précisons tout d’abord ce qu’est le modèle new-yorkais de la tolérance zéro. Il s’agit
d’une stratégie policière développée par le chef du NYPD, W. Bratton, à partir de 1994,
qui repose sur plusieurs principes et méthodes d’action. Le premier principe, qualifié de
tolérance zéro, est le développement d’une politique visant à restaurer la loi et la sécurité
en donnant une réponse systématique à tous les faits pénaux, aussi mineurs soient-ils,
mettant en question l’ordre public. Cette idée de tolérance zéro s’inspire de « la théorie
des vitres cassées » de deux universitaires américains, J. Wilson et G. Kelling
1
, qu’ils
présentent dans un article intitulé « Broken windows », publié en 1982. Leur thèse est la
suivante : tous les comportements incivils et délictueux mais aussi tous les signes phy-
siques de dégradations détériorant la qualité de l’espace urbain doivent être rapidement
réparés afin d’éviter que ne s’installe un sentiment d’abandon de cet espace qui conduirait
à une spirale du déclin urbain. Le lien entre cette théorie initiale et la politique de la
tolérance zéro mise en œuvre est cependant un sujet de débats. Si la politique de la
tolérance zéro new-yorkaise se prévaut de la théorie de Wilson et Kelling, elle tendrait
néanmoins à en dénaturer le sens originel. Certains, à l’instar du sociologue F. Ocqueteau,
1. James Q. Wilson, George L. Kelling, « Broken Windows. The Police and Neighborhood
Safety », The Atlantic Monthly, mars 1982 (dont on trouve une traduction dans Les Cahiers de la
sécurité intérieure, 15, 1994, p. 163-180, avec une présentation de Dominique Monjardet).
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estiment que la référence à cette théorie serait bien plus motivée par un souci de « justifier
rétrospectivement la réussite d’une politique policière de fermeté qu’une volonté de mettre
en pratique la doctrine de Wilson et Kelling »
1
. Quoi qu’il en soit, la tolérance zéro ne
constitue qu’une des dimensions de ce qui fait le modèle policier du maire de New York.
Sa mise en place a accompagné une réorganisation en profondeur de l’appareil policier
qui se traduit d’une triple manière : changement des deux tiers des cadres policiers,
augmentation sensible des effectifs (on en compte 40 000 en 2000, alors qu’ils n’étaient
que 27 000 agents en 1990) et intégration au sein du NYPD, dans le but de créer une
seule entité, de deux corps de police (la police du métro et la police des logements
d’habitat social). La réorganisation du NYPD s’est doublée de la mise en œuvre d’un
nouveau mode de management de la police (Reengineering) reposant sur une gestion par
objectifs, une plus grande décentralisation et responsabilisation du commandement opé-
rationnel. Ce management est indissociable de l’implantation d’un programme d’analyse
informatique de la délinquance Compstat (computer statistics), qui vise à disposer en
temps réel des principaux indicateurs de la délinquance. Sur la base de ce recueil territorial
des statistiques des différents commissariats, l’objectif est d’identifier les « hot spots »
(points chauds) pour favoriser le ciblage de l’action des forces de police et assigner aux
responsables de la police, dans chaque precinct, des objectifs quantifiés.
La mise en œuvre de l’ensemble de ces mesures et principes aurait, selon les pro-
moteurs de cette stratégie policière, permis une baisse sensible de la délinquance à New
York, de 57 % sur la période 1993-2000
2
. Il est difficile de déterminer exactement
l’impact de cette stratégie policière sur la diminution de la criminalité de cette ville au
regard d’autres variables (démographique, économique, criminologique changement au
niveau de la consommation des drogues, etc.
3
). Ceci n’a pas empêché W. Bratton de
s’appuyer sur la baisse de la courbe de la criminalité pour assurer la promotion de sa
méthode policière agressive, dont il estime qu’elle « marcherait dans n’importe quelle
1. Frédéric Ocqueteau, « Avant-propos », dans Frédéric Ocqueteau (dir.), Community Poli-
cing et Zero Tolerance à New York et Chicago. En finir avec les mythes, Paris, La Documentation
française, 2003, p. 8. Voir également Ralph B. Taylor, « Incivilities Reduction Policing, Zero Tole-
rance, and the Retreat from Coproduction : Weak Foundations and Strong Pressures », dans David
Weisburd, Anthony Braga (eds), Police Innovations. Contrasting Perspectives, Cambridge, Cam-
bridge University Press, 2006, p. 98-114.
2. La baisse est particulièrement significative en matière d’homicides, dont le nombre a été
presque divisé par trois (on en comptait 671 en 2000, au lieu de 1927 en 1993). Elle l’est aussi
pour les vols avec violence (– 62 % : 32 240 faits enregistrés en 2000, au lieu de 98 200 faits
enregistrés en 1993) ou encore les cambriolages (– 62,10 % : 38 255 faits enregistrés en 2000, au
lieu de 100 936 en 1993). Pour plus de détails sur les données statistiques de la criminalité à New
York de 1993 à 2000 et sur la genèse de la tolérance zéro à New York, se référer à l’article très
précis de François Dieu, « La police et le miracle new-yorkais. Éléments sur les réformes du NYPD
(1993-2001) », dans F. Ocqueteau (dir.), Community Policing..., op. cit., p. 37-80. Voir aussi Eli
B. Silverman, NYPD Battles Crimes. Innovative Strategies in Policing, Boston, Northeastern Uni-
versity Press, 1999.
3. Sur les débats académiques aux États-Unis relatifs aux causes de la baisse de la criminalité,
voir John E. Eck, Edward R. Maguire, « Have Changes in Policing Reduced Violent Crime ? An
Assessment of the Evidence », dans Alfred Blumstein, Joel Wallman (eds), The Crime Drop in
America, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 207-265, dont p. 224-228, Bruce
D. Johnson, Andrew Golub, Eloise Dunlap, « The Rise and Decline of Hard Drugs, Drugs Markets,
and Violence in Inner-City New York », dans ibid., p. 164-206 ; Andrew Karmen, New York Murder
Mistery : The True Story behind the Crime Crash of the 1990’s, New York, New York University
Press, 2001.
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ville du monde »
1
. Il s’est d’ailleurs employé à l’exporter par un intense travail de mar-
keting via des livres, des colloques, des interventions dans des médias internationaux.
Dès janvier 1996, soit deux ans après sa prise de fonction, il fait ainsi la une du Time
Magazine
2
. Une politique de communication et un triomphalisme jugés excessifs, semble-
t-il, par le maire de New York, puisqu’il le remplace quelques mois plus tard par un
cadre de la police plus discret et plus contrôlable : H. Safir. Pourtant, R. Giuliani
s’empresse lui aussi, au terme de son mandat, d’exporter son savoir-faire à l’étranger. En
2002, il crée sa propre entreprise de sécurité et met son expérience au service du maire
de Mexico, qui le charge, avec 15 membres de son ancienne équipe du NYPD, de réaliser
un diagnostic de sécurité dans sa ville et de réorganiser sa police en y développant les
méthodes new-yorkaises. C’est bien le signe de la réussite de la politique de marketing
3
autour du modèle new-yorkais développée par les deux hommes qui ont su véhiculer,
auprès des médias internationaux, l’idée que leur stratégie policière avait eu un impact
positif sur la décroissance de la délinquance.
Une diffusion favorisée par les grands quotidiens nationaux
En France, sur la période 1998-2004 qui correspond à une très forte production
d’articles consacrés aux questions d’insécurité par la presse nationale française, les médias
font un large écho aux résultats obtenus par la politique de la tolérance zéro new-yorkaise.
Ceci ressort très clairement d’une recherche que nous avons réalisée sur l’ensemble des
articles consacrés, dans les grands quotidiens nationaux, à la tolérance zéro sur cette
période, en utilisant la base de données Europresse.com (cf. infra).
Tout d’abord, nous avons recherché le nombre d’articles évoquant les méthodes du
NYPD et son évolution sur cette période de 8 années, marquée par deux moments impor-
tants de la vie politique locale et nationale : les élections municipales de 2001 et l’élection
présidentielle de 2002, l’insécurité a occupé une place centrale dans les débats poli-
tiques. Une requête fondée sur un double critère « tolérance zéro » et « New York » met
en évidence une augmentation certaine du nombre d’articles à la fin des années 1990,
suivie d’une baisse depuis 2002. Le nombre élevé d’articles consacrés à la tolérance zéro
à New York, dans les années 2001 et 2002, est symptomatique de la place occupée par
les questions de sécurité dans l’espace politique et médiatique lors de ces périodes élec-
torales. Si l’on procède à une analyse plus détaillée par quotidien, il apparaît que ceux
qui mobilisent le plus cette référence sont Le Monde (30 articles sur la période considérée)
et Le Figaro (28), avec des points de vue contrastés. Ensuite, nous avons étudié la manière
dont les grands quotidiens nationaux rendent compte de cette stratégie policière en ana-
lysant l’ensemble des articles et en les classant en trois catégories : « neutres », « posi-
tifs », « critiques ».
1. William Bratton, Peter Knobler, Turnaround : How America’s Top Cop Reversed the Crime
Epidemic, New York, Random House, 1998, p. 309.
2. « Finally, We’re Winning the War against Crime. Here’s Why », Time Magazine, 15 jan-
vier 1996.
3. Seule l’expérience new-yorkaise fait l’objet d’une importante couverture médiatique, alors
qu’au même moment, d’autres villes américaines, avec des méthodes distinctes inspirées du com-
munity policing, obtiennent des résultats similaires sur la baisse de la délinquance : Chicago, Seattle,
San Diego ou Boston. Sur l’activité entrepreneuriale de Bratton et Giuliani pour exporter le « miracle
new-yorkais », voir T. Jones, T. Newburn, Policy Transfer and Criminal Justice..., op. cit.,
p. 120-127.
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Source : base de données Europresse.com, qui répertorie les articles des journaux suivants : La Croix,
La Tribune, Le Monde, Libération, Le Figaro, Les Échos, Le Parisien, L’Humanité, L’Express, Le Point,
Le Nouvel Observateur, Le Monde diplomatique, L’Expansion.
Une première catégorie d’articles adopte une position « neutre » (n = 39). Cette caté-
gorie se subdivise en deux. Il s’agit, d’abord, des articles qui se contentent de décrire,
souvent très sommairement, ce à quoi correspond le modèle policier new-yorkais ou
évoquent les expériences étrangères qui s’en sont inspirées (n = 28). Le deuxième type
d’articles adopte une approche partagée sur les mérites et les effets négatifs de cette
politique policière (n = 11).
Une seconde catégorie d’articles (n = 33) se caractérise par la description positive du
modèle new-yorkais, vantant ses résultats supposés, ainsi que le volontarisme et le pragma-
tisme des autorités new-yorkaises face à la délinquance. Dans certains, il est même fortement
conseillé aux autorités publiques françaises de s’en inspirer. C’est dans cette perspective que
se place la majorité des articles et surtout des éditoriaux du journal Le Figaro, qui, dès 1997,
par un article intitulé « New York à la baguette »
1
, s’est engagé dans une campagne pro-
motionnelle du modèle new-yorkais en ouvrant largement ses espaces d’expression (tribunes,
entretiens) aux experts (A. Bauer) ou acteurs politiques le défendant (l’ancien magistrat et
député RPR de la Haute-Vienne, A. Marsaud
2
; l’adjoint au maire de Paris chargé des ques-
tions de sécurité de 1989 à 2001, Ph. Goujon
3
; l’adjoint au maire d’Orléans délégué à la
sécurité et à la prévention de la délinquance de 2001 à 2008, F. Montillot
4
). À titre d’illus-
tration, on peut citer cet extrait d’un article du journaliste R. Girard qui, au lendemain de la
1. « New York à la baguette », Le Figaro, 10 décembre 1997.
2. « Pour une police placée sous l’autorité des maires », Le Figaro, 15 mai 2000.
3. « Pour une police de qualité de la vie », Le Figaro, 24 août 1999.
4. « Sécurité : les élus locaux ont aussi leur mot à dire », Le Figaro, 14 mars 2000.
