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L'utilisation de la stéatite dans les Grottes des Balzi Rossi (ou Grottes de Grimaldi)

Authors:
  • ISMEO - The International Association for Mediterranean and Oriental Studies

Abstract and Figures

Steatite is a soft, variously coloured and sometimes translucid mineral. It is found in mountainous areas, within metamorphic outcrops, and occasionally as river pebbles. Talcum powder is made by scratching and grinding it. During the Upper Palaeolithic, it was used to make pendants and figurines. Talcum powder was possibly used for tanning hides, but this cannot be definitely proved. Steatite items were found in the Balzi Rossi sites, at the frontier between Italy and France, but most of them were excavated long ago. We discuss the place of origin and stratigraphic position of each of them, and draw comparisons with similar artifacts found in other Italian and French sites. Working techniques, and specially perforating techniques, became more and more complex through time. During the Gravettian-Early Epigravettian, small steatite pebbles were looked for to carve human figurines. This raw material was possibly more easily found at the end of the Upper Palaeolithic, after mountain deglacierisation, when people were able to explore new countries freely.
Content may be subject to copyright.
Margherita Mussi
L'utilisation de la stéatite dans les grottes des Balzi Rossi (ou
grottes de Grimaldi)
In: Gallia préhistoire. Tome 33, 1991. pp. 1-16.
Citer ce document / Cite this document :
Mussi Margherita. L'utilisation de la stéatite dans les grottes des Balzi Rossi (ou grottes de Grimaldi). In: Gallia préhistoire.
Tome 33, 1991. pp. 1-16.
doi : 10.3406/galip.1991.2283
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/galip_0016-4127_1991_num_33_1_2283
Abstract
Steatite is a soft, variously coloured and sometimes translucid mineral. It is found in mountainous areas,
within metamorphic outcrops, and occasionally as river pebbles. Talcum powder is made by scratching
and grinding it. During the Upper Palaeolithic, it was used to make pendants and figurines. Talcum
powder was possibly used for tanning hides, but this cannot be definitely proved. Steatite items were
found in the Balzi Rossi sites, at the frontier between Italy and France, but most of them were excavated
long ago. We discuss the place of origin and stratigraphic position of each of them, and draw
comparisons with similar artifacts found in other Italian and French sites. Working techniques, and
specially perforating techniques, became more and more complex through time. During the Gravettian-
Early Epigravettian, small steatite pebbles were looked for to carve human figurines. This raw material
was possibly more easily found at the end of the Upper Palaeolithic, after mountain deglacierisation,
when people were able to explore new countries freely.
Résumé
La stéatite est une pierre tendre, de couleur variable, parfois translucide. On la trouve dans les
formations métamorphiques des massifs montagneux et, parfois, sous forme de galets dans le lit des
cours d'eau. Par raclage, on peut en tirer de la poudre de talc. Elle a servi, au Paléolithique supérieur, à
confectionner des pendentifs et des statuettes. Le complexe des grottes des Balzi Rossi, à la frontière
entre l'Italie et la France, trop tôt fouillé, a fourni un nombre relativement élevé de ces pièces. Leur
provenance exacte et leur position stratigraphique sont discutées. On établit des comparaisons avec
d'autres exemplaires de sites italiens et français. On remarque un affinement progressif des techniques
de travail, surtout en ce qui concerne la perforation des pendentifs. Cette matière semble avoir été
particulièrement recherchée, sous forme de galets, pour la fabrication des venus au Gravettien-
Épigravettien ancien. A l'extrême fin du Paléolithique, la possibilité d'explorer les massifs montagneux
libérés des glaces peut en avoir favorisé l'exploitation. L'emploi de la poudre de talc (par exemple dans
le travail de la peau) est possible, mais non prouvé.
L'UTILISATION
DE
LA
STEATITE
DANS
LES
GROTTES
DES
BALZI
ROSSI
(OU
GROTTES
DE
GRIMALDI)
par
Margherita
MUSSI
Résumé
La
steatite
est
une
pierre
tendre,
de
couleur
variable,
parfois
translucide.
On
la
trouve
dans
les
formations
métamorphiques
des
massifs
montagneux
et,
parfois,
sous
forme
de
galets
dans
le
lit
des
cours
d'eau.
Par
raclage,
on
peut
en
tirer
de
la
poudre
de
talc.
Elle
a
servi,
au
Paléolithique
supérieur,
à
confectionner
des
pendentifs
et
des
statuettes.
Le
complexe
des
grottes
des
Balzi
Rossi,
à
la
frontière
entre
l'Italie
et
la
France,
trop
tôt
fouillé,
a
fourni
un
nombre
relativement
élevé
de
ces
pièces.
Leur
provenance
exacte
et
leur
position
stratigraphique
sont
discutées.
