Ce livre forme un diptyque autour de deux œuvres parisiennes du début du quatorzième siècle, le Roman de Fauvel conservé dans le célèbre manuscrit Paris, BnF, fr. 146 et l’Ovide moralisé glosé, qui font l’objet de deux études importantes conçues comme deux monographies qu’on peut lire séparément, mais unies par trois thématiques: bilinguisme; savoir; et milieux intellectuels. La première partie
... [Show full abstract] situe le contexte intellectuel par une longue synthèse sur le statut et la définition du clerc, à partir des travaux notamment de Jacques Verger abondamment cité, et précise la définition de l’illiteratus et du laicus. La deuxième partie propose une étude littéraire très complète du remaniement du Roman de Fauvel, sans oublier les nombreux travaux déjà existants. Elle met aussi en relation les pièces musicales avec l’œuvre non chantée par une analyse notamment narratologique, accompagnée d’une contextualisation historique sur le milieu de la chancellerie royale. Thibaut Radomme démontre l’optimisme de ce remaniement, correspondant à une situation politique qui évolue et qui est visible dans la structure que Radomme démonte. Il propose par ailleurs une typologie narratologique des pièces musicales et de leur insertion par juxtaposition, insertion et variation des voix, s’intéresse à la polyphonie des voix et à la ‘fabrique de l’auteur’ dans une mise en scène du clerc tant dans les miniatures que dans le texte. Une intéressante discussion est menée sur le statut particulier des pièces lyriques: ni pastiche, ni parodie, selon l’auteur, mais faisant partie d’une critique de l’éthique courtoise. L’œuvre entre hermétisme et admonitio paraît comme une réponse à une crise du langage, relevant de la subtilité bien connue de ce siècle. La troisième partie est centrée sur les manuscrits de l’Ovide moralisé, avec gloses marginales bilingues, dont l’auteur propose un stemma. Il en rappelle l’origine franciscaine, avant une analyse intégrale de celles du livre 1. S’appuyant sur les travaux récents, notamment ceux de Jean-Baptiste Guillaumin, l’auteur souligne ensuite la double fonction de confirmation et d’amplification de ces gloses, second commentaire d’un texte ovidien, déjà commenté dans l’adaptation française, mais celui-là destiné à un lectorat plus spécialisé. Il en démontre alors l’utilisation franciscaine, notamment pour l’instruction morale des laïcs dans un enseignement oral selon le modèle de la prédication, non seulement par la structure et le contenu de ces annotations marginales, mais aussi par le contexte royal du début du quatorzième siècle. Les variations selon les manuscrits témoignent de l’évolution des enjeux et des publics visés, en particulier la version x qui serait composée entre 1390 et 1410 et serait moins scolastique et plus édifiante. L’auteur conclut sur le bilinguisme des deux œuvres, en considérant qu’il est la trace de la contradiction des clercs, donnant l’accès au savoir tout en voulant en garder le contrôle, entre didactisme et satire. L’ensemble, malgré quelques longueurs, associe avec bonheur analyses littéraires, codicologiques et contexte intellectuel et historique pour apporter une nouvelle approche du bilinguisme envisagé comme mode de définition du pouvoir clérical en ce début du quatorzième siècle.