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Psychologue dans le champ scolaire : une pratique sous le sceau du paradoxe

Authors:

Abstract

Starting from an experiment she coordinated among a group of educational psychologists, the author reflects on psychological intervention programmes. Following the group's questions, she organises her reflection along three main lines: the function of the institution, the function of the reference theories, and the nature of the process involved in those programmes. As far as the first two points are concerned, the clinical psychologist's practice appears paradoxical. The first paradox is that the institution does not acknowledge him or her as a promoter of subjectivity; the second concerns the lack of articulation of the relationship with theory, i.e. psychoanalytical theory. After questioning those paradoxes, which cannot be resolved, the author shows that the specific action of clinical psychologists can have a legitimate place, providing they ponder deeply on the meaning of their intervention, and ground their reflection on transitional analysis, as it has been defined by several French authors, in reference to Winnicott: the transition period as well as the transitional area.
Psychologie de léducation
Psychologue dans le champ scolaire :
une pratique sous le sceau du paradoxe
School psychologist:
a paradoxical psychologists practice
N. Proia-Lelouey
1
Université de Caen, esplanade de la Paix, campus 1, 14032 Caen cedex, France
Résumé
Lauteur mène, à partir dune expérience danimation dun groupe de psychologues de lÉducation
nationale, une réflexion sur les dispositifs dintervention psychologique. Suivant les questionnements du
groupe, elle élabore cette réflexion à partir de trois pôles : la fonction de linstitution, celle des théories
de référence et, au final, interroge la nature des processus en jeu dans ces dispositifs. Concernant les
deux premiers points, la pratique du psychologue clinicien apparaît sous le sceau du paradoxe : paradoxe
institutionnel dans la mesure où cette pratique nest pas vraiment reconnue comme source de promotion
de la subjectivité ; paradoxe dans le rapport non élaboré quelle entretient à légard de la théorie, en loc-
currence psychanalytique. Une fois ces rapports paradoxaux interrogés à défaut de pouvoir être résolus,
lauteur montre quil existe un espace possible pour un dispositif propre au psychologue clinicien, à la
condition que celui-ci élabore une réflexion approfondie sur le sens de ses interventions en prenant
appui sur lanalyse transitionnelle telle quelle a pu être définie par plusieurs auteurs français en réfé-
rence à Winnicott : à la fois période de transition et aire transitionnelle.
© 2006 Société française de psychologie. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
http://france.elsevier.com/direct/PRPS/
Pratiques psychologiques 12 (2006) 305315
Adresse e-mail : nadine.proia-lelouey@unicaen.fr (N. Proia-Lelouey).
1
Professeur.
1269-1763/$ - see front matter © 2006 Société française de psychologie. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.prps.2006.06.003
Abstract
Starting from an experiment she coordinated among a group of educational psychologists, the author
reflects on psychological intervention programmes. Following the groups questions, she organises her
reflection along three main lines: the function of the institution, the function of the reference theories,
and the nature of the process involved in those programmes. As far as the first two points are concerned,
the clinical psychologists practice appears paradoxical. The first paradox is that the institution does not
acknowledge him or her as a promoter of subjectivity; the second concerns the lack of articulation of
the relationship with theory, i.e. psychoanalytical theory. After questioning those paradoxes, which can-
not be resolved, the author shows that the specific action of clinical psychologists can have a legitimate
place, providing they ponder deeply on the meaning of their intervention, and ground their reflection on
transitional analysis, as it has been defined by several French authors, in reference to Winnicott: the tran-
sition period as well as the transitional area.
© 2006 Société française de psychologie. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Psychologue à lécole ; Institution ; Psychanalyse ; Analyse transitionnelle
Keywords: School psychologist; Institution; Psychoanalysis; Transitional analysis
Nous souhaitons, dans le présent travail, rendre compte de nos réflexions, suite à une expé-
rience danimation dun groupe de formation recherche (GFR) auprès de psychologues interve-
nant dans le champ scolaire.
Les GFR sont des dispositifs de formationrecherche proposés par la formation continue de
lÉducation nationale (IUFM) aux enseignants du second degré (cf. infra). Chaque groupe
sengage pendant trois ans, sur une recherche dont il détermine les objectifs et les méthodes.