On
établit
des
comparaisons
avec
d'autres
exemplaires
de
sites
italiens
et
fran
çais.
On
remarque
un
affinement
progressif
des
techniques
de
travail,
surtout
en
ce
qui
concerne
la
perforation
des
pendentifs.
Cette
matière
semble
avoir
été
particulièrement
recherchée,
sous
forme
de
galets,
pour
la
fabrication
des
venus
au
Gravettien-Épigravettien
ancien.
A
l'extrême
fin
du
Paléolithique,
la
possibilité
d'ex
plorer
les
massifs
montagneux
libérés
des
glaces
peut
en
avoir
favorisé
l'exploitation.
L'emploi
de
la
poudre
de
talc
(par
exemple
dans
le
travail
de
la
peau)
est
possible,
mais
non
prouvé.
Abstract
Steatite
is
a
soft,
variously
coloured
and
sometimes
translucid
mineral.
It
is
found
in
mountainous
areas,
within
metamorphic
outcrops,
and
occasionally
as
river
pebbles.
Talcum
powder
is
made
by
scratching
and
grinding
it.
During
the
Upper
Palaeolithic,
it
was
used
to
make
pendants
and
figurines.
Talcum
powder
was
possibly
used
for
tanning
hides,
but
this
cannot
be
definitely
proved.
Steatite
items
were
found
in
the
Balzi
Rossi
sites,
at
the
frontier
between
Italy
and
France,
but
most
of
them
were
excavated
long
ago.
We
discuss
the
place
of
origin
and
stratigraphie
position
of
each
of
them,
and
draw
comparisons
with
similar
artifacts
found
in
other
Italian
and
French
sites.
Working
techniques,
and
specially
perforating
techniques,
became
more
and
more
complex
through
time.
During
the
Gravettian-Early
Epigravettian,
small
steatite
pebbles
were
looked
for
to
carve
human
figurines.
This
raw
material
was
possibly
more
easily
found
at
the
end
of
the
Upper
Palaeolithic,
after
mountain
deglacierisation,
when
people
were
able
to
explore
new
countries
freely.
Mots-clefs
:
grottes
des
Balzi
Rossi,
grottes
de
Grimaldi,
Paléolithique
supérieur
italien,
art
paléolithique,
parure
paléolithique,
venus.
Key-words
:
Balzi
Rossi
caves,
Grimaldi
caves,
Italian
Upper
Palaeolithic,
Palaeolithic
art,
Palaeolithic
body
ornamentation,
venus
figurines.
Les
sites
paléolithiques
italiens
qui
se
trouvent
fique
sous
plusieurs
appellations
:
grottes
de
Menton,
juste
à
la
frontière
de
la
France,
sur
le
rivage
médi-
grottes
de
Grimaldi
(terme
rendu
célèbre
par
l'impor-
terranéen,
sont
connus
dans
la
littérature
scienti-
tant
ouvrage
collectif
faisant
suite
aux
travaux
vou-
Gallia
Préhistoire,
1991,
tome
33,
p.
1-16.
MARGHERITA
MUSSI
MER
MEDITERRANEE
Fig.
1
Les
principaux
sites
des
Balzi
Rossi
occupés
au
Paléolithique
supérieur.
L'astérisque
indique
la
présence
de
steatite.
Situation
des
lieux
à
la
fin
du
xixe
siècle
d'après
le
relevé
de
E.
Rivière
(1887).
lus
par
le
prince
Albert
Ier
de
Monaco)
ou
grottes
des
Balzi
Rossi
x.
Seule
cette
dernière
dénomination
doit
être
retenue,
les
deux
autres
ne
correspondant
plus
depuis
longtemps
à
la
réalité
administrative
ou
ne
s'appliquant
pas
aisément
aux
sites
dégagés
après
l'intervention
du
prince
de
Monaco.
Les
découvertes
effectuées
dans
ces
gisements
dès
le
siècle
dernier
eurent
une
importance
de
tout
premier
plan
dans
les
débats
scientifiques
de
l'époque.
Malheureusement,
cette
renommée
eut
aussi
de
nombreux
inconvénients
:
exploités
selon
des
méthodes
qui,
au
mieux,
correspondaient
aux
standards
d'alors
(mais
qui
étaient
souvent
en
des
sous
de
ceux-ci),
les
sites
les
plus
importants
du
Paléolithique
supérieur
avaient
déjà
été
vidés,
ou
même
détruits
par
des
exploitations
de
carrière,
lorsque
les
techniques
de
fouille
commencèrent
à
s'affiner.
Très
souvent,
la
cavité
d'où
provenaient
les
pièces
archéologiques
ne
fut
même
pas
notée.
De
ce
1.