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publication par le ministère de l’Intérieur des chiffres de la délinquance de l’année 2001,
estime « qu’il est urgent d’importer en France le principe de la tolérance zéro qui, appliqué
à New York par le maire Giuliani, a considérablement fait baisser petite et grande délin-
quance »
1
. Le premier trait caractéristique de cette catégorie d’articles est qu’ils ne tendent
à retenir du modèle policier new-yorkais que la stratégie « payante », sur la baisse des courbes
de criminalité, « d’une police omniprésente et musclée, c’est-à-dire active »
2
, sans évoquer
les autres causes susceptibles d’expliquer cette baisse. Le second trait dominant de ces articles
tient à l’utilisation de la référence au modèle new-yorkais pour étayer une vigoureuse critique
des orientations policières du gouvernement de gauche ; et plus largement, de sa politique
« mystificatrice », « angélique » et « laxiste » en matière de lutte contre une insécurité qui,
« telle une gangrène, s’est répandue partout en France, dans les banlieues, dans le centre des
villes, dans les campagnes »
3
. Se faisant l’écho d’une étude conduite par deux consultants
en sûreté urbaine, A. Bauer et S. Quéré, affirmant que « la France est désormais plus crimi-
nogène que les États-Unis », un journaliste du Figaro suggère ainsi de prendre exemple sur
le volet répressif du modèle new-yorkais plutôt que sur la pratique du community policing
4
dont se serait inspirée la police de proximité mise en place par J.-P. Chevènement en 1998 :
« À New York, l’on pratique la tolérance zéro contre les délinquants, les chiffres définitifs
pour 2000 aboutissent à des résultats auxquels on n’ose même plus rêver à Paris [...]. La
France, elle, n’a retenu de l’exemple américain que le concept de police de proximité »
5
.
Bref, écrit un journaliste du Figaro, il faut mettre fin à « la trop longue passivité des pouvoirs
publics »
6
et inscrire la France dans le mouvement européen qui fait prévaloir la répression
sur la prévention. On le voit par ces références au modèle new-yorkais, les journalistes et
éditorialistes du journal Le Figaro et, plus tardivement, La Croix, au nom d’une approche
« réaliste » visant à s’inspirer des « bonnes recettes utilisées à l’étranger »
7
, des recettes
« payantes », disqualifient la politique conduite par le gouvernement Jospin.
Une troisième catégorie d’articles (n = 33) pose un regard plus critique sur le modèle
new-yorkais, contestant ses supposés bénéfices, faisant état de ses conséquences négatives
et en critiquant les principes sous-jacents. Si l’impact sur la diminution de la délinquance
n’est pas systématiquement discuté, celle-ci n’est pas simplement imputée à la politique
de réponse systématique à tout acte de délinquance. S’appuyant sur le scepticisme de
criminologues
8
, des articles présentent les autres facteurs possibles de décroissance de
la criminalité, tels que la prospérité économique, le déclin du crack à l’origine de nom-
breux meurtres et agressions. Mise en doute de l’efficacité de cette politique, mais aussi
critique d’une stratégie policière agressive qui s’accompagne « de la multiplication des
bavures et d’accusations de discrimination raciale portées contre la police. Les
1. « L’urgence de la tolérance zéro », Le Figaro, 29 janvier 2002.
2. « New York à la baguette », art. cité.
3. « L’urgence de la tolérance zéro », art. cité.
4. Le community policing désigne une stratégie policière fondée sur l’établissement de liens
entre police et population. Le community policing, malgré des définitions très différentes, repose
sur l’idée générale que l’activité de la police doit s’appuyer sur la relation constante avec la popu-
lation, une décentralisation de l’organisation policière et un déplacement des missions de la police
vers la prévention et la résolution de problèmes (Wesley Skogan, « The Promise of Community
Policing », in D. Weisburd, A. Braga (eds), Police Innovation..., op. cit., p. 27-43).
5. Le Figaro, 18 juin 2001.
6. « Dossier élections : les enjeux de 2002. Sécurité : la trop longue passivité des pouvoirs
publics », Le Figaro, 18 mars 2002.
7. « Insécurité, les bonnes recettes utilisées à l’étranger : États-Unis, la “tolérance zéro” réussit
à New York », La Croix, 7 juin 2002.
8. Cf. note 3, p. 658.
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La tolérance zéro en France
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communautés noires et les latinos se plaignent de harcèlement permanent. Le délit de
faciès est une réalité dans les rues du Bronx, du Queens et de certains quartiers de
Brooklyn »
1
. Ici, le journaliste du Monde n’invite donc pas à réclamer son application
« urgente », mais bien au contraire souligne les risques qu’il y aurait à s’en inspirer. C’est
une position que l’on retrouve régulièrement dans les pages « Rebonds » du journal Libé-
ration des chercheurs
2
et des magistrats
3
prennent position contre la volonté
d’importer le modèle new-yorkais.
Ainsi, les journalistes des grands quotidiens nationaux par leur référence régulière
à la tolérance zéro, présentée tantôt comme une réussite, tantôt comme l’incarnation des
dérives possibles, participent à placer cette recette d’action publique comme un point de
référence du débat politique relatif à l’insécurité sur lequel les acteurs politiques vont
devoir prendre position. Ils ne sont toutefois pas les seuls. La forte visibilité dans le débat
public et politique de la tolérance zéro, à la fin des années 1990, tient également aux
multiples références faites au modèle new-yorkais par deux catégories d’acteurs : les
experts en sécurité et les professionnels de la police. Précisons que ces acteurs intervien-
nent aussi dans le champ des médias mais, pour des raisons analytiques, nous avons fait
le choix de les traiter séparément.
Une diffusion experte
À partir de 1997, période la gauche gouvernementale fait de l’insécurité l’une
de ses priorités d’action, les prises de position d’experts en sécurité visant à éclairer le
débat public sur cette question, en proposant des idées ou en évoquant des recettes qui
marcheraient, se multiplient. Précisons que le terme d’experts est ici entendu dans un
sens large : cette catégorie renvoie aux acteurs qui sont dans une position où, au nom de
la détention d’un savoir, ils effectuent des recommandations en direction des autorités
politiques. Elle recouvre donc des figures diversifiées allant du professionnel du monde
policier au consultant en sécurité. Ces prises de position prennent la forme de tribunes
ou d’entretiens dans les quotidiens nationaux, de livres, de participation à des colloques
où, de manière récurrente, il est fait référence à la tolérance zéro new-yorkaise, soit pour
en vanter les mérites et inciter les acteurs politiques à s’en inspirer, soit pour s’en
démarquer.
Parmi les nouveaux experts en sécurité, dont le nombre et l’influence se sont sen-
siblement renforcés avec le développement d’un marché de l’expertise en sécurité au
milieu des années 1990
4
, une figure, par sa présence dans les médias et ses nombreux
ouvrages, émerge : celle d’Alain Bauer
5
. Il est l’auteur de tribunes dans les quotidiens
nationaux et d’ouvrages dans lesquels il développe une vision alarmiste de l’insécurité
1. « Insécurité urbaine. La déplorable spécificité française », Le Monde, 2 février 1999.
2. Hugues Lagrange, « L’impasse sécuritaire de la gauche française », Libération, 6 décembre
2001.
3. Gilles Sainati, « Ordre social, désordre judiciaire », Libération, 12 avril 2000.
4. Sur l’influence des experts en sécurité auprès des maires, voir Tanguy Le Goff, Jean-Paul
Buffat, « Quand les maires s’en remettent aux experts. Une analyse des liens entre les cabinets de
conseil en sécurité et les maires », Les Cahiers de la sécurité intérieure, 50, 2002, p. 150-169.
5. Ancien conseiller de M. Rocard, après un passage dans une entreprise américaine spécia-
lisée dans l’intégration de systèmes informatiques (SACI) travaillant principalement avec la NASA,
A. Bauer crée en 1994 une entreprise de sûreté urbaine AB associates. Il est depuis 2002 président
du conseil d’orientation de l’Observatoire national de la délinquance, OND, créé par le ministre de
l’Intérieur.
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Jacques de Maillard, Tanguy Le Goff
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en France, qui se dégraderait, et il propose de suivre d’autres « modèles et exemples
étrangers », notamment celui de New York. Dans un ouvrage intitulé Violences et insé-
curité urbaines, co-écrit avec un journaliste, X. Raufer
1
, les deux auteurs considèrent
ainsi que « l’exception française » ne pourrait se permettre d’ignorer une telle réussite
qui fait figure de modèle. Les deux auteurs prennent toutefois la précaution de préciser
qu’il « ne s’agit pas simplement de décalquer le travail policier et judiciaire new-yorkais »
(p. 60). Expert reconnu par les médias, bénéficiant de tribunes régulières et d’un rôle
influent de conseiller auprès des ministres de l’Intérieur, de droite comme de gauche, et
de nombreux maires via notamment l’Association des maires de France, A. Bauer parti-
cipe indiscutablement par son multipositionnement à la construction et la diffusion d’une
représentation positive du modèle new-yorkais de la tolérance zéro.
Ce modèle est également valorisé par un think tank libéral, à la tête duquel se trouve
l’ancien patron d’AXA, Claude Bébéar : l’Institut Montaigne. Celui-ci, à la veille de la
campagne présidentielle de 2002, se prononce, dans un rapport intitulé Management
public et tolérance zéro, en faveur de l’instauration en France du modèle new-yorkais.
En préface, le président de l’Institut Montaigne expose sans ambages la visée de cette
réflexion sur le management public : « Améliorer la qualité des services publics mais
aussi réduire la part des prélèvements obligatoires en substituant à une logique de dépenses
une logique de résultats »
2
. Pour parvenir à cet objectif, la principale solution préconisée
dans le rapport est de s’inspirer du modèle new-yorkais en faisant « de la tolérance zéro
le principe fondateur de la doctrine d’emploi des forces de l’ordre : à tout délit constaté
doit correspondre une réponse répressive ». Présentant, chiffres à l’appui, la tolérance
zéro appliquée par le NYPD comme une « expérience d’une très grande efficacité dans
la lutte contre la délinquance », il fustige les réticences des pouvoirs publics à l’appliquer
en France. Et il recommande aux autorités publiques « de mettre en place un véritable
contrôle de gestion des forces de l’ordre, mesurant le temps de travail effectif, sa répar-
tition entre les missions et les résultats obtenus. Responsabiliser les cadres et les agents
en fonction des résultats »
3
. On retrouve des principes et idées-forces du modèle new-
yorkais : une culture du résultat chaque chef de circonscription doit avoir des objectifs
chiffrés, une plus grande responsabilisation des agents et une meilleure répartition des
moyens par fusion ou redéploiement des services de police.
Dans l’orientation des politiques nationales de sécurité, une seconde catégorie
d’acteurs joue traditionnellement en France un rôle clé : les syndicats de police. C’est
tout particulièrement vrai au milieu des années 1990 le syndicat des commissaires et
hauts fonctionnaires de la police nationale (SCHFPN) participe activement aux débats
sur l’insécurité
4
, notamment par la publication de nombreux articles dans la presse natio-
nale et des ouvrages sur le thème
5
. Son positionnement par rapport au modèle new-yorkais
1. Alain Bauer, Xavier Raufer, Violences et insécurité urbaines, Paris PUF, 1998
(Que-sais-je ?).
2. Institut Montaigne, Management public et tolérance zéro, novembre 2001, p. 3.
3. Institut Montaigne, ibid.,p.5.
4. Dans la préface d’un des ouvrages du commissaire Bousquet (membre du SCHFPN),
André-Michel Ventre, secrétaire général du SCHFPN, estime ainsi que le temps de la « discrétion
forcée » des policiers est révolu et que son syndicat doit « contribuer au travail de réflexion sur les
grands problèmes de notre société en étant le véhicule des analyses et des expertises opérées par
certains de ses membres (Richard Bousquet, Insécurité : nouveaux enjeux, Paris, L’Harmattan,
1999). Cf. Laurent Mucchielli, « L’expertise policière des violences urbaines », Informations
sociales, 92, 2001, p. 14-23.