Cette formation par la recherche permet aux enseignants de formaliser des problématiques,
danalyser des pratiques denseignement et de promouvoir des activités innovantes
2
.
Cette expérience sest déroulée de septembre 2002 à juin 2005 à raison de quatre rencontres
par an. Chacune de ces rencontres se déroulait en deux temps :
un premier consacré à lexpression des membres du groupe quant à leur vécu professionnel,
le groupe fonctionnant alors essentiellement comme groupe de régulation ;
un second, centré sur une analyse de cas, le groupe fonctionnant alors comme groupe
danalyse des pratiques professionnelles.
À chaque rencontre, un « secrétaire de séance » prenait en note les propos de chacun, notes
restituées à lensemble du groupe sous forme dun compte-rendu lors de la rencontre suivante.
Cest à partir de lensemble de ces notes que nous avons élaboré et rédigé le présent travail.
Dans laprès-coup, nous pouvons retenir trois questions fondamentales qui nont cessé
dêtre à lœuvre dans ce groupe, et qui seront autant de fils conducteurs de notre réflexion :
2
Malgré de nombreuses recherches, nous navons pas trouvé de textes statutaires sur les GFR mais nous avons pu
en trouver la définition ci-dessus sur le site de lIUFM Midi-Pyrénées.
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quelle place pour lintervention psychologique et le psychologue clinicien au sein de lins-
titution scolaire ?
Quel(s) référent(s) théorique(s) ?
Quels dispositifs mettre en place pour promouvoir lintervention psychologique dans le
champ de léducation ?
Ces questions constituent les fondements du cadre qui donne sens à toute intervention psy-
chologique (Scelles 2003 : 5). Elles sont donc transversales à toute pratique psychologique et
rendent dautant plus intéressante leur analyse sous la loupe de ce contexte institutionnel parti-
culier quest la psychologie dans le champ scolaire. Cette pratique occupe selon nous une posi-
tion paradigmatique des ambiguïtés et des paradoxes dans lesquels se trouvent les psycholo-
gues cliniciens et peut ainsi servir de base à une réflexion générale sur le soin psychique, ses
dispositifs et la place qui peut être dévolue au psychologue clinicien.
1. Lintervention psychologique et le psychologue clinicien au sein de linstitution scolaire
1.1. Le paradoxe du « psychologue scolaire »
Le psychologue clinicien est inscrit, dans le champ scolaire, sous le signe du paradoxe et du
refus de la différenciation. Alors quil signifie par sa présence même, « lhétérogène », « le
dehors », puisque sa mission ne sinscrit pas directement dans le cadre de la tâche primaire
3
de lécole, cette hétérogénéité est, dans le même mouvement, niée par linstitution scolaire.
Mouvement que nous pouvons repérer au moins à trois niveaux :
« La formation maison » des psychologues dans léducation. Ceux-ci sont obligatoirement
des instituteurs et suivent une formation particulière donnant lieu à un diplôme spécifique :
« le diplôme dÉtat de psychologie scolaire (DEPS) ». Il nest toujours pas à lordre du jour
d« ouvrir » lÉducation nationale aux psychologues qui auraient suivi la formation univer-
sitaire classique (anciennement « diplôme détudes supérieures spécialisées (DESS) » et
maintenant master professionnel) ;
malgré la décision du Conseil dÉtat du 22 février 1995 annulant lobligation de la mention
« scolaire » au titre
4
, les psychologues de léducation ne sont toujours pas, pour autant, ins-
titutionnellement reconnus comme tels puisquils sont, pour ladministration, des « ensei-
gnants spécialisés ». Ainsi, le signifiant « psychologue » bien que clairement identifié par
lÉtat et présent sur le terrain, nexiste pas pour ladministration ;
concernant la formation continue (au moins dans les programmes proposés par lIUFM de
notre région), les « psychologues scolaires » napparaissent pas sur la liste des personnels
pouvant bénéficier de formations, soulignant par la négative quaucune formation spécifique
ne leur est offerte Ainsi, même dans le cadre de la formation continue, la spécificité du sta-
tut et de la fonction des psychologues dans léducation nest pas reconnue.