Balzi
Rossi
ou
Baoussé-Roussé
ou
Baussi-Russi,
c'est-
à-dire
les
«rochers
rouges»
d'après
un
toponyme.
L'ortho
graphe
Baoussé-Roussé,
employée
par
E.
Rivière
et
répétée
par
de
nombreux
auteurs,
dérive
d'une
transcription
erronée
du
toponyme
d'après
le
dialecte
local.
En
français,
il
faudrait
plutôt
écrire
Baoussi
Roussi,
avec
l'accent
tonique
sur
la
pre
mière
syllabe.
Le
terme
Balzi
Rossi
est
la
transposition
offi
cielle
en
italien.
fait,
dans
la
littérature
scientifique
récente
on
ne
trouve
presque
plus
mention
de
ces
gisements.
Font
exception
les
niveaux
du
Paléolithique
moyen
et
inférieur
qu'il
a
été
possible
d'étudier
par
la
suite,
quelques
remplissages
qui
avaient
échappé
aux
pre
mières
phases
de
recherche,
et
certaines
découvertes
particulières,
telles
qu'oeuvres
d'art
et
sépultures.
La
position
géographique
frontalière
a
eu,
elle
aussi,
une
influence
négative.
Elle
contribua
ult
érieurement
au
démantèlement
des
collections
entre
l'Italie,
la
France
et
la
Principauté
de
Monaco
(mais
naturellement,
des
séries
finirent
aussi,
selon
la
cou
tume
de
l'époque,
dans
de
nombreux
autres
pays
européens
ou
extra-européens).
Des
questions
de
langue
intervinrent
également.
Ainsi,
il
n'est
pas
toujours
compris
qu'un
même
site
puisse,
par
exemple,
aussi
bien
s'appeler
«grotte
des
Enfants»
que
«grotta
dei
Fanciulli»,
ou
que
la
«Barma
dou
Cavillou»
soit
aussi
la
«grotta
del
Caviglione»...
Nous
avons
entrepris
d'examiner
les
documents
et
les
collections
relatives
à
ces
gisements,
dans
l'e
spoir
qu'il
soit
encore
possible
de
sauver
quelques
bribes
de
l'immense
quantité
d'informations
qu'ils
recelaient.
Après
nous
être
attachée
au
problème
des
soi-disant
sépultures
«aurignaciennes»,
en
fait
d'âge
plus
tardif
(Mussi,
1986a
;
Mussi
et
al.,
1989)
et
qui
constituent
maintenant
une
sorte
de
repère
chrono-
LA
STEATITE
AUX
BALZI
ROSSI
logique,
nous
examinerons
ici
une
série
d'objets
en
steatite2.
En
effet,
l'ensemble
des
spécimens
des
dif
férents
sites
des
Balzi
Rossi
constitue
probablement
la
plus
forte
concentration
de
cette
matière
première
connue
au
Paléolithique
(fig.
1).
La
steatite,
appelée
aussi
«craie
de
Briançon»,
est
une
variété
de
talc,
donc
un
phyllosilicate
de
magnésium
hydraté
plus
ou
moins
pur
(Gavinato,
1952
;
Del
Caldo
et
al.,
1973).
Dans
l'échelle
de
dureté
de
Mohs
élaborée
pour
les
minéraux
le
talc,
avec
valeur
1,
est
le
terme
le
plus
bas.
La
steatite,
plus
compacte,
a
un
degré
de
dureté
entre
2
et
3
(alors
que
l'ongle
humain,
par
comparaison,
a
une
valeur
de
2,5).
Selon
la
présence
ou
non
d'alumi
nium,
d'oxydes
de
fer,
de
calcium
ou
autres,
elle
peut
être
de
couleur
blanche,
verdâtre,
jaune,
rosée,
noire,
etc.
Dans
la
littérature
archéologique,
la
stea
tite
est
parfois
appelée
«talcschiste»
ou
«schiste
tal-
queux»
ou
même
«argile
bleue»
(cf.
infra,
p.
6
et
10).
La
facilité
avec
laquelle
on
peut
la
racler,
l'inci
ser,
la
perforer,
n'a
pas
échappé
aux
hommes
du
Paléolithique
supérieur
qui
appliquaient
ces
mêmes
techniques
à
des
substances
d'origine
organique
telles
que
l'os,
l'ivoire
et
la
corne.
Un
attrait
d'ordre
esthétique
pour
cette
matière
colorée
plus
ou
moins
translucide
a
aussi
entrer
en
ligne
de
compte,
comme
nous
le
verrons
plus
loin.
BREF
HISTORIQUE
DES
RECHERCHES
Comme
le
remarque
E.
