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Article
Diane Pruneau, Hélène Gravel et Ibrahim Ouattara
Revue des sciences de l'éducation
, vol. 28, n° 3, 2002, p. 565-585.
Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :
URI: http://id.erudit.org/iderudit/008334ar
DOI: 10.7202/008334ar
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«Les relations que les adolescents entretiennent avec leur environnement»
Revue des sciences de l’éducation, Vol. XXVIII, n
o
3, 2002, p. 565 à 585
Les relations que les adolescents
entretiennent avec leur environnement
Diane Pruneau Hélène Gravel
Professeure titulaire Professeure adjointe
Université de Moncton Université de Moncton
Ibrahim Ouattara
Professeur adjoint
Université de Moncton
Résumé – L’article identifie les types de relations que des adolescents de
13-14 ans entretiennent avec leur environnement. Les chercheurs ont choisi
trois moments de l’expérience: le trajet vers l’école, une aventure en milieu
naturel comprenant un moment de solitude et l’accomplissement d’une
action environnementale. Les résultats des entrevues individuelles et de
groupe démontrent que les adolescents sont spontanément moins intéressés
par l’environnement que leurs camarades plus jeunes. Toutefois, des acti-
vités pédagogiques dans la nature qui leur permettent de s’émerveiller, de
se reposer, de découvrir, de jouer et d’aider les animaux avec leurs amis
peuvent éveiller un intérêt latent pour l’environnement et favoriser une
rencontre avec le milieu.
Durant les dernières décennies, les recherches au sujet des jeunes de 14 à 17
ans ont favorisé l’identification de certaines caractéristiques de l’adolescence, âge
qui constitue une étape de transition entre la dépendance enfantine et l’autonomie
adulte. On sait des adolescents qu’ils vivent des transformations physiques, que leurs
pulsions sexuelles apparaissent, que leur raisonnement abstrait se développe, et qu’ils
construisent progressivement des réseaux sociaux personnels, indépendants de leur
famille. Ce vécu biologique et social renforce chez eux l’importance des relations
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interpersonnelles: les jeunes s’interrogent sur leur identité, et les amitiés qu’ils créent
sont autant d’occasions de se définir et de se sentir acceptés (Cloutier, 1996).
Qu’en est-il de la relation à l’environnement de ces jeunes personnes qui sont
préoccupées à la fois par leurs transformations physiques, leur insécurité person-
nelle et leurs besoins d’affirmation et d’appartenance à un groupe? Les adolescents
ont-ils suffisamment de disponibilité pour s’intéresser à la qualité de leurs milieux
naturel et construit? Ces milieux ont-ils de l’importance pour eux? Les recherches
contemporaines offrent peu de réponses à ces questions qui sont pourtant d’un
intérêt capital en éducation relative à l’environnement. Il est important de préciser
et de décrire les types de relations à l’environnement de ces apprenants particuliers
afin d’être en mesure de choisir des stratégies pédagogiques adaptées à leurs besoins.
En effet, si on parvient à identifier les objets d’intérêt environnementaux des ado-
lescents ou les motifs qui pourraient les inciter à fréquenter et à aimer les paysages
et les composantes de leurs milieux naturel et construit, on pourra mettre sur
pied des activités pédagogiques destinées à favoriser un attachement à ces espaces.
La construction d’un attachement biorégional nous apparaît comme une étape
préliminaire en éducation relative à l’environnement. Cette étape où l’apprenant
accorde de la valeur à l’objet d’apprentissage (l’environnement) est nécessaire pour
éventuellement le conduire à une implication environnementale et communau-
taire. Comme disait si bien Saint-Exupéry (1943) dans : «On prend
un meilleur soin de ce qu’on a apprivoisé.»
Que ce soit en anthropologie, en architecture, en urbanisme, en géographie
culturelle ou en sociologie, on trouve, dans les écrits du domaine de l’environ-
nement, des concepts dont l’objectif premier est de nommer la relation significative
d’une personne avec un lieu
1
. Il est question d’attachement aux lieux (Hay, 1988),
d’identité écologique (Thomashow, 1995), de topophilie (Tuan, 1991), d’iden-
tité locale (Proshansky, Fabian et Kaminoff, 1983), d’identité communautaire
(Hummon, 1992), de sensibilité environnementale (Tanner, 1980) et plus récem-
ment de ou d’appartenance à un lieu (Engwich, 2000). L’attachement
aux lieux et l’identité locale se définissent comme des structures cognitives com-
plexes, caractérisées par un grand nombre d’attitudes, de valeurs, de pensées, de
croyances, de significations et de tendances comportementales qui vont plus loin
que des attachements émotifs et des appartenances à des endroits particuliers.
L’identité écologique et la topophilie font surtout référence à un lien d’attachement
au milieu naturel. Les personnes s’identifient à des éléments biophysiques de leur
région (la mer, la forêt, etc.) grâce à un haut niveau de compréhension écologique.