3
Il sagit dune notion de psychosociologie des organisations, la « tâche primaire » est la tâche pour laquelle une
organisation a été fondée : la tâche primaire de lécole est denseigner aux enfants.
4
Néanmoins, il sagit toujours dun diplôme de « psychologie scolaire ».
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Cette difficulté de linstitution à accepter lhétérogène fut au cœur des problèmes qui ont pu
émailler lexistence de notre groupe dès sa mise en place. Ainsi :
lutilisation même du support « GFR » pour lui donner une existence institutionnelle alors
que nous avons vu dans lintroduction que ces groupes sont normalement destinés à des
enseignants du second degré. Cette situation renvoie à labsence de dispositifs spécifiques
de formation continue pour psychologues scolaires (cf. supra) ;
Les négociations pour sa création furent difficiles ; il a vu le jour, malgré lopposition de
linspection départementale, grâce à lappui de lIUFM, normalement seul maître dœuvre
de la formation continue
5
;
il a chaque année été remis en cause alors même quun GFR est un groupe qui, structurel-
lement, sinscrit dans une durée minimum de trois ans ;
La seule fois où il fut répertorié dans la « Lettre de la Recherche » (revue de lIUFM), lors
de sa mise en place en octobre 2002, il napparaissait pas comme adressé spécifiquement
aux psychologues ;
Il napparaissait dailleurs plus dans la « Lettre de la Recherche » de juillet 2003 où était
indiquée la liste des GFR se poursuivant durant lannée 20032004 ;
notre groupe fut aussi régulièrement objet dattaques du cadre par ladministration. Ainsi,
lun des regroupements fut présenté comme « une journée de formation » conduisant diver-
ses personnes à sy inscrire (y compris un « Maître G »), alors même que le groupe appa-
raissait bien au plan départemental de formation comme un GFR et relevant dun « public
désigné ».
Comment, en faisant preuve dune telle intolérance à létranger,linstitution scolaire peut-
elle accepter que se déroule en ses murs une intervention dune nature hétérogène au champ
pédagogique ? Comment peut-elle reconnaître dans lélève, un Enfant porteur dune histoire
singulière
6
et accepter quune rencontre spécifique permette au sujet de sexprimer là-même
où elle ne reconnaît quun individu scolarisé ?
1.2. Sortir du paradoxe : le psychologue dans le champ scolaire
Reste alors au psychologue scolaire à se dégager, tant que faire se peut, du paradoxe insti-
tutionnel. Supplice de Sisyphe qui nécessite, selon nous, un travail identitaire pour le psycho-
logue lui-même.
Cette élaboration dune démarche professionnelle passe, pour la plupart dentre eux, par
lobtention dun DESS de psychologie (le plus souvent DESS de psychologie clinique et
pathologique) qui leur permet daccéder à une identité de psychologue de « plein droit »
dirions-nous. Cela nest pas sans créer de vives tensions, au sein même du groupe des psycho-
logues scolaires, entre ceux justement qui sont titulaires du DESS et ceux qui sont « seule-
ment » titulaires du DEPS. Nous en avons eu une illustration dans notre groupe où cette ques-
5
Nous ne savons pas si les « GFR de psychologues » se pratiquent dans dautres régions mais, si celui que nous
avons animé nétait pas le premier dans la nôtre, les objectifs des précédents étaient de nature nettement « psychopé-
dagogiques ».
6
La nouvelle loi dorientation ne semble pas rassurante sur cette question (Barthélemy-Chaudoir, 2005).
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tion est apparue au cours dun regroupement créant une tension extrême. Lunique membre du
GFR qui ne possédait pas le DESS sest senti, au cours de cette séance, disqualifié par le reste
du groupe et nadailleurs, par la suite, jamais plus participé aux regroupements.
Mais lobtention du DESS ne résout pas pour autant cette question identitaire, elle fut pré-
gnante dans le cadre du GFR chez des psychologues qui, non seulement étaient diplômés, mais
avaient, pour la plupart dentre eux, une longue expérience professionnelle.