Rivière
(1887),
les
Romains
déjà,
lors
de
la
construction
de
la
Via
Aurél
ia,
entamèrent
certainement
le
dépôt
archéologique
qui
s'étendait
amplement
devant
les
grottes.
Dans
certaines
d'entre
elles,
de
vastes
fours
à
chaux
ont
été
établis
au
xvme
siècle,
comme
le
signale
H.
de
Saussure
en
1786
(cité
par
Rivière,
1887).
Dès
la
pre
mière
moitié
du
xixe
siècle,
on
commença
à
les
creu
ser
dans
le
but
de
trouver
les
objets
anciens
qui
y
étaient
enfouis.
Ainsi
le
prince
Florestan
Ier
de
Monaco,
dont
les
collections
sont
perdues,
aurait
fait
vider
intégralement
la
cavité
qui
porte
maintenant
son
nom
(Villeneuve
et
al.,
1906-1919).
Vers
1832,
S.
Bonfils,
alors
âgé
de
10
ans
et
qui
sera
plus
tard
conservateur
du
musée
de
Menton,
commença
à
«gratter
la
terre»
(Octobon,
1952).
2.
Le
Musée
des
Antiquités
Nationales
de
Saint-Ger-
main-en-Laye
et
le
Museo
preistorico-etnografîco
L.
Pigorini
de
Rome
nous
ont
permis
de
reproduire
la
documentation
pho
tographique
d'objets
en
steatite
qui
y
sont
conservés.
Que
ces
institutions
soient
ici
vivement
remerciées
(fig.
3,
photo
F.
Scarpelli,
coll.
du
Museo
preistorico-etnografîco
L.
Pigorini
;
fig.
4
et
7,
photos
et
coll.
MAN
de
Saint-Germain-en-Laye).
Des
fouilles
pseudo-scientifiques
eurent
lieu
par
la
suite
sous
l'égide
de
personnes
qui,
attirées
par
le
climat,
séjournaient
souvent
à
Menton
en
hiver
:
A.
Grand
et
E.
Chantre
de
Lyon,
le
suisse
F.
Forel,
l'anglais
Moggridge,
le
professeur
Pérès
de
Nice,
etc.
En
1869,
on
disait
déjà
que
«depuis
longtemps
les
grottes
avaient
été
tellement
explorées
que
l'on
n'y
trouvait
plus
quoi
*
que
ce
fût»
(Rivière,
1887,
p.
XII).
Mais
en
1870,
les
travaux
pour
la
voie
ferrée
reliant
l'Italie
à
la
France
révélèrent
d'abondants
restes
archéologiques
et
paléontologiques
qui
furent
bientôt
un
attrait
pour
les
touristes
de
Menton
et
une
source
de
gain
pour
les
ouvriers.
E.
Rivière
commença
vers
cette
époque
des
recherches
systémat
iques
et
bientôt
officielles
dans
les
grottes,
en
su
ivant
une
méthode
relativement
avancée
:
couches
de
25
cm
et
tamisage.
Malheureusement,
dans
les
publi
cations
de
cet
auteur,
la
stratigraphie
est
peu
évo
quée.
Des
recherches
plus
poussées
furent
entreprises
sous
l'initiative
du
prince
Albert
Ier
de
Monaco
de
1895
à
1902.
Elles
servirent
à
l'ouvrage
bien
connu
:
«Les
grottes
de
Grimaldi»
(Villeneuve
et
al.,
1906-
1919).
Parallèlement
aux
chercheurs
officiels,
dont
cer
tains
tels
que
L.
Orsini
et
G.B.
Rossi
n'intervinrent
que
brièvement,
d'autres
creusèrent
plus
ou
moins
clandestinement
dans
les
grottes
:
ainsi
S.
Bonfils,
actif
durant
plus
d'un
demi-siècle,
le
carrier
F.
Abbo,
propriétaire
pendant
un
certain
temps
de
quelques-
unes
des
cavités,
et
L.
Jullien,
dont
nous
reparlerons.
Un
nouveau
cycle
de
recherches
scientifiques
eut
lieu
entre
les
deux
guerres,
principalement
grâce
à
l'intérêt
de
A.C.
Blanc
et
L.
Cardini
de
l'Istituto
Italiano
di
Paleontologia
Umana.
Il
permit
la
décou
verte
d'un
nouveau
site,
le
riparo
(ou
abri)
Mochi,
qui
fut
fouillé
de
façon
intermittente
jusqu'en
1962.
Dans
les
années
suivantes,
l'équipe
du
Musée
d'Anthropologie
préhistorique
de
Monaco,
sous
la
direction
de
L.
Barrai
et
S.
Simone,
reprit
la
fouille
de
la
grotte
du
Prince,
alors
que
l'Institut
Interna
tional
d'Études
Ligures,
avec
G.
Vicino,
s'attacha
à
deux