5. Parmi les ouvrages de membres du SCHFPN, citons Richard Bousquet, Insécurité : nou-
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La tolérance zéro en France
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s’avère donc particulièrement intéressant. Or, aussi bien dans ces ouvrages que dans la
revue des commissaires La tribune des commissaires –, la tolérance zéro n’est que très
rarement évoquée et, quand elle l’est, ce n’est que succinctement et de surcroît bien
souvent pour s’en démarquer. À titre d’illustration, dans la critique de la police de proxi-
mité qu’il formule dans son ouvrage L’insécurité en France
1
, O. Foll (ancien directeur
de la police judiciaire parisienne), consacre trois lignes à la tolérance zéro new-yorkaise
qu’il présente comme une recette permettant de lutter contre le « laxisme » en concluant
sur l’idée que « cet exemple mérite réflexion pour voir dans quelle mesure il pourrait
être adapté dans notre pays ». En revanche, dans les solutions pratiques qu’il préconise
à la fin de son ouvrage, il n’y est nullement fait référence. La même discrétion est de
mise dans l’ouvrage que co-écrit un inspecteur général de la police nationale, L. Rudolph,
avec Ch. Soullez (futur chef de département à l’Observatoire national de la délinquance)
dans leur ouvrage, Insécurité : la vérité
2
. La posture rétive des hauts fonctionnaires de
police au modèle new-yorkais s’explique en grande partie par la crainte de se voir imposer
un modèle de fonctionnement de la police nationale, police du quotidien, les com-
missaires se trouveraient sous la responsabilité directe d’un maire auquel ils devraient,
comme sous la Troisième République, rendre des comptes. De manière significative, dans
une tribune publiée dans le journal Le Monde intitulée « Sécurité : se garder des pseudo-
miracles », le secrétaire général du SCHFPN prend ses distances avec le modèle new-
yorkais. Il défend en effet l’idée que la forte criminalité qu’a connue New York dans les
années 1980 tiendrait aux difficultés financières de cette ville qui ont eu pour conséquence
une diminution des effectifs du New York Police Departement ayant « profondément
affecté son potentiel. En revanche, ce sont aussi des fonds fédéraux qui ont permis les
recrutements nécessaires dès 1990 et, par conséquent, le redressement spectaculaire qui
impressionne nos élites »
3
. Au regard des dérives supposées d’une « municipalisation »
de la police, le modèle de New York « doit, estime-il, inviter à la plus grande prudence
les maires qui rêvent de gérer, y compris au plan budgétaire, la sécurité de leur
commune »
4
.
Ces multiples interventions dans l’espace public faisant référence à la tolérance zéro
témoignent dans une période la gauche s’empare du thème de l’insécurité, elle
cherche des solutions, des recettes nouvelles d’une effervescence du débat quant aux
réponses à privilégier pour y remédier.
DÉCOUVERTE ET USAGES D’UN SLOGAN PAR LES ACTEURS POLITIQUES
S’il est difficile de mesurer leur impact auprès des élites politiques françaises, les
nombreuses références au modèle new-yorkais ont, en tous les cas, suscité l’intérêt de
nombre d’élus (de droite comme de gauche) qui, à partir de 1998, vont se rendre en
« pèlerinage » à New York pour voir dans quelle mesure il serait possible de s’inspirer
veaux risques. Les quartiers de tous les dangers, Paris, L’Harmattan, 1998 ; Insécurité : nouveaux
enjeux. op. cit. ; Luc Rudolph, Christophe Soullez, Insécurité : la vérité, Paris, Lattès, 2002.
1. Olivier Foll, L’insécurité en France. Un grand flic accuse, Paris, Flammarion, 2002.
2. L. Rudolph, C. Soullez, ibid.
3. André-Michel Ventre, « Sécurité : se garder des pseudo-miracles », Le Monde, 16 mars
2001.
4. A.-M. Ventre, ibid. Cf. infra sur les mises à distance expertes.
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Jacques de Maillard, Tanguy Le Goff
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des méthodes et des outils appliqués dans cette ville. Et certains vont rapidement mesurer
les usages qu’ils peuvent en faire, notamment dans le cadre des compétitions électorales.
Le policy tourism
1
des élus
Durant l’été 1998, une mission de l’Association des maires de France (AMF) à
laquelle participe le maire UDF d’Amiens, G. de Robien, et le maire PS de Mulhouse,
J.-M. Bockel, part à la découverte du NYPD. Elle est chargée de définir la position de
l’association sur le rôle des maires en matière de sécurité. Les deux élus assistent à une
revue de l’état-major policier et accompagnent une patrouille de police, dans le quartier
de Harlem notamment, la police, expliquent-ils à leur retour, « fait le ménage bloc
par bloc »
2
. En septembre 1999, Ch. Estrosi (député RPR et secrétaire national à l’ani-
mation de ce parti politique), à son tour, part découvrir la police new-yorkaise, dont il
explique la réussite par les méthodes de travail : « spécialisation, disponibilité, efficacité :
voilà le tryptique de la réussite méthodologique ». Tout juste élu maire de Lyon, après
une campagne la sécurité a constitué l’une des priorités de son programme électoral,
le socialiste G. Collomb rencontre, à l’occasion de l’Assemblée mondiale des villes, son
homologue R. Giuliani pour parler des problèmes de sécurité. Il en revient avec deux
convictions : d’une part, une réponse efficace à la délinquance passe par une politique
de réponse systématique à tout acte de délinquance « quand un cambrioleur casse un
carreau, il doit être remplacé aussitôt sinon vous en aurez un deuxième et le sentiment
d’insécurité débutera » d’autre part, il est nécessaire de coordonner les forces de sécurité
sur une ville sur le modèle de la « Task force du NYPD »
3
.
Bien d’autres élus, notamment ceux qui se sont spécialisés au sein de leur parti
sur les questions de sécurité, ont également fait le voyage à New York. À droite, c’est
le cas de l’adjoint chargé des questions de sécurité d’Orléans, F. Montillot, mais aussi
du futur maire de Toulouse, Ph. Douste-Blazy. En octobre 1999, celui-ci déclare à un
journaliste du Figaro : « J’ai décidé cet été de me rendre à New York afin d’étudier
les remèdes et les raisons de ce qui est présenté partout dans le monde comme une
réussite exemplaire. Il y a six ans, j’ai vécu plusieurs mois à New York j’avais
rejoint une équipe de chercheurs. Le contraste entre la situation d ’hier et celle
d’aujourd’hui est saisissant : il n’y a plus de zones de non-droit, Harlem n’est plus le
territoire de ces bandes rivales qui entretenaient un véritable climat d e guerre civile »
4
.
À gauche, Julien Dray (député de l’Essonne chargé des questions de sécurité au sein
du PS), dans le cadre de la rédaction d’un ouvrage il dresse le constat des problèmes
d’insécurité en France et des réponses à y apporter, se rend aussi à New York, en juillet
1998.
Le succès du slogan « tolérance zéro » conduit les élus à faire du policy tourism
à New York, il est aussi l’objet de plusieurs usages politiques ; trois peuvent être
distingués.
1. Nous empruntons l’expression à David Dixon et Lisa Maher Containment, Quality of
Life and Crime Reduction : Policy Transfers in the Policing of a Heroin Market », dans T. Newburn,
R. Sparks (eds), Criminal Justice and Political Cultures..., op. cit., p. 234-266, dont p. 259) qui
rappellent fort justement que le transfert du modèle new-yorkais résulte également de l’attractivité
de la ville, particulièrement propice à l’organisation de voyages d’étude.
2. « Deux députés français à l’école de la police new-yorkaise », Le Monde, 26 avril 2001.
3. « À Lyon, Gérard Collomb veut reconquérir la place des Terreaux », Le Figaro, 21 juin
2001.
4. Le Figaro, 2 octobre 1999.
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La tolérance zéro en France
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Les usages politiques de la tolérance zéro
Le premier usage est la mobilisation de la référence à la tolérance zéro dans le cadre
d’une stratégie de conquête électorale ou de démarcation politique au sein de son propre
camp. Elle a ainsi été agitée par des candidats comme « la » solution aux problèmes de
sécurité de la ville dans laquelle ils se sont présentés, particulièrement dans les grandes
villes Paris, Lyon, Marseille. L’instrumentalisation de ce slogan est principalement le
fait d’élus de droite jouant sur un registre punitif (plus de sanctions à l’égard des mineurs,
mise sous tutelle des allocations familiales) et cherchant à se construire une image de
candidat volontariste, ferme et efficace dans la lutte contre l’insécurité, autant de qualités
jugées positives qui seraient attachées à cette stratégie policière étrangère.
Dans cette perspective, l’usage de la tolérance zéro se double d’une critique du
modèle policier français, jugé inadapté à la résolution de problèmes parce que trop cen-
tralisé, alors que le traitement de la délinquance devrait être effectué à partir du local, à
partir des maires. La critique s’accompagne d’ailleurs d’un plaidoyer en faveur d’une
plus grande responsabilité des maires et d’un accroissement de leurs pouvoirs de police,
à l’instar de leur homologue new-yorkais. Significative à cet égard est la position défendue
à Lyon par Ch. Millon face au candidat officiel de la droite, M. Mercier. Il se dit convaincu
que « le pouvoir gouvernemental n’est plus à même de gérer cette question » et « propose
que le maire de Lyon et les maires d’arrondissement exercent pleinement leurs fonctions
d’officier de police judiciaire »
1
. De même, à Paris, dans le cadre de la lutte interne qui
oppose les différents candidats RPR, J. Toubon se dit partisan « d’un transfert des pou-
voirs de police au maire » afin de parvenir, comme à New York, à une « tolérance zéro
pour l’incivisme et la délinquance »
2
.
La tolérance zéro est également mobilisée dans une stratégie de repositionnement
au sein de son propre camp politique. On peut classer dans cette catégorie les prises de
position des « atlantistes » qui prônent, au sein du RPR, une ligne résolument libérale.
À la tête de Démocratie libérale, A. Madelin, dès 1998, s’est posé en fervent défenseur
du modèle new-yorkais
3
. Avec une position un peu plus nuancée, N. Sarkozy a joué sur
le même registre. Dans un passage de son livre Libre, publié en 2001, il vante les résultats
obtenus à New York : « D’autres démocraties que la nôtre, confrontées aux mêmes pro-
blèmes, ont obtenu des résultats. L’exemple new-yorkais est le plus connu. Il a même
fini par être banalisé. Qui aurait pu imaginer il y a seulement dix années que le métro
de New York deviendrait l’un des plus sûrs au monde ? » Au regard de « ce modèle de
réussite », il défend l’idée que « le responsable [de la sécurité] ne peut être que le maire,
démocratiquement élu et ayant la charge de la bonne marche quotidienne de la cité. Qui
contesterait que la sécurité ne fait pas partie de cette bonne marche ? »
4
.
Le second usage de la référence à la tolérance zéro est le fait d’élus dans le cadre
d’une critique « experte » de la politique gouvernementale. Ces élus ont pour particularité
de détenir un savoir spécialisé acquis dans leur activité professionnelle (magistrat, poli-
cier, avocat, consultant en sécurité). Et c’est précisément au nom de ce savoir, de leur
statut professionnel, qu’ils interviennent dans le débat public. Plusieurs figures de droite
peuvent ici être évoquées celles des juges G. Fenech et A. Marsaud, ou du consultant
1. Le Monde, 6 mars 2001.
2. « Toubon joue le Paris gagnant », Le Figaro, 30 juin 1998.
3. « Le président de DL s’efforce de tirer le libéralisme vers la modernité », Le Figaro,
19 octobre 1998.
4. Nicolas Sarkozy, Libre, Paris, Robert Laffont, 2001, p. 196 et p. 253-259.
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Jacques de Maillard, Tanguy Le Goff
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en sécurité, F. Montillot. Ce sont ces élus qui formulent les plus fervents plaidoyers en
faveur de la tolérance zéro. La tribune de G. Fenech dans Le Figaro du 5 novembre 2005,
il reprend mot à mot l’introduction de son ouvrage Tolérance zéro. En finir avec la
criminalité
1
, est significative de l’approche « punitive » défendue par certains de ces
« élus experts » : « Appliquée aux violences urbaines, la tolérance zéro ne signifie pas
l’éradication de toute forme de criminalité. La tolérance zéro est une nouvelle approche
du crime et de la violence. [...] La tolérance zéro veut aussi marquer une rupture avec
trente ans de tolérance sans bornes qui nous ont conduits à une impasse. [...] Finie, donc,
l’école de l’excuse, de la déresponsabilisation et de l’angélisme face à la criminalité. [...]