An sein du groupe, cette mise au travail de lidentité a abouti à un glissement qui sest
opéré en deux temps : le premier a fait passer les membres de létiquette de « psychologue
scolaire » à celle de « psychologue de léducation », et le second à celle de « psychologue
dans léducation ». On retrouve cette terminologie, au détour dune phrase sous la plume de
Barthélemy-Chaudoir (2000) ou De Falco (2000). Cependant, lorigine dune réflexion sur le
sens de ce glissement pour la clinique dans le champ scolaire se trouve dans un article de
Blondeau et al. (1982 : 100).
À chaque glissement, lenjeu a été de séloigner dune identité liée à lintervention pédago-
gique pour renforcer une autre identité liée, quant à elle, à lintervention psychologique. Blanc
et al. (2000) décrivent un phénomène similaire quand ils mettent en évidence, sur la question
de lidentité professionnelle des psychologues dans léducation, quatre « styles professionnels »
selon une échelle qui va de « ladhérence au secteur dactivité » (intervention pédagogique) à
«lélaboration plus ou moins avancée dune démarche professionnelle propre au psychologue »
(intervention psychologique). Si ces auteurs sinscrivaient dans une démarche méthodologique
fort différente de la nôtre puisquil sagissait dune enquête, leurs résultats nen sont pas moins
très convergents avec les nôtres puisque ces quatre styles peuvent être perçus comme autant de
phases dans le processus que nous venons de décrire
7
.
Cette question identitaire est fondamentale car le travail du psychologue, quel que soit son
lieu dexercice, implique une position dextraterritorialité au regard de la tâche primaire de
linstitution et, conjointement, au collectif quelle institue : soignéssoignants, éduquéséduca-
teurs. Cest ce que Héry (1989) appelle la position de tiers-inclus : le psychologue doit « sef-
forcer de rester garant du déploiement dinterrogations tant intersubjectives quintra-
subjectives ». Pour se faire, il va veiller à ce que sa présence maintienne « du jeu, des écarts,
des ouvertures, des articulations là où le discours groupal ou institutionnel risque dêtre trop
compact » (ibid : 209). Lun des membres du groupe a proposé la métaphore suivante pour
illustrer cette question : « si nous sommes bien dans le cahier, nous devons rester dans la
marge (et non dans le corps du texte) ».
Mais au-delà dun simple changement dintitulé, comment fonder une identité profession-
nelle solide permettant au psychologue dêtre le garant de ce déploiement de la subjectivité ?
Cest là quinterviennent les deux autres dimensions évoquées en introduction de notre propos :
les références théoriques et une réflexion sur les dispositifs dintervention à mettre en place.
7
Bien entendu tout psychologue de léducation nen passera pas forcément par ces quatre styles ; on peut dailleurs
relire le conflit qui a conduit au départ de lun des membres du groupe comme un conflit de « style » dont lopposi-
tion DEPS/DESS na été quun indicateur (cf supra).
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2. Les référence(s) théorique(s)
Celles-ci, dordre psychanalytique, saffichaient demblée dans lintitulé originel même du
GFR : « la difficulté pour les parents de renoncer à lenfant imaginaire. Quels effets sur la
scolarité de leur enfant ? Quels dispositifs peut-on mettre en place dans lécole ? ».
Cet intitulé est en fait le résultat dune négociation entre le psychologue à lorigine du GFR
et nous-même
8
. La première partie constitue sa proposition dorigine et la seconde notre
contre-proposition. Nous pouvons les retrouver développées dans le texte qui a servi à la négo-
ciation avec les tutelles (Annexe A). Cest du fait même de notre orientation psychanalytique
que ce psychologue nous avait sollicité pour animer ce groupe. Cependant, la manière dont le
référentiel était ainsi posé engendrait deux problèmes. Dune part, il posait comme fait acquis
ce qui ne pouvait être quune hypothèse de travail. Dautre part, il ne permettait pas aux mem-
bres du groupe de mettre au travail leur rapport à ce référentiel. Le poser ainsi demblée ris-
quait de le réifier et de le rendre alors inutilisable.
La théorie psychanalytique est un puissant « attracteur » pour les praticiens du soin psy-
chique et tout particulièrement les psychologues cliniciens, mais cette attraction nest pas sans
poser de multiples problèmes, sources de nouveaux paradoxes. Tout dabord parce que cette
théorie savère, au final, largement paralysante pour la pensée si elle est vécue sur le mode
dun idéal narcissique (Samacher 1989,Clément 1989). Mais surtout, parce que ce rapport
«dinquiétante familiarité » selon lexpression reprise par Gori et Miollan (1982) entre psy-
chanalyse et psychologie clinique bute inéluctablement sur la question du transfert (Anzieu
1979a,Gori et Miollan 1982). Suivant Roussillon, ce référentiel reste pourtant fondamental
pour la psychologie clinique, car elle a pu théoriser cette « aptitude générale de la psyché de
répéter ce qui a eu et na pas eu lieu dessentiel pour la subjectivité et la vie psychique du
sujet » (2002 : 144). Lauteur précise que tout dispositif dintervention psychologique repose
sur le travail de symbolisation réalisé grâce au transfert, que ce soit en connaissance ou en
méconnaissance de cause (ibid : 152). Cette méconnaissance peut, selon nous, se situer à
deux niveaux : réfutation même de lidée dinconscient et donc de répétition dans le transfert
ou acceptation de cette idée mais sous une forme fétichisée qui évite toute mise au travail de
son propre transfert sur la théorie. Cest dans cette mise au travail que le psychologue clinicien
peut espérer dialectiser son lien paradoxal à la théorie psychanalytique qui devient alors source
de création et de pensée pour les dispositifs dintervention quil cherche à mettre en œuvre.
Le temps de lécole élémentaire est celui de la « période de latence », cette période que
Freud (1915) comparait à lère glaciaire. « Cette glaciation nest pas seulement un ralentisse-
ment des activités humaines, elle est aussi ce qui permet de favoriser la mise en sommeil du
travail du sexuel afin de favoriser le développement de la pensée. Labsence de ce processus
laisse apparaître une sexualisation de la pensée, sexualisation qui conduit aux désordres les
plus profonds sur le plan de la construction subjectale » (Marty, 1999 : 107). Cet auteur déve-
loppe ainsi lidée selon laquelle la latence est moins à voir comme une période que comme un
processus qui peut connaître des impasses ou des ratés. Excès du processus de latence qui
conduirait du côté de linhibition intellectuelle ou, au contraire, carence qui entraînerait un
recours à lacte comme régulateur des tensions internes (ibid : 109).
8
Notons quil est apparu dans La lettre de la recherche (voir supra) sous lintitulé : « parents et désir dapprendre
chez lenfant, quels dispositifs dintervention psychologique ? ». Ce qui le mettait dans la droite ligne des circulaires
de 1990 et 2002 mais éliminait toute trace explicite du référentiel psychanalytique.
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Nous retrouvons là les deux grandes formes dexpression psychopathologique que nous
avons pu observer dans les diverses analyses de cas effectuées au cours de ce travail avec
une prédominance de « lexcès » repérable, sous les troubles, dans le manque de décentration
et lhyperexcitation dont peuvent faire preuve ces enfants
9
.
Le tableau clinique le plus typique auquel lécole est actuellement confrontée est celui dun
enfant visiblement perturbé tant sur le plan comportemental que dans les apprentissages tout
en disposant de capacités cognitives satisfaisantes. Il ne relève ni du champ de la « pathologie
mentale », ni de celui du handicap. Il reste par ailleurs le plus souvent réfractaire à une prise
en charge psychothérapeutique individuelle telle quelle peut être classiquement pratiquée en
CMP ou CMPP.
Tableau qui savère très concordant avec certains tableaux décrits dans le cadre « des patho-
logies limites de lenfance ». Au sein des dysharmonies évolutives propres à rendre compte de
faits pathologiques se situant entre névrose et psychose, Misès (1990 : 13-14) privilégie, à côté
des dysharmonies de « type psychotique » et de « type névrotique », des dysharmonies « à
type pathologie limite » qui, toujours selon lauteur, occupent une place centrale sur le « troi-
sième axe ». Misès précise que ces « pathologies limites » recouvrent de nombreuses organi-
sations psychopathologiques décrites selon divers traits originaux liés aux circonstances de
découverte, à la symptomatologie dominante et/ou au cadre théorique des auteurs mais qui
ont toutes en commun « des failles narcissiques, un échec dans lélaboration de la position
dépressive et de labsence, la quête détayage, le contournement des conflits didentifications
les plus évolués » (ibid. : 14).