En France, le miracle new-yorkais est aussi possible »
2
. Ici, la tolérance zéro est donc
utilisée pour défendre une ligne de discours sur la lutte contre l’insécurité très dure, mais
assez éloignée du modèle new-yorkais, puisqu’elle est entendue avant tout comme une
réponse judiciaire et non policière. Sous couvert de nouveauté, voire de « modernité »,
par opposition aux recettes des politiques préventives taxées de « laxisme » et considérées
comme désuètes, il s’agit de défendre une politique classique de renforcement des mesures
répressives. Il s’agit aussi de redéfinir clairement les frontières partisanes en renvoyant
la gauche à son « angélisme ».
Le troisième usage est la mobilisation de la référence à la tolérance zéro par des
élus de gauche visant à afficher leur décomplexion sur un thème traditionnellement consi-
déré comme étant le monopole de la droite. On trouve principalement, parmi ces élus,
ceux qui sont classés à l’aile « droite » du parti socialiste, de tendance libérale, qui ne
cachent pas leur admiration pour la « troisième voie » de Tony Blair : J.-M. Bockel et
G. Collomb sont les deux principaux élus de gauche qui ont ainsi mobilisés la tolérance
zéro.
Quel qu’en soit l’usage, il est frappant de constater que le recours à la tolérance
zéro s’inscrit systématiquement dans le cadre d’une critique des vieilles recettes d’action
publique, de leur usure. Surtout, par ses succès sur la chute de la délinquance et la fermeté
qu’elle incarne, la mobilisation de la tolérance zéro permet d’afficher à la fois un fort
volontarisme politique (ne pas avoir peur) et une approche dite pragmatique renvoyant
« au bon sens » (on s’appuie sur ce qui marche ailleurs).
LA TOLÉRANCE ZÉRO DANS LES PRATIQUES DES ACTEURS
ET DES PROGRAMMES DE SÉCURITÉ
Au-delà des usages de ce slogan dans les batailles électorales, il convient de saisir
comment la tolérance zéro influence les politiques françaises de sécurité. Il s’agit donc
de s’intéresser aux effets pratiques de ces discours, à leur traduction dans des mesures,
des outils et des instruments d’action publique aussi bien à l’échelle nationale que locale.
Qu’est-ce qui est transféré ? Quel est le degré du transfert ? Quels sont les effets de ces
transferts ? Deux précisions tirées de la littérature sur les transferts de politiques publiques
sont ici nécessaires. Il est d’abord essentiel de réfléchir sur la nature de ce qui est trans-
féré
3
. Une politique publique est constituée d’un ensemble assez disparate d’éléments
1. Georges Fenech, Tolérance zéro. En finir avec la criminalité et les violences urbaines,
Paris, Grasset, 2001.
2. « Tolérance zéro. En finir avec la criminalité », Le Figaro, 5 novembre 2005.
3. David Dolowitz, David Marsh, « Learning from Abroad : The Role of Policy Transfer in
Contemporary Policy-Making », Governance, 13, 2000, p. 5-24.
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La tolérance zéro en France
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(symboles, doctrines, instruments de politiques) qui constituent des facettes différentes
de la réalité. La circulation des mots, des symboles, ne signifie pas nécessairement le
transfert des programmes et des instruments. Des pratiques peuvent être importées sans
qu’y soit fait référence dans le discours politique, parce qu’elles risqueraient par exemple
de ne pas apparaître légitimes politiquement. À l’inverse, des programmes peuvent être
annoncés à grand renfort de déclarations tonitruantes sans véritablement entrer dans des
programmes d’action
1
. Ensuite, plutôt que de présumer un mimétisme ou un transfert
total ou symétriquement, une imperméabilité des modèles nationaux –, il paraît plus
judicieux de distinguer entre plusieurs degrés de transfert : la copie (un programme est
tout simplement transféré), l’émulation (les idées derrière une politique particulière sont
adoptées ailleurs), la mixture (où différents programmes sont mélangés), l’inspiration (les
idées d’un programme particulier sont utilisées mais le programme final diffère signifi-
cativement)
2
. On verra ainsi que, si le modèle new-yorkais inspire un certain nombre de
réformes, sa mise en œuvre est, au mieux, partielle. L’usage du slogan « tolérance zéro »
masque en effet des pratiques qui, en raison notamment du contexte institutionnel français
(pouvoirs limités des polices municipales), de la culture préventive française bien ancrée
ou des résistances quant à une trop grande managérialisation de l’action policière, appa-
raissent comme sensiblement différentes des politiques new-yorkaises.
LA TOLÉRANCE ZÉRO DANS LA POLICE NATIONALE : DES INSPIRATIONS
LOINTAINES
Les ministres successifs depuis la fin des années 1990 ont à plusieurs reprises fait
référence à la tolérance zéro, souvent d’ailleurs de façon positive. C’est le cas notamment
de deux d’entre eux, J.-P. Chevènement et N. Sarkozy (cf. supra). Tous les deux ont
même organisé des voyages d’étude à New York afin de s’inspirer de ce qui se faisait
dans la capitale new-yorkaise.
Temps 1 : la mission Chevènement
Le ministre de l’Intérieur J.-P. Chevènement envoie une mission de cinq membres,
dirigée par un conseiller du ministre, le commissaire J.-P. Havrin, à New York pendant
une douzaine de jours au début de l’année 1998. À une époque le ministère de l’Inté-
rieur est en train de renouveler la doctrine d’emploi des forces de sécurité publique
3
,
l’expérience new-yorkaise constitue en effet un vivier potentiel pour les policiers français.
La mission rendra deux types de rapports, l’un retraçant l’expérience new-yorkaise, l’autre
effectuant des préconisations. Or, la mise à distance apparaît particulièrement nette.
D’abord, les policiers français soulignent que le droit américain autorise à la police des
pratiques que ne permet pas le droit français (notamment la possibilité de tendre des
pièges aux délinquants). Surtout, les préconisations inspirées du cas new-yorkais sont
1. Cette deuxième possibilité ne doit cependant pas conduire à nier l’existence d’un transfert.
Au contraire, il faut souligner l’importance de la dimension discursive dans les logiques de transfert,
à la suite de Patrick Hassenteufel De la comparaison internationale à la comparaison transnatio-
nale. Les déplacements de la construction d’objets comparatifs en matière de politiques publiques »,
Revue française de science politique, 55 (1), février 2005, p. 113-132, dont p. 125-130).
2. D. Dolowitz, D. Marsh, « Learning from Abroad... », art. cité, p. 13.
3. Voir le récit bien informé qu’en fait Sebastian Roché (Police de proximité, Paris, Seuil,
2005).
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Jacques de Maillard, Tanguy Le Goff
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très éloignées de ce que l’on pouvait a priori attendre de la tolérance zéro. La mission
retient en effet, selon le compte rendu qui en a été donné dans Le Monde
1
, les recom-
mandations suivantes : créer dans des sites pilotes des associations qui serviraient de
contacts avec les forces de police ; responsabiliser les policiers par secteur afin de créer
une obligation de résultats ; réaliser un sondage au sein de la police et de la population
pour savoir ce que les gens attendent de la police. Sur ces trois propositions, seule la
seconde renvoie directement à la politique de tolérance zéro, et encore, dans ses aspects
les moins répressifs (et les moins spécifiques, puisqu’il s’agit ici de modèles de police
assez répandus dans les pays anglo-saxons). Les deux autres ne renvoient pas à la tolé-
rance zéro, elles désignent plutôt des mesures de rapprochement entre police et population
(et témoignent en même temps à nouveau de la complexité de la politique new-yorkaise,
qu’il ne faut pas réduire à une simple politique de sanction accrue). Autrement dit, en
partant de New York, la mission retient d’abord et avant tout l’idée de community poli-
cing ! Par la suite, d’ailleurs, la réforme de la police de proximité s’éloignera quelque
peu de cette orientation de tolérance zéro, pour s’apparenter plutôt au community policing
anglo-saxon
2
. Si l’on reprend les catégories de transfert avancées plus haut, il s’agit ici
d’une inspiration (les idées sont reprises très librement) dans la mesure les « passeurs »
empruntent des pratiques de la police new-yorkaise qui sont assez éloignées du cœur de
la tolérance zéro.
Temps 2 : Sarkozy et la culture du résultat
La nouvelle politique conduite par le ministre de l’Intérieur, à partir de 2002, semble
correspondre plus fortement à la politique de tolérance zéro. On sait que N. Sarkozy n’avait
pas caché dans le passé l’appréciation positive qu’il avait des politiques new-yorkaises (cf.
supra). En outre, rapidement après son arrivée au ministère de l’Intérieur, en juillet 2002,
N. Sarkozy fait le voyage à New York et annonce une série de mesures, notamment autour
de « la culture du résultat », qui peuvent s’apparenter à la politique de tolérance zéro. Deux
registres différents vont être en fait mobilisés par le ministre de l’Intérieur. Le premier
consiste en une pénalisation accentuée d’un certain nombre de comportements (en parti-
culier les rassemblements gênants dans les halls d’immeuble) et en une réorientation de
l’action des forces de police vers la police judiciaire et l’interpellation des délinquants.
Cette réorientation, qui traduit une conception principalement répressive de l’usage des
forces de police, s’apparente à certains aspects du modèle new-yorkais, notamment dans
la tentative de réoccuper les espaces publics. Mais il faut se garder d’y voir une forme
d’emprunt, autre que lointain, aux méthodes new-yorkaises : il y a ici un retour à des
pratiques classiques de la police nationale autour de ses standards d’action traditionnels
3
.
1. « Une mission du ministère de l’Intérieur s’est rendue aux États-Unis du 26 janvier au
6 février », Le Monde, 16 février 1998.
2. Même si les logiques de transfert sont ici aussi loin d’être évidentes. Sebastian Roché
(Police de proximité, op. cit.) note plus une affinité entre les modèles de community policing et la
police de proximité à la française. Par ailleurs, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur au
début de la réforme, ne cache pas une certaine hostilité à l’égard de la « police communautaire »
anglo-saxonne qu’il soupçonne de trahir les idéaux républicains (S. Roché, ibid., p. 46-47).
3. Nicolas Sarkozy fait en effet appel aux responsables traditionnels de la police nationale
dans sa réorientation (notamment les responsables ayant déjà officié lors du passage de Charles
Pasqua au ministère de l’Intérieur), sans que l’on trouve trace d’une quelconque inspiration des
méthodes retenues par William Bratton (voir entretien avec Dominique Monjardet, « La crise de
l’institution policière ou comment y faire face ? », Mouvements, 44, mars-avril 2006, p. 67-77).
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La tolérance zéro en France
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Le second registre mobilisé par le nouveau ministre de l’Intérieur repose sur la tentative
d’imposer une « culture du résultat » au sein de la police française. Cette politique se traduit
notamment par la mise en place de tableaux de bord mensualisés avec convocation des préfets
ayant les meilleurs ou les plus mauvais résultats, par l’instauration de primes au mérite pour
les policiers, ainsi que par la diffusion d’instruments (tels que la main courante informatisée)
permettant d’avoir un meilleur suivi de l’activité des forces de police. Au sein de cet ensemble
de mesures, l’une d’elles, la convocation des préfets en fonction des évolutions de la délin-
quance dans leur département, n’est pas sans rappeler la pratique de la police new-yorkaise.