Mais que peut faire le psychologue, dans le cadre même de lécole, pour aider les enfants à
sortir de ces impasses psychopathologiques, à promouvoir chez eux le processus de latence et
ainsi leur ouvrir les voies de la sublimation ?
3. Quels dispositifs pour une intervention psychologique à lécole ?
Misès nous donne les premières pistes de réflexion quand il écrit, dune part, que « le trai-
tement () ne saurait reposer sur des mesures ponctuelles à visée symptomatique, son orien-
tation est nécessairement psychothérapeutique, mais la question se pose de la prise dappui sur
des supports éducatifs, pédagogiques, rééducatifs et du recours à des dispositifs institutionnels »
(1990 : 65) et dautre part que « de telles variations [dexpression symptomatique] imposent
une saisie élargie incluant lentourage : cette règle, habituelle en psychopathologie de lenfance
savère encore plus quailleurs fondamentale, en raison de la place prise ici par le lien spécu-
laire ». (ibid : 32).
Le psychologue doit donc être au centre dun dispositif élargi et modulable. Celui-ci existe
en fait : il sagit des RASED (réseau daides spécialisées aux élèves en difficulté) créés en
1990 en remplacement des GAPP (groupe daide psychopédagogique). Mais ce dispositif se
doit dintégrer une première phase plus ou moins longue durant laquelle le psychologue pro-
pose un lieu « découte bienveillante » aux divers « plaignants » (enfant, parents mais aussi, si
9
Le manque de décentration et lhyperexcitation renvoient respectivement à limpossibilité pour lenfant dintégrer
lAlter comme contre-poids de son ego et à labsence de désexualisation des relations aux objets parentaux. Ces pro-
cessus (ou plutôt ces « non-processus »), inducteurs de pathologie, ont tendance à devenir un constat général de la cli-
nique infantile ce qui interroge la (ou lin-) capacité de notre société à promouvoir les processus de latence chez len-
fant.
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nécessaire, enseignants). Cette phase, fait a priori, pleinement partie des missions du psycholo-
gue scolaire puisque sous la rubrique « suivi psychologique », il est écrit : « Le psychologue
scolaire organise des entretiens avec les enfants en vue de favoriser lémergence du désir dap-
prendre et de sinvestir dans la scolarité, le dépassement de la dévalorisation de soi née de dif-
ficultés persistantes ou déchecs antérieurs. Il peut aussi proposer des entretiens au maître ou
aux parents pour faciliter la recherche des conduites et des comportements éducatifs les
mieux ajustés en fonction des problèmes constatés » (Circulaires 1990, 2002).
Cette notion de « suivi psychologique » devrait donc ouvrir aux psychologues la possibilité
de réfléchir sur un dispositif adéquat qui permettrait à lenfant comme à la famille ou encore à
lenseignant dy déployer ce qui fait rupture et/ou crise (cf. infra) et entrave la scolarité de
lenfant. Pourtant, le cadre administratif confronte encore une fois le psychologue à une
injonction paradoxale. En effet, selon la circulaire, les objectifs fixés au suivi psychologique
cantonnent le psychologue à une action psychologique au plus près de la tâche primaire alors
même que les processus psychiques nécessaires à la mise en œuvre du désir dapprendre sont
souvent bien éloignés de lactivité scolaire elle-même. Renvoyés ainsi à leur identité de psy-
chologues scolaires, ils intériorisent cette injonction et considèrent quils doivent limiter au
maximum leur intervention. Ainsi, quand la circulaire précise « le psychologue scolaire
conseille aux parents une consultation extérieure à lécole quand la situation requiert une
prise en charge qui ne peut être assurée au sein de lécole () » ceux-ci abordent cette pra-
tique du conseil quasiment au sens trivial du terme et narrivent pas à le penser du côté dun
authentique dispositif dintervention psychologique.