C’est d’ailleurs de la sorte qu’elle sera présentée par N. Sarkozy
1
. Toutefois, ici encore,
l’empreinte des modes opératoires nationaux demeure essentielle. Les réunions de la police
new-yorkaise sont hebdomadaires, impliquant un travail précis sur les zones de délinquance
(avec un logiciel, Compstat) et un examen des stratégies d’action conduites, réunions au
cours desquelles les responsables des différents precincts sont interrogés très minutieusement
et systématiquement par les dirigeants du NYPD. Les réunions organisées par le ministre de
l’Intérieur prennent, par contraste, un tour plus symbolique qu’opérationnel. Les réunions
sont mensuelles, présidées par le ministre et se déroulent au niveau national, ce qui rend
impossible une vraie réflexion opérationnelle, et ne sont convoqués que les préfets ayant les
meilleurs ou les plus mauvais chiffres. Autrement dit, le système new-yorkais est tourné
vers les dimensions opérationnelle et professionnelle et le traitement localisé des problèmes,
son appropriation française est caractérisée par l’affichage symbolique, l’implication du poli-
tique et la remontée au niveau national. Par ailleurs, quand les réunions new-yorkaises ont
induit des rétrogradations ou promotions, voire des licenciements, la politique française est
loin de comporter de telles conséquences en terme de gestion des carrières des fonctionnaires.
Ces réunions seront en outre abandonnées au bout de quelques mois.
De ce point de vue, la réorientation de la politique policière dans un sens « law and
order » par le nouveau ministre de l’Intérieur à partir de 2002 ne s’inspire que vaguement
des méthodes new-yorkaises. Le tournant répressif se conçoit plutôt comme un retour
aux méthodes traditionnellement valorisées par une partie de la profession policière fran-
çaise. La « culture du résultat » est très largement intégrée aux pratiques professionnelles
et politiques dominantes, ou plutôt réactivée à cette occasion. On notera, enfin, un autre
point dont les effets ne sont pas négligeables : le ministre de l’Intérieur s’annonce très
rapidement comme un futur candidat à l’élection présidentielle, cette stratégie politique
rendant particulièrement peu souhaitable la multiplication des bavures
2
. Or, on le sait,
l’un des défauts fréquemment pointés de la politique new-yorkaise a été justement l’exis-
tence d’une plus grande violence des forces policières
3
.
LA « TOLÉRANCE ZÉRO » DANS LES POLITIQUES LOCALES : DES EMPRUNTS
PARCELLAIRES
Voyons maintenant ce qu’il en est dans les politiques locales. Ici, la difficulté métho-
dologique est importante, dans la mesure nous n’avons que peu d’informations sur
1. « La police “au résultat” commence aujourd’hui », Le Figaro, 11 octobre 2002.
2. Voir, sur ce point, Fabien Jobard, « Sociologie politique de la racaille. Les formes de
passage au politique des “jeunes bien connus des services de police” », dans Hugues Lagrange,
Marco Oberti (dir.), Émeutes urbaines et protestations. Une singularité française, Paris, Presses de
Sciences Po, 2006, p. 59-79, dont p. 71-73.
3. Judith Greene, « Zero Tolerance : A Case Study of Police Policies and Practices in New
York City », Crime and Delinquency, 45 (2), 1999, p. 171-187.
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Jacques de Maillard, Tanguy Le Goff
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les politiques locales conduites en matière de police. Nonobstant cette précaution, il
semble que le nombre d’expériences locales la tolérance zéro a constitué une véritable
référence dans la conduite des politiques de sécurité soit particulièrement réduit. Dans
les travaux existants aujourd’hui sur les politiques locales de sécurité, nous n’avons pas
trouvé trace de maires revendiquant l’usage de la tolérance zéro et/ou de pratiques de
police municipale s’y référant explicitement
1
.
Aux Mureaux, par exemple, dont le maire avait adopté un style politique mêlant
punitivité et un certain populisme, il n’est pas question de référence à la tolérance zéro,
voire même de changement des pratiques de la police municipale dans un sens plus
punitif ou managérial
2
. Significativement, parmi les maires s’étant déclarés favorables à
la tolérance zéro, aucun d’eux n’a modifié les pratiques de sa police municipale dans un
sens conforme aux orientations de celle-là. Particulièrement symptomatiques sont, sur ce
point, les exemples des villes de Mulhouse ou d’Amiens. De retour de New York, les
maires de ces deux villes n’ont pas transformé la doctrine de leur police municipale dans
un sens conforme aux prescriptions du modèle new-yorkais
3
. Pour la ville de Lyon, dont
le maire s’est également déclaré favorable à cette politique, la mairie a redéployé ses
effectifs de police municipale et a conduit, en lien avec la police nationale, une politique
de surveillance des espaces publics (notamment autour des gares ferroviaires ou dans le
centre-ville) et d’implication accrue dans la lutte contre la petite délinquance, sans que
l’on puisse parler pour autant d’application de la tolérance zéro
4
. Les emprunts les plus
importants ont été opérés dans l’usage des instruments technologiques, et en particulier
les logiciels de cartographie de la délinquance et de mesure des résultats. Certaines villes
se sont dotées de logiciels permettant de localiser assez précisément les actes de délin-
quance au sein de la commune l’instar de Quimper, Aulnay-sous-Bois ou Roubaix
5
).
Si les élus locaux de droite laissaient paraître une plus grande réceptivité vis-à-vis du
« miracle new-yorkais », on ne trouve pas pour autant de logique partisane affirmée dans
la conduite des politiques locales.
Mais c’est sans doute le cas de la préfecture de police de Paris qui présente l’exemple
le plus poussé de tentative d’importation du Compstat new-yorkais
6
. Avec la réforme de
la police urbaine de proximité, ont été mis en place des Bureaux de coordination opéra-
tionnel (BCO) se trouve centralisée l’information en matière de procès-verbaux,
plaintes, comptes rendus d’activité des brigades et des îlotiers dans les différents arron-
dissements. Ces bureaux sont chargés de traiter et analyser l’information. À partir de
2001, le nouveau préfet de police de Paris commence à mettre en place des réunions
hebdomadaires par secteur sont examinés systématiquement les problèmes de
1. Voir Jérôme Ferret, Christian Mouhanna (dir.), Peurs sur les villes, Paris, PUF, 2005 ;
Tanguy Le Goff, Les maires : nouveaux patrons de la sécurité ?, Rennes, Presses Universitaires de
Rennes, 2008 ; Jacques de Maillard, « Les politiques de sécurité. Réorientations politiques et dif-
férenciations locales », Sciences de la société, 65, mai 2005, p. 105-122.
2. Jacques de Maillard, « Sans angélisme. De la lutte contre l’insécurité dans une commune
de banlieue parisienne », dans J. Ferret, C. Mouhanna (dir.), Peurs sur les villes, ibid., p. 45-61.
3. Pour Amiens, voir Tanguy Le Goff, « Un maire patron de la sécurité locale », dans J. Ferret,
C. Mouhanna (dir.), Peurs sur les villes, ibid., p. 23-43.
4. Séverine Germain, « Les politiques locales de sécurité en France et en Italie. Une compa-
raison des villes de Lyon, Grenoble, Bologne et Modène », thèse pour le doctorat en science poli-
tique, Grenoble, Institut d’études politiques, 2008, p. 477-485.
5. « À Roubaix, une carte pas très tendre », Libération, 26 septembre 2002.
6. Emmanuel Didier, Des statistiques pour un nouveau management de la police, Rapport
ACI « Sécurité routière et société », 2005 ; Dominique Monjardet, Christian Mouhanna, Réinventer
la police urbaine : Paris-Montréal, rapport CAFI-PUCA, 2005.
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La tolérance zéro en France
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délinquance et, une fois par mois, les chefs d’arrondissement doivent présenter les prin-
cipaux résultats de leur territoire (évolution de la délinquance, taux de résolution, activité
contraventionnelle des services de police, etc.). Ces réunions obligent les commissaires
à se défendre très sérieusement en cas de mauvais résultats. L’un des participants com-
mente : « Ces réunions, ça dure trois heures, il y a une ambiance assez examen”. On
ne joue pas sa tête mais le commissaire qui rapporte de mauvais résultats trois fois sans
développer une stratégie est “mal assis”. [...] Ce suivi pèse sur le fonctionnement local.
Le regard du préfet est assez pointu, précis, assez inquisitorial »
1
.
Autrement dit, il semble que les pratiques de tolérance zéro aient contribué à inspirer
des municipalités ou des services locaux de l’État souhaitant redéployer leurs effectifs,
faire un usage de moyens technologiques pour contrôler l’espace public et mettre en
place des mesures plus répressives en matière d’occupation de l’espace public. Cependant,
même dans ces cas, l’expérience new-yorkaise joue un rôle bien limité : elle stimule des
idées plus qu’elle ne façonne des recettes.
DE LA RÉAPPROPRIATION À L’AUTONOMISATION
DE LA TOLÉRANCE ZÉRO
Les deux parties précédentes témoignent d’un contraste entre les rhétoriques
déployées autour de la tolérance zéro new-yorkaise et son usage dans les politiques
nationales et locales. Il ne faut cependant pas s’arrêter à ce seul constat d’un écart entre
discours et pratique, symbole et substance. En regardant plus attentivement les discours
mobilisés et les recettes d’action publique proposées, on observe toute une série de dépla-
cements et de réappropriations autour de la tolérance zéro. Ces déplacements s’expriment
de différentes manières. D’abord, des acteurs font référence à la tolérance zéro pour s’en
démarquer, soit en insistant sur les difficultés du transfert, soit en arguant de son caractère
non souhaitable, soit en se réappropriant cette notion dans leur univers de référence. De
façon plus radicale s’est diffusé un usage généralisé de la figure de la tolérance zéro
détachée de la référence à la politique new-yorkaise.
LA TOLÉRANCE ZÉRO NEW-YORKAISE, ENTRE INSPIRATION ET REJET
Cette mise à distance de la tolérance zéro s’est en fait assez rapidement exprimée
dans les champs politiques autant qu’experts. Elle s’opère de deux façons différentes :
chez les experts, il s’agit d’un déplacement (ils remplacent la référence à la tolérance
zéro par d’autres modèles, souvent puisés au sein même des expériences américaines),
tandis que pour les acteurs politiques, il s’agit d’un glissement plus ou moins conscient
(la tolérance zéro est progressivement traduite dans un autre univers de sens, passant de
la politique policière à la politique judiciaire).
Rejets et déplacements : les mises à distance expertes
Il ne faudrait pas penser que les experts ont joué un simple rôle de diffuseur du
modèle new-yorkais. Au contraire, il apparaît que, même parmi ceux qui en sont a
1. Cité dans D. Monjardet, C. Mouhanna, Réinventer..., ibid., p. 89.
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Jacques de Maillard, Tanguy Le Goff
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priori les promoteurs, une série de précautions a pu être exprimée. En fait, la plupart
des études et rapports considèrent, avec des inflexions différentes, que la politique de
tolérance zéro n’est ni directement applicable, ni nécessairement souhaitable en
France.
Les missions, rapports et ouvrages portant sur le cas new-yorkais sont rarement
catégoriques. Deux exemples peuvent en être donnés. Dans L’Amérique, la violence
et le crime, A. Bauer et E. Pérez consacrent un chapitre entier à ce qu’ils appellent
(tout en le mettant entre guillemets), « Le miracle de New York »
1
, détaillant ample-
ment les stratégies mobilisées par la police new-yorkaise, mais ils ne terminent par
aucune recommandation spécifique. Ils relatent la redéfinition des objectifs et les
outils utilisés par le NYPD sans s ’en faire les promoteurs explicites. S’ils affirment
(ce qui constitue d’ailleurs un jugement controversé au sein de la littérature scien-
tifique) que, « dans la lutte contre la criminalité, le succès enregistré à New York
semble avant tout à l’activité de la police » (p. 8), ils rendent compte également
de ce qu’ils appellent les dysfonctionnements, les tensions avec les minorités qu’une
telle politique a provoqué (p. 40-42). De façon plus directe encore, le rapport sur les
violences urbaines réalisé par les deux universitaires S. Body-Gendrot et N. Le
Guennec
2
, commandé par le ministre de l’Intérieur J.-P. Chevènement, reste scep-
tique quant aux leçons à retenir des politiques new-yorkaises (et des pratiques anglo-
saxonnes de façon plus générale). Si les auteurs soulignent les succès new-yorkais
(l’utilisation réussie de la technologie et la responsabilisation des policiers notam-
ment), elles relativisent la performance au regard des évolutions connues dans
d’autres villes et, surtout, soulignent les risques politiques associés à de telles
méthodes policières : « Les pratiques de la police new-yorkaise accompagnées d’un
discours triomphaliste se paient d’un prix très élevé pour les jeunes issus des mino-
rités » (p. 123)
3
.
Dans une large partie des travaux français, c’est en fait une dissociation qui est
opérée entre deux inspirations américaines : l’une est celle de la théorie de la vitre brisée,
qui consiste à tenter d’enrayer une spirale de la dégradation dans les quartiers en mobi-
lisant les communautés de voisinage
4
, l’autre est celle de la politique de tolérance zéro
telle qu’elle a été conduite à New York par W. Bratton et R. Giuliani. S. Roché, dans un
ouvrage paru en 2002 au titre en forme d’interrogation (Tolérance zéro ?), met en évi-
dence les dangers associés à de telles politiques et parle à leur propos d’imbécillité
pénale : « Pour améliorer les choses, il suffit de répondre à tout »
5
. Reprenant les propos
de G. Kelling
6
l’un des auteurs de la théorie de la vitre cassée et inspirateur initial de
la politique new-yorkaise –, S. Roché parle de la tolérance zéro comme de l’enfant illé-
gitime de la vitre cassée
7
. Dans un autre ouvrage qui fait une large place aux expériences
1. Alain Bauer, Émile Pérez, L’Amérique, la violence et le crime, Paris, PUF, 2000, p. 8-42.
2. Sophie Body-Gendrot, Nicole Le Guennec, Mission sur les violences urbaines, Paris, La
Documentation française, 1998.
3. Les auteurs soulignent également les risques politiques d’une telle politique de répression
en France, les médias continuent de relayer la résistance de certains intellectuels contre les
dérives répressives, tandis qu’aux États-Unis, « la compassion sociale a trouvé ses limites »
(S. Body-Gendrot, N. Le Guennec, ibid., p. 136).
4. Il s’agit de l’article de J. Q. Wilson, G. Kelling, « Broken Windows.. », art. cité.
5. Sebastian Roché, Tolérance zéro ? Incivilités et insécurité, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 150.
6. George Kelling, « Fixing Broken Windows, an Interview », Law Enforcement News,
22 (511-512), mai 1999, p. 8-14.
7. S. Roché, Tolérance zéro ?..., op. cit., p. 145.
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La tolérance zéro en France
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américaines
1
, plusieurs auteurs font un constat similaire : autant la vitre cassée suggère
une politique de remobilisation collective contre l’insécurité, autant la tolérance zéro ne
constitue une politique ni souhaitable, ni applicable en France.
Le positionnement des experts traduit donc à la fois un rejet et un déplacement.
Rejet, certes nuancé, dans la mesure nulle part la politique new-yorkaise est perçue
comme adaptable la fois parce que ce n’est pas possible et parce que ce n’est pas
souhaitable) ; elle peut tout au plus constituer une source d’inspiration en matière de
responsabilisation professionnelle ou d’adoption d’une stratégie politique. Déplacement,
dans la mesure ces experts ouvrent souvent la focale pour faire circuler d’autres
expériences américaines qui prennent leur source ailleurs. Ce sont notamment les réfé-
rences à la vitre cassée ou au community policing promus ailleurs aux États-Unis qui
retiennent l’attention.
Rejets et glissements : les esquives politiques
Parmi les acteurs politiques, les références faites à la tolérance zéro par des acteurs
politiques locaux essentiellement, ne s’installent pas véritablement au niveau national. Si
certains partis, comme Démocratie libérale, y font référence au cours de l’année 1998
(cf. supra), la plupart des responsables s’en détacheront. Significatifs à ce propos sont
les positionnements adoptés par le gouvernement de gauche plurielle et par le candidat
RPR à l’élection présidentielle.
On sait que J. Chirac a utilisé la sécurité au cours de sa campagne présidentielle
de 2002 pour fragiliser son principal concurrent, L. Jospin. On aurait pu considérer
que la tolérance zéro allait constituer dans cette perspective un slogan mobilisable
politiquement. Or, si J. Chirac évoque à plusieurs reprises la tolérance zéro dans ses
premiers discours de campagne, c’est pour s’en démarquer rapidement. Sa déclaration
du 14 juillet est significative : « Il est donc indispensable que l’on retienne le principe
que toute agression, tout délit doit être sanctionné au premier délit. C’est ce qu’on
appelle la tolérance zéro. Naturellement, je ne fais pas référence à la façon dont le
maire de New York a traité ses affaires. Ce n’est p as notre culture. Mais je dis que
nous avons, en France, une technique judiciaire qui existe la réparation et qui
n’est pas utilisée »
2
. En fait, le chef de l’État, qui s’apprête à devenir candidat à
l’élection présidentielle, prend bien soin de se démarquer de cette référence améri-
caine, de façon certes quelque peu elliptique, et lui substituera un autre slogan :
l’impunité zéro. Cette mise à distance pointe la volonté de ne pas s’en tenir à une
simple dimension répressive, dans la mesure est vaguement fait référence à
un outil sous-utilisé, la réparation, qui semble figurer ici comme une alternative à la
seule répression. Surtout, l’attention est portée sur l’action judiciaire (punir les auteurs
interpellés) plutôt que policière. Par la suite, même si la campagne présidentielle sera
conduite sur la thématique de la sécurité, la référence à la tolérance zéro et plus
largement tout programme précis en matière policière disparaît du répertoire du
président de la République.
1. F. Ocqueteau (dir.), Community Policing..., op. cit. Voir notamment l’article d’Anne Wyve-
kens Community policing façon Chicago, ou du bon usage de l’exemple américain », dans ibid.,
p. 109-134) qui promeut le community policing chicagoan plutôt que la tolérance zéro new-yorkaise.
Sur le community policing à Chicago, voir Wesley Skogan, Police and Community in Chicago. A
Tale of Three Cities, Oxford, Oxford University Press, 2006.
2. Déclaration du 14 juillet 2001, rapportée dans Le Monde, 17 juillet 2001.
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Jacques de Maillard, Tanguy Le Goff
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Quand il arrive au pouvoir en 1997, le parti socialiste fait son aggiornamento en matière
de sécurité
1
. Malgré cela, les références à la tolérance zéro new-yorkaise vont se faire plutôt
prudentes. Après un certain malaise, les responsables gouvernementaux vont assez claire-
ment marquer une distance par rapport à l’expérience new-yorkaise. Deux déclarations en
sont particulièrement symptomatiques. Interrogé dans Le Figaro sur sa position par rapport
à la tolérance zéro pratiquée à New York, J.-P. Chevènement commence par reconnaître les
effets de cette politique en matière de baisse des taux d’homicide, pour immédiatement
préciser que le niveau des homicides en France est sans commune mesure par rapport à la
situation américaine. Il insiste ensuite sur les différences entre France et États-Unis : « Nous
ne sommes pas dans le même type de société et nous ne devons pas nous en rapprocher.
La citoyenneté est le socle de la sûreté »
2
. Quand le journaliste le réinterroge sur la tolérance
zéro, le ministre de l’Intérieur déplace le débat sur le terrain judiciaire en indiquant que tout
acte délictueux devait trouver une réponse judiciaire, même si cette réponse n’était pas
nécessairement la prison. Dans Le Monde du 6 septembre 2001, la ministre de la Justice,
M. Lebranchu, indiquait que le gouvernement ne voulait « pas reproduire le modèle améri-
cain de la “tolérance zéro” », tout en plaidant pour « une réponse pénale à toute infraction
à la loi. Ce qui veut dire qu’aucun délit ne doit rester impuni »
3
, dans une formulation
étonnamment proche de celle utilisée quelques semaines plus tôt par J. Chirac.
Le déplacement du débat ainsi opéré plus ou moins consciemment par les acteurs
politiques, président et gouvernement, est intéressant : la tolérance zéro est ici entendue
au sens de réponse judiciaire à tous les délits, notamment ceux conçus par les mineurs.
Or, la tolérance zéro new-yorkaise ne porte pas principalement sur cette question : il
s’agit d’une doctrine d’emploi des forces de police non spécifiquement centrée sur les
mineurs, plutôt que d’une redéfinition de la réponse judiciaire principalement concernée
par la délinquance juvénile. De façon progressive, les acteurs politiques intériorisent la
référence à la tolérance zéro pour en faire autre chose que celle représentée dans le cas
new-yorkais ; de ce fait, ils préparent le terrain à l’autonomisation de la référence à la
tolérance zéro (cf. infra).
Autrement dit, la tolérance zéro devient une référence vague à un modèle qui est
censé marcher
4
, mais faisant l’objet de traductions constantes en fonction des objectifs
que s’assignent les acteurs mobilisant cette référence. De ce fait, la tolérance zéro perd
toute consistance. Ainsi que le remarquaient Jones et Newburn pour le Royaume-Uni, si
la tolérance zéro se déplace, c’est en changeant de sens en fonction des contextes
5
.
1. Voir notamment les actes du colloque de Villepinte, Des villes sûres pour des citoyens
libres, Paris, La Documentation française, 1997.
2. « Jean-Pierre Chevènement : “ma conception de la société” », Le Figaro, 6 juillet 1999.
3. « Mme Lebranchu et M. Vaillant veulent remobiliser la gauche sur la sécurité », Le Monde,
6 septembre 2001.
4. Voir, à ce propos, les remarques de Fabien Desage et Jérôme Godard, « Désenchantement
idéologique et réenchantement mythique des politiques locales. Retour critique sur le rôle des idées
dans l’action publique », Revue française de science politique, 55 (4), août 2005, p. 633-661, dont
p. 655-660.
5. Trevor Jones, Tim Newburn, « The Convergence of US and UK Crime Control Policy :
Exploring Substance and Process », dans T. Newburn, R. Sparks (eds), Criminal Justice and Poli-
tical Cultures..., op. cit., p. 123-151, dont p. 133. Maurice Punch, à partir de l’exemple néerlandais,
considère que la tolérance zéro est une notion vague utilisée par les acteurs politiques et policiers
selon quatre significations différentes : des sanctions renforcées dans la délinquance de rue, la lutte
contre les désordres mineurs en référence à la théorie de la vitre cassée, Compstat et la gestion
managériale des effectifs, et une police qui s’affirme plus (Maurice Punch, Zero Tolerance Policing,
Bristol, The Policy Press, 2007, p. 33-35).
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La tolérance zéro en France
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L’AUTONOMISATION D’UN SLOGAN
La tolérance zéro a progressivement été mobilisée de manière déconnectée de la
politique new-yorkaise pour simplement désigner la fermeté de l’action à mener face à
un problème social : tolérance zéro face au tabagisme, contre les risques de santé, contre
les propos racistes, pour les missiles nord-coréens, pour le cannabis, voire même contre
les dérapages de N. Sarkozy ! Cet usage de la figure de la tolérance zéro fait l’objet d’une
forme de traduction qui la coupe de son socle new-yorkais. C’est une référence particu-
lièrement utilisée par des acteurs politiques souhaitant afficher leur volontarisme. Par
exemple, en tant que ministre de l’Intérieur, N. Sarkozy parle de tolérance zéro pendant
les émeutes de novembre 2005 (après 4 jours d’émeutes)
1
. Plus généralement, il use de
cette référence de façon récurrente : contre les attaques d’extrême droite, les infractions
routières, les attaques antisémites, la tolérance double zéro pour les crimes racistes, etc.
Les occurrences dans la presse de la référence à la tolérance zéro traduisent bien
cette autonomisation par rapport à la politique new-yorkaise. En utilisant la base de
données Europresse.com, nous avons fait compléter notre première recherche (croisant
« tolérance zéro » et « New York ») par une seconde avec le seul critère « tolérance
zéro ». Dans le deuxième cas, on obtient une augmentation quasi continue de l’utilisation
de ce terme : 30 documents en 1998 ; 372 documents en 2001 ; 568 documents pour 2003
(avant une baisse en 2004). En croisant « tolérance zéro » et « New York », on obtenait
une augmentation certaine à la fin des années 1990, suivie d’une baisse depuis 2002.
f:\2000\image\122731\\2
1. <http://www.rfi.fr/actufr/articles/070/article_39517.asp>.