Lun des effets les plus marquants du GFR a été justement de sortir les membres du groupe
de cette injonction paradoxale, en leur offrant un espace de réflexion et conjointement, de nou-
veaux supports identificatoires qui les éloignaient dautant du signifiant « scolaire » tout en
restant inscrits dans lécole. Ils se sont progressivement construits comme psychologues clini-
ciens cest-à-dire comme personnes aptes à entendre un sujet en souffrance au-delà de ses
divers modes dexpression verbaux et comportementaux.
Le GFR a ainsi fonctionné, pour ses membres, comme un analogon de ce quils pourraient
offrir eux-mêmes comme lieu de déploiement subjectif et subjectal aux enfants et aux familles :
espace de résonance, de miroir (sans jugement, sans objectif, sans contrat) où la famille ne se
sent plus seule (Diamante 2003).
Le modèle théorique le plus pertinent, selon nous, pour penser ce type de dispositifs reste
celui de lanalyse transitionnelle telle quelle a pu être conceptualisée il y a plus de 20 ans
maintenant par Kaès (1979) et Anzieu (1979b), à la fois comme période de transition et
comme aire transitionnelle (selon le concept de Winnicott 1971).«Lanalyse transitionnelle
propose une perspective de la pratique psychanalytique centrée sur lélaboration de lexpé-
rience de crise, afin que se rétablisse une aire transitionnelle entre lespace intrapsychique,
lespace intersubjectif et lespace de la culture. ()Lanalyse transitionnelle est une méthode
dinvestigation, de traitement et délaboration des effets psychiques des expériences de rupture
et de discontinuité dans lappareil psychique individuel et groupal. Elle crée le rétablissement
de nouvelles continuités et la réorganisation de lespace intrapsychique dans ses corrélations
intersubjectives, à travers la formation daires transitionnelles génératrices dillusion, de sym-
bolisation et de créativité » (Kaès 19792004 : 7).
Plus récemment, Roussillon (1997) évoque la nécessité de construire « un dispositif trans-
formatif » qui permettra au sujet, grâce à une (nouvelle) expérience de lutilisation de lobjet,
de voir sa destructivité et sa paradoxalité acceptées, diffractées, transformées. Cet auteur
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reprend ce concept, oublié dit-il, de Winnicott pour souligner la fonction symbolisante de lob-
jet « en tant que celui-ci se prête au jeu de la symbolisation du sujet, en tant quil accepte def-
facer ou datténuer le rappel de son altérité pour permettre celle-ci. Lutilisation de lobjet []
se déploie particulièrement dans les moments de jeu intersubjectif qui prennent valeur de situa-
tions ou de moments symbolisants » (ibid : 404).
Le dispositif proposé à la famille doit donc pouvoir être un moment de jeu intersubjectif qui
permettra à chacun de (re)mettre en œuvre un travail de symbolisation laissé en souffrance.
Mais pour cela, le clinicien doit se présenter comme un objet « créatif et vivant », un objeu
selon le néologisme inventé par Roussillon (2002a). Il doit ainsi pouvoir offrir un lieu de
métabolisation des éprouvés, de transformation des émotions en récits. Travail que les familles
narrivent pas à faire spontanément et qui ainsi met en œuvre de lexcitation (Diamante 2003 :
30).
Comme nous lindiquions en introduction, la situation des psychologues dans léducation
peut servir de base à une réflexion générale sur le soin psychique, ses dispositifs et la place
dévolue au psychologue clinicien.
Telle que nous avons pu la mettre en œuvre ici, cette réflexion nécessite de penser le rap-
port que les institutions (école, hôpital, hôpital psychiatrique, etc.) entretiennent avec le sujet
mais aussi avec celui (psychologue clinicien), promu à le soutenir. Or, ces mêmes institutions
développent une forte propension à réifier tant lun que lautre. Entre « interstice et débarras »
(Roussillon 19872003), le psychologue clinicien doit pouvoir maintenir ouverte, et mettre
constamment au travail, cette position paradoxale.
Cette réflexion nécessite par ailleurs de se construire un référentiel théorique solide. Avec
pour fondements les conceptions de Winnicott, nous pensons quun renouvellement de la
notion danalyse transitionnelle
10
devrait justement permettre au psychologue clinicien, au-
delà des « bricolages » de chacun et quel que soit son champ dintervention, de penser ses
dispositifs dintervention. Cadre à la fois ferme et malléable (Kaès 19792004 : 7) qui, par
lexpérience de lindéterminé propice au transitionnel (Roussillon 2002b), permettra aux crises
paralysantes de devenir processus créateur.