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Jacques de Maillard, Tanguy Le Goff
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Au final, au regard des rhétoriques politiques mobilisées, il apparaît que le rapport
à la tolérance zéro est nettement plus ambivalent que ne le suggèrent les théorisations au
fondement empirique pour le moins incertain sur le « fac-similé » européen : d’abord, on
est loin d’avoir une fascination de l’ensemble des acteurs politiques et des experts vis-
à-vis de cette politique ; ensuite, la plupart de ceux qui y font référence n’ont que fai-
blement construit la notion, ce qui se traduit notamment par une très forte réappropriation
de cette référence dans le débat politique français ; enfin, la référence à la tolérance zéro
liée à la politique new-yorkaise est très circonscrite dans le temps (entre 1999 et 2001),
par la suite, cette référence, si elle se généralise, s’autonomise par rapport à la source
new-yorkaise.
**
Que nous montrent en définitive les usages de la tolérance zéro dans le débat poli-
tique, ainsi que dans les politiques policières en France ? Trois leçons peuvent en être
tirées.
D’abord, l’usage en définitive très circonscrit de la tolérance zéro dans les politiques
policières vient rappeler l’importance des prismes politiques, cognitifs et institutionnels.
Politiques, dans la mesure les contextes de compétition électorale diffèrent fortement.
Au début des années 1990, la police new-yorkaise est confrontée à un profond déficit de
légitimité qui affecte le pouvoir politique et qui sera à l’origine d’une campagne parti-
culièrement énergique du challenger républicain, R. Giuliani, sur la thématique des désor-
dres urbains. En France, afficher trop explicitement une politique de tolérance zéro, c’est
risquer d’être perçu comme étroitement répressif. La référence à l’exemple new-yorkais
doit rester prudente. N. Sarkozy, par exemple, s’est employé à de nombreuses reprises à
qualifier sa politique d’« équilibrée » et a très fortement limité les références à la politique
new-yorkaise dans ses différentes déclarations publiques à partir de 2002. Prismes cogni-
tifs, ensuite, dans la mesure la très large majorité des experts qui se sont intéressés à
la tolérance zéro ont en fait plutôt marqué leur réticence à l’égard d’une telle politique.
Les pratiques de tolérance zéro demeurent notamment perçues avec une certaine suspicion
par les élites policières françaises. Cette orientation autour d’une managérialisation des
forces de police, de l’évaluation systématique, avec des conséquences professionnelles
directes en cas de mauvais résultats, est éloignée des pratiques en vigueur au sein des
forces de police nationale. Prismes institutionnels enfin, dans la mesure la distribution
des compétences entre les différentes forces de police rend illusoire la possibilité de
rendre les maires responsables de ces forces, ce qui constitue tout de même l’un des
ressorts essentiels des politiques new-yorkaises.
Cette étude attire également l’attention sur le décalage qui peut exister en matière
de transfert des politiques (et donc d’usage de l’étranger) entre symbole et substance.
Ainsi que l’ont relevé Jones et Newburn pour le Royaume Uni
1
ou Punch pour les
Pays-Bas
2
, la circulation des slogans ne signifie pas la circulation des pratiques. Ce dont
témoigne l’usage de la tolérance zéro, c’est la dissociation partielle entre le registre
symbolique, sont valorisés les slogans, les symboles efficaces politiquement, et le
registre substantiel, c’est-à-dire ce qui relève des programmes d’action et des politiques
policières. Sur le registre symbolique, la tolérance zéro évoque à la fois le volontarisme
et l’efficacité politique, qui sont d’ailleurs, dans les différents extraits, deux registres
fréquemment attribués aux valeurs américaines. En revanche, la tolérance zéro ne dépasse
1. T. Jones, T. Newburn, Policy Transfer and Criminal Justice..., op. cit., p. 142.
2. M. Punch, Zero Tolerance Policing, op. cit.
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que rarement le cadre du slogan. De façon significative, c’est un discours surtout utilisé
par les acteurs politiques quand ils sont dans l’opposition. Ceci ne signifie pas pour autant
que les mots et symboles ne soient pas importants
1
. Les mises en forme discursives sont
au contraire significatives socialement dans la mesure elles cristallisent les univers de
références, les connaissances, voire les imaginaires des acteurs politiques et profession-
nels. Ici, l’usage omniprésent de la tolérance zéro traduit à la fois une crispation de la
société française à la fin des années 1990 en matière de sécurité et la nécessité de trouver
des réponses rassurantes, qui marquent le volontarisme des acteurs politiques. À la gauche
de l’échiquier politique, un tel usage manifeste une décomplexion à l’égard de la référence
à la répression. Il témoigne également en creux d’une usure des recettes d’action publique
jusque-là mobilisées en France : la référence à la tolérance zéro traduit une volonté de
regarder ailleurs, à un moment l’on a le sentiment que les politiques françaises ne
marchent plus.
Les usages de la référence new-yorkaise invitent à retenir une troisième leçon :
même lorsqu’on en reste à l’usage discursif, on note le rapport au total très distancié
utilisé dans la référence à l’étranger. D’abord, les acteurs politiques de droite comme de
gauche prennent assez souvent leurs distances par rapport à cette politique. Ses promo-
teurs zélés ne sont pas si nombreux. Elle est bien plus utilisée comme un exemple « à
méditer » (souvent sans plus de précision) qu’à adopter. En outre, même si la politique
policière de New York est bien souvent construite comme un modèle à suivre (ou tout
au moins dont on devrait s’inspirer), elle est aussi, comme en miroir, pour ses plus
fervents opposants, érigée comme l’incarnation par excellence des dérives d’un modèle
américain qui tendrait à se constituer en État pénal. Surtout, la tolérance zéro est mal
connue, autant par ses contempteurs que par ses thuriféraires. Les expériences de tolé-
rance zéro servent comme d’un mythe mobilisateur diversement approprié plutôt que de
technique de gouvernement de l’insécurité. L’omniprésente référence à la tolérance zéro
offre même quelque chose de paradoxal : ceux qui ont été les principaux promoteurs du
miracle new-yorkais (Giuliani, Bratton, Kelling) ont en définitive pris très rapidement
leurs distances avec la formule même de tolérance zéro, qu’ils jugeaient inappropriée (la
police ne peut pas tout faire) et véhiculant un sens trop répressif à l’action policière.
Clôturons d’ailleurs avec ce commentaire ironique de G. Kelling : « Je n’ai jamais utilisé
[la notion de tolérance zéro], Bratton l’a utilisée une fois en référence à la corruption.
Giuliani l’a utilisée avec parcimonie et s’est finalement concentré sur le terme “qualité
de la vie”... Mais je pense que la tolérance zéro a pris de la valeur parce que c’était
apprécié par la gauche et la droite. Je pense que la gauche l’aimait parce que cela dépei-
gnait le fanatisme... et je pense que la droite l’aimait parce que cela dépeignait le fait
d’être dur »
2
.
Jacques de Maillard est professeur de science politique à l’Université de Rouen,
chercheur au Centre d’étude des systèmes juridiques, et chercheur associé à PACTE-
Politique-Organisations. Il a publié récemment : (avec Anne-Cécile Douillet) « Le magis-
trat, le maire et la sécurité publique : action publique partenariale et dynamiques
1. Ces remarques ne sont pas sans nous rappeler les leçons d’Edelman sur « les mots qui
réussissent et les politiques qui échouent » (cf. Jacob Murray Edelman, Political Language. Words
that Succeed and Policies that Fail, New York, Academic Press, 1977).
2. Cité dans T. Jones, T. Newburn, Policy Transfer and Criminal Justice. op. cit., p. 141.
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Jacques de Maillard, Tanguy Le Goff
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professionnelles », Revue française de sociologie, 49 (4), 2008, p. 793-818 ; et « Activa-
ting Civil Society : Differentiated Citizen Involvement in France and the United
Kingdom », dans Bruno Jobert, Beate Kohler-Koch (eds), Changing Images of Civil
Society. From Protest to Governance, Londres, Routledge, 2008, p. 133-150. Il a codi-
rigé : (avec Andy Smith) « Union européenne et sécurité intérieure : institutionnalisation
et fragmentation », Politique européenne, 23, 2007 ; et (avec Anne Wyvekens)
« L’Europe de la sécurité intérieure », Problèmes politiques et sociaux, 945, février 2008.
Il travaille sur les questions de gouvernance de la sécurité publique, réformes des polices
et européanisation de la sécurité intérieure (<jacques.de-maillard@upmf-grenoble.fr >).
Tanguy Le Goff est docteur en science politique, chercheur associé au Centre de
recherches sur l’action politique en Europe. Il a notamment publié : Les maires, nouveaux
patrons de la sécurité ?, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008 ; « L’insécurité
saisie par les maires. Un enjeu de politiques municipales », Revue française de science
politique, 55 (3), juin 2005, p. 415-444. Il participe actuellement à une recherche, financée
par l’ANR, portant sur les modes de production entre acteurs publics et privés des gated
communities en Île-de-France. Ses recherches portent sur la sociologie des acteurs et des
politiques publiques de sécurité (<le-goff.tanguy@wanadoo.fr >).
RÉSUMÉ/ABSTRACT
LA TOLÉRANCE ZÉRO EN FRANCE. SUCCÈS D’UN SLOGAN, ILLUSION D’UN TRANSFERT
Cet article étudie la question du transfert des recettes d’action publique américaines en s’inté-
ressant à l’influence sur les politiques de sécurité françaises d’une stratégie policière new-
yorkaise : la tolérance zéro. Il montre, à partir d’une analyse détaillée des principaux quo-
tidiens nationaux, son indéniable succès dans les cercles médiatiques, experts et politiques,
qui la mobilisent comme un slogan en la détournant progressivement de son acception ori-
ginelle. En revanche, il met en évidence l’absence de transfert de cette recette dans les poli-
tiques de sécurité françaises, aussi bien locales que nationales, du fait de règles institution-
nelles et de cultures professionnelles trop différenciées. L’exemple de la tolérance zéro est
ainsi une belle illustration du décalage qui peut exister en matière de transfert de politiques
entre symbole et substance.
ZERO TOLERANCE IN FRANCE : SUCCESS OF A SLOGAN, ILLUSION OF A TRANSFER
This article analyzes transfers of U.S. public policies, focusing specifically on the influence
of the New York Police Department’s “zero tolerance policing” strategy on French crime
control policies. An in-depth analysis of major French national newspapers shows undeniable
support for this transfer in the media and in political and expert circles, which have taken it
up as a slogan while gradually shifting its original meaning. In actual French crime control
policies, however, both at local and national level, this supposed transfer turns out to be
illusory, owing to insurmountable disparities between the institutional and professional codes
and cultures of the two nations. Zero tolerance is, then, a good illustration of the gap between
symbol and substance that may obtain in the transfer of public policies.
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... The state enjoys considerable control over the prosecutors' office (Hodgson and Soubise, 2017), as prosecutors are magistrates, not attorneys, whose careers are controlled by the executive (Troper, 1980). The dependency of prosecutors on the French government and the McDonaldisation of the CJS have worked hand in hand and focused the CJS solely on case processing; cases which have greatly increased in number following the zero-tolerance policies initiated and developed during the presidential mandate of Nicolas Sarkozy (De Maillard and Le Goff, 2009). In essence, prosecutors have become local managers in the service of swift and extremely superficial case processing (Mouhanna and Bastard 2010). ...
Article
Full-text available
French literature pertaining to felony courts has used quantitative-descriptive or sociological critical approaches. It has portrayed an assembly line system where offenders are industrially processed. However, this literature has not documented the consequences this processing has on the interactions between the accused and judicial practitioners. This article attempts to bridge this gap. It analyses the felony hearings which took place during a year in the three chambers of a local court, by using a semi-ethnographic methodology. Data was coded with a legitimacy of justice-procedural justice-therapeutic jurisprudence (LJ-PJ-TJ) analytical grid. In the majority of cases, the interactions with the accused did not meet LJ-PJ-TJ criteria. French felony courts are noisy, summary, and dehumanised. However, there were interesting exceptions to this rule: the collegial chamber was significantly more respectful and dignified than the one-judge chamber; at an individual level, a strong minority of judges meet the majority of the LJ-PJ-TJ criteria.
... New York City's strong visibility, the presence of individual policy entrepreneurs (Bratton and Giuliani), the role of think tanks as transatlantic disseminators of ideas and the political appeal of this hyperbolic rhetoric are factors that may explain diffusion. However, more careful national research on the implementation and practical uses of ZTP have emphasised that 'what was imported from the USA was the tough-sounding terminology and rhetoric that proved highly attractive to politicians and, much less frequently, senior police officers' Newburn 2007, p. 146, de Maillard andLe Goff 2009 for France). In other words, slogans circulate more easily than practices and organisational devices. ...
Thesis
Les sociétés occidentales connaissent depuis les années 1970 des mouvements d’acteurs de la société civile de plus en plus politisés. Les rapports de groupes d’actions collectives aux espaces et territoires sont devenus un enjeu de recherche en géographie, dans la mesure où ils interrogent les nouvelles modalités de la fabrique des territoires, comme construit d’acteurs en interaction. Les communautés de pratique sont des groupes constitués autour de l’innovation et de la valorisation de leur pratique. Questionner ces groupes comme objet d’étude en géographie constitue le premier objectif de cette thèse. Pour développer les éléments de cette réflexion, les objectifs de cette étude sont d’interroger les communautés de pratique dans leurs rapports aux espaces, leur capacité éventuelle à influer sur la construction de politiques publiques, à innover et à participer à des dynamiques de développement territorial. Pour élaborer ces analyses, la thèse s’intéresse au cas des groupes d’artistes urbains dans la métropole nantaise et leur prise en compte par les acteurs publics locaux, comme ressource potentielle participant au développement par la culture qui y existe.
Thesis
L’accélération de la justice pénale est un phénomène bien établi dans les pays européens. Si cette accélération est censée rapprocher la justice du reste de la société, elle est régulièrement décriée tant de l’intérieur de l’institution, car elle mettrait les magistrat·e·s sous pression, que de l’extérieur pour les risques qu’elle ferait porter à la qualité de la justice. Cette thèse vise à éprouver ces critiques en analysant une procédure accélérée allemande, le « besonders beschleunigtes Verfahren ». La recherche a consisté en une enquête ethnographique de dix mois dans un tribunal berlinois et une immersion dans les différents organes de l’appareil répressif, de l’enquête policière à l’audience. Cette recherche, particulièrement attentive à l’activité pratique des travailleur·euse·s du droit, a permis de montrer la singularité de cette filière pénale réservée aux populations vagabondes, qui permet l’audiencement de l’affaire le lendemain de la commission de l’infraction. L’activité des travailleur·euse·s est marquée par le respect des procédures et de la légalité, sans que cela ne s’accompagne d’une disparition de leur pouvoir discrétionnaire et de leur capacité à apprécier les situations. Ces travailleur·euse·s ne font pas face à des impératifs de productivité et n’ont pas le sentiment de manquer de temps. Cette thèse permet alors d’explorer les conditions de possibilité d’une accélération sans précipitation. Tout d’abord, le terme accélération recoupe une pluralité de situations que l’attention portée aux temporalités permet de désigner séparément. En particulier, nous distinguons la réduction des délais et l’augmentation des rythmes, qui emportent des effets différents. Dans le tribunal étudié, l’accélération du temps pénal ne s’accompagne pas de contraintes managériales ce qui permet également de séparer les conséquences de ces deux évolutions récentes de la justice. Enfin, en ce qui concerne les effets de l’accélération nous mon trons que ceux-ci ne sont pas homogènes, notamment en ce qui concerne les rapports au temps des individus en fonction des groupes professionnels auxquels ils appartiennent. Cette thèse invite donc à ne pas penser l’accélération comme un mouvement uniforme, ce qui permet d’envisager conjointement rapidité et qualité de la justice, comprise comme son adéquation aux normes qui l’encadrent.
Thesis
This thesis questions the interpretation of a political watchword aiming at reducing « early school leaving ». This research addresses the formulation and dessimination of this problem through the analysis of French and German political programmatic at different levels of the educational governance and which give school actors a crucial responsibility in fighting it. So the second aspect of this research is to highlight the perceptions that these actors have of this responsibility through questioning their understanding of the problem, embedded in the narrative of the “knowledge society”, economically “more competitive” and socially “more cohesive”. At the edge of the year 2020 (the horizon of the Europe 2020 Strategy that continues on the former « Lisbon strategy ») this thesis discusses the influence of the European Union on shaping domestic educational agendas, from the national level to even the principals’. But more specifically, it allows to highlight the structural, institutional and individual filters through which this issue is interpreted, which lead to different interpretations of the reality and usages. How far do the school actors perceive their responsibility in fighting against “early school leaving”? How do they identify their capacity to make the difference while facing some of their students’ problems and difficulties that might influence their school trajectory negatively? Finally, how, on the whole, the school actors taken in all their diversity, tend to blame the school, the individual student and their environment or political choices for their early dropout or “negative participation”, which sometimes leads schools to exclude the troublemakers? What legitimacy does this fight have in their eyes, in the light of the historical and selective nature of the French and German educational systems, and considering recent discourses that are alarmed regarding the expansion of tertiary education? Fighting against “early school leaving” and worrying about the “invasion” of the university, this sounds at first sight strange and contradictory! This thesis tries to grasp the whys and wherefores of this political fight in the name of better “equal opportunities” in and by school by analysing the perceptions of the actors in charge of realising them.
Thesis
The main objective of this thesis is to develop a decision support tool for public managers in the planning process of a tourism attractiveness program in cities. To carry out this conception, we developed a research protocol using two methodologies that have proven their worth in the management sciences. A grounded theory approach allowed us to establish an integrative conceptual framework to identify all the essential elements for the multi-criteria analysis of the tourism attractiveness system, which constitutes the second part of our research protocol. These elements contribute to the attractiveness of tourism to varying degrees and are not of equal importance within this system. The relative importance of these elements was assessed by a panel of experts using the Hierarchical Process Analysis (HPA) method, where each element was weighted by a coefficient (relative weight). The applicability of the tool was then verified in the city of Constantine, where an index of the city's tourist attractiveness was determined. Finally, strategic recommendations for the development of an operational action plan for the city were defined from the results obtained, giving the model real utility. The main theoretical contribution of this work lies in the proposal of an integrative conceptual framework of tourism attractiveness based on a systemic approach that takes into account its complexity. A generic conceptual model of tourism attractiveness is thus proposed, suggesting that the development of attractiveness depends on the interaction between five subsystems, namely: Demande Touristique (DR), Marketing de Communication Intégré (MCI), Gouvernance et Planification du Touristique (GPT), Gestion durable des risques (GDR) and Matières Premières Touristiques (MPT). From a managerial point of view, the results clarify the elements that stimulate the attractiveness of a tourist destination and make it possible to identify the strengths and weaknesses of a destination by carefully evaluating its human, material and immaterial resources, in order to understand the elements that hamper its tourist expansion and thus rectify them. This assessment provides a decision-making tool to help managers of a tourist destination make strategic intervention choices.
Article
Cross-national policy movement in crime control has only recently become the focus of scholarly attention. Research findings suggest, despite appearances to the contrary, that fully fledged policy transfers are rare. In practice, soft transfer (in terms of symbolic dimensions of policy) appears more prevalent than harder manifestations (e.g., the travel of institutions, instruments, and practices). Soft transfers are usually associated with penal policies that have emotive political appeal. Hard transfers are more likely to occur when policies have a strong technical flavor. A number of mechanisms influence policy transfer, ranging from purposive and self-conscious lesson drawing to more imposed forms of policy adoption. A number of factors facilitate or constrain the degree to which policies travel and how they take shape during and after the process, from matters of cultural and political attraction to the activities of policy and moral entrepreneurs. This field of research was once dominated by a focus on the Global North as the site of policy transfer or the source of policy influence, but increasing attention is now paid to circulation and spread of policy models within the Global South and from South to North.
Article
Are emergency rooms in crisis ? Recent events, a national strike and a pandemic, seem to confirm this. Therefore, it seems undeniable that the emergency rooms have been undermined in recent years. But the theme of the crisis seems older. Emergency room overcrowding on the one hand, and patient violence on the other hand, have gradually become public problems and point to a crisis that is more structural than cyclical. Two institutional measures are recommended at the national level in order to combat violence and relieve congestion in emergency departments: increasing security on the one hand and humanizing on the other. Through a longitudinal ethnographic study in an emergency department of a non-university hospital in a medium-sized town in northern France, we analyze how these measures have been implemented in the field. Focusing on the restructuring of the reception of an emergency department, this article shows that although the problem of overcrowding in the emergency department seems to have been resolved, violence has not completely disappeared and has gradually turned into suffering at work.
Article
Cet article porte sur l’élaboration et la mise en œuvre de la réforme de la police au Liban depuis le retrait des troupes syriennes du pays en 2005. Il met en évidence la manière dont cette réforme ainsi que le transfert du community policing ont produit plusieurs concurrences entre différents types d’acteurs, aussi bien entre les bailleurs de fonds internationaux qu’entre les acteurs libanais. Inscrit dans les débats relatifs aux transferts de modèles et de référentiels policiers, il établit un lien entre la traduction de ces modèles et la concurrence : différents acteurs policiers se sont en effet alignés sur des modèles divergents de policing prônés par les bailleurs de fonds internationaux, les uns défendant un hard policing, les autres une police désarmée. Ces traductions/ concurrences ne sauraient pourtant cacher l’existence de convergences autour du community policing comme moyen de lutter contre la « radicalisation » islamiste, lui-même porteur de nouvelles traductions.
Article
Full-text available
A 2002 New Yorker cartoon depicts two grizzled prisoners whiling away the day on their bunks. The one on the bottom bunk, presumably in reply to a question from the inmate in the top bunk, explains, “There might have been some carelessness on my part, but it was mostly just good police work.” The inmate on the top bunk seems startled by the admission. The question to consider here is whether broken windows or incivility reduction policing is good police work. Broken windows policing is conceptually grounded on the incivilities thesis. The incivilities thesis, although it comes in several different guises, suggests that: Physical deterioration and disorderly social conduct each contribute independently to fear, neighborhood decline, and crime; by implication, incivility reducing initiatives will contribute to neighborhood stability and safety, and lower fear. To the extent that this logic model is inaccurate, inadequate, or potentially misleading, incivilities reduction as a set of policing strategies may fail to deliver. This chapter will summarize the conceptual limitations of that thesis, and the empirical limitations of the supporting work. It will then broaden the discussion context in two ways: First, to provide an alternate historical outline of where broken windows policing came from and, second, to outline the elements of a police–citizen coproduced process of public safety. Given that context, it sketches the specific challenges facing successful coproduction over time in an urban residential context. © Cambridge University Press 2006 and Cambridge University Press, 2009.
Book
What is policing about and who defines it? This book examines these key issues by exploring the notion of zero tolerance and its application in different settings. Following its introduction in New York, and the seemingly dramatic reduction in crime, zero tolerance policing was taken up in a number of other countries, including the UK and the Netherlands. This book examines that process. It argues that this policy was, in fact, nothing more than a return to old-style, crime control policing. While it did foster the swift analysis of crime patterns and more assertive policing of public places, it could lean towards repression and demonising of certain groups. Examining the EEE Examining the EEEExamining the negative response of leading police officers and the policy’s debatable impact on crime, the author concludes that zero tolerance in the UK and Netherlands was more of a populist political and media creation than a coherent policy. This book is far more than an authoritative analysis of zero tolerance. It is a valuable source for entering the debate about the big picture in policing which many stakeholders now wish to see. The approachable style of this book makes it ideal for students, academics, police practitioners and the lay reader to enter that debate.
Article
The police reforms introduced in New York City by William Bratton are now hailed by Mayor Rudy Giuliani as the epitome of “zero-tolerance” policing, and he credits them for winning dramatic reductions in the city's crime rate. But the number of citizen complaints filed before the Civilian Complaint Review Board has jumped skyward, as has the number of lawsuits alleging police misconduct and abuse offorce. Comparison of crime rates, arrest statistics, and citizen complaints in New York with those in San Diego—where a more problem-oriented community policing strategy has been implemented—gives strong evidence that effective crime control can be achieved while producing fewer negative impacts on urban neighborhoods.