Cette clinique du transitionnel devrait peut-être aussi permettre davancer sur « linquiétante
familiarité » entre psychanalyse et psychologie clinique même si les cartes entre psychanalyse,
psychothérapie et psychologie clinique semblent de plus en plus brouillées avec dun côté le
débat actuel entre psychanalyse et psychothérapie (Carnetpsy n
o
105 et suivants) et de lautre
la formulation actuelle du décret dapplication de la loi sur le titre de psychothérapeute.
Il sagirait alors de promouvoir le transitionnel comme référence de base à une clinique
élargie au plus près des lieux dexpression des troubles et qui inclut, dans des dispositifs
modulables, sujets en souffrance, environnement familial et acteurs de la tâche primaire (insti-
tuteurs, soignants, etc.). Ainsi, pour le champ qui fut le nôtre dans ce travail, en ouvrant un
espace transitionnel au sein même de lécole, le psychologue clinicien pourra offrir à lenfant
et sa famille un espace d(ob)jeu (Roussillon 2002a) qui, incluant le cas échéant instituteurs et
rééducateurs, fraiera la voie à des transformations créatrices propices au (r)établissement du
processus de sublimation.
10
Réflexion en partie entreprise, selon nous, autour du concept de subjectivation (Richard, 2006), même si les
auteurs ny font pas explicitement référence.
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Au moment de conclure ce travail, il reste à souligner cet autre paradoxe dont souffre le
psychologue clinicien : la clinique transitionnelle est une clinique difficile et délicate qui
demande une très solide formation alors même que ce sont très souvent de jeunes praticiens
inexpérimentés, seuls de surcroît, qui sy trouvent confrontés.
Annexe A
A.1. Proposition de GFR
La difficulté pour les parents de renoncer à lenfant imaginaire. Quels effets sur la scolarité
de leur enfant ? Quels dispositifs peut-on mettre en place dans lécole ?
Nombreux sont les parents qui viennent dire au psychologue scolaire quils ont eux-mêmes
échoué à lécole et quils sont « prêts à tout pour que leur enfant ne refasse pas la même
chose ». Toute difficulté de lenfant vient alors menacer un enfant imaginaire, objet dun fan-
tasme de réparation. Fantasme il y a, dans la mesure où les attitudes, les centres dintérêt et les
valeurs ne sont pas en congruence avec les exigences scolaires : les parents se limitent le plus
souvent à une exigence de résultats, sans investissement réel des contenus et des moyens pour
arriver au but ; ils ne proposent pas un modèle identificatoire porteur de réussite.
Il est alors fréquent de constater chez lenfant une opposition, passive ou active, particuliè-
rement visible dans son attitude vis-à-vis des leçons à la maison. Les conflits ainsi générés
sont parfois très violents, très déstabilisants. Ils peuvent conduire à une forte déception paren-
tale. Lenfant évidemment paye cher cette opposition qui peut le conduire à léchec scolaire,
ne serait-ce que par latteinte de lestime de soi.
Un premier objectif du GFR serait de mettre en question ce processus, dexaminer notam-
ment quels sont les paramètres qui rendent « nécessaire » lopposition de lenfant. Quelles sont
au contraire les conditions pour que lenfant nait pas à lutter contre sa représentation imagi-
naire.
().
La question dune répétition transgénérationnelle devra aussi être abordée dans la mesure
où elle peut sarticuler sur celle de lenfant imaginaire.
Un second objectif du GFR, peut-être le plus important, serait de positionner le psycholo-
gue scolaire dans son travail avec les parents, lenseignant et lenfant au regard de cette pro-
blématique. Il peut orienter les parents vers un CMP mais on constate que cette démarche
échoue souvent, notamment à cause de leurs difficultés délaboration verbale. Sans entrer
dans le cadre scolaire, quel serait le dispositif à mettre en place pour tenter un réajustement
entre les attentes parentales et lenfant réel ?
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