Cette compréhension écologique comporte des dimensions cognitive et intuitive,
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formées à partir d’expériences directes avec la nature. L’identité communautaire
se rapporte davantage aux tissus sociaux et se définit comme «l’interprétation de
soi qui utilise la communauté comme centre d’attachement ou comme une image
pour la caractérisation de soi» (Hummon, 1992, p. 7). Pruneau (1995) définit,
quant à elle, la sensibilité environnementale comme un sentiment d’empathie pour
l’environnement, qui se manifeste par des habitudes et des attitudes d’ouverture,
d’intérêt et d’attention pour les composantes d’un milieu et par des habiletés à
percevoir et à ressentir ces composantes (p. 97). La sensibilité environnementale
fait donc référence à un intérêt marqué pour l’environnement, mais également
à une capacité de lire et de ressentir ce dernier. L’appartenance à un lieu fait égale-
ment appel à des sentiments de lien, d’appartenance et de bien-être dans sa commu-
nauté. Ce concept est issu de l’architecture verte ( ).
Pruneau, Chouinard, Arsenault et Breau (1999) ont effectué une synthèse
des écrits portant sur ces types d’attachement au milieu de vie. Ils rapportent une
liste d’attitudes et de comportements possibles des personnes qui entretiennent
une relation étroite avec leur milieu naturel et/ou construit:
– attachement au milieu construit,
– attachement au milieu naturel,
– attachement aux gens,
– fréquentation de places personnelles spéciales,
– tendance à inviter des personnes à visiter leur milieu,
– connaissance approfondie de l’environnement (endogène ou scientifique),
– expériences passées de contacts signifiants avec des endroits ou des personnes,
– capacité de remarquer les éléments environnementaux sains et malsains,
– visites fréquentes et variées dans le voisinage local,
– réalisation d’actions environnementales,
– contact sensoriel profond avec les composantes du milieu (sens ouverts et
disponibles),
– sentiment d’appartenance à sa région ( , p. 32).
Les attitudes et les comportements précédents peuvent être favorisés par le
vécu d’événements significatifs et positifs dans le milieu et/ou par la présence de
certaines composantes environnementales. D’abord, certaines personnes ont appris
à accorder une valeur importante aux espaces de leur milieu et à s’y attacher en
raison d’expériences de qualité vécues avec des personnes. Souvent, ces expérien-
ces ont procuré sécurité, affiliation sociale, liberté de créer et occasions d’explorer
(Rubinstein et Parmelee, 1992). D’autres types d’activités peuvent également favo-
riser l’évolution positive de la relation à l’environnement: le vécu de moments
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intensifs de contact avec la nature (en solitaire ou avec un petit nombre de per-
sonnes) (Chawla, 1992; Pruneau, Chouinard, Arsenault et Breau, 1999), l’accom-
plissement d’actions environnementales, l’exploration sensorielle, les contes éco-
logiques et les propos de personnes attachées aux lieux (Pruneau, Chouinard,
Arsenault et Breau, 1999). Le vécu de cérémonies culturelles (rituels annuels, fêtes
sur la place publique) peut également influencer le processus d’attachement à des
lieux (Riley, 1992).
De la même façon, certaines caractéristiques des paysages naturels, tels la
présence de montagnes, de chutes d’eau, de grands arbres, la texture agréable du
sol, la profondeur de l’arrière-plan, la présence d’éléments cachés ou mystérieux
(Kaplan et Kaplan, 1989), d’édifices à caractère culturel et rapprochés de la rue,
de fontaines, de petits commerces locaux, de rues piétonnes, de bancs et de tables
sur le trottoir (Engwich, 2000), peuvent susciter l’intérêt et le sentiment d’appar-
tenance.
On ajoute finalement qu’une relation significative avec un lieu renforce l’iden-
tité personnelle, procure un sentiment de contrôle qui contribue au bien-être
psychologique, offre une impression de sécurité et de continuité avec le passé tout
en stimulant le désir de protection (Pellow, 1992). Les personnes prennent ainsi
un meilleur soin des objets pour lesquels elles ressentent de l’affection (Belk, 1992).
Les adolescents d’aujourd’hui entretiennent-ils une relation significative avec
leur environnement? Quels motifs incitent les adolescents à entrer en contact avec
leur environnement? S’ils n’ont plus, comme dans la tendre enfance (Cobb, 1977),
une relation symbiotique avec le milieu naturel, pourrait-on les encourager à retisser
un lien avec ce milieu?
La recherche exploratoire effectuée à Bathurst, au Nouveau-Brunswick, auprès
de jeunes adolescents de 13 et 14 ans a permis d’amorcer une réponse à ces trois
questions. Cette étude a consisté en l’analyse de trois moments de la relation des
adolescents à leur environnement: leur trajet pour se rendre à l’école, le vécu d’une
aventure en milieu naturel se terminant par un moment de solitude et l’accomplis-
sement d’une action environnementale. Les deux derniers moments correspondent
à des activités typiques en éducation relative à l’environnement (ERE)
2
.
Dans cet article, nous décrivons d’abord la méthode employée pour décrire
la relation à l’environnement des jeunes adolescents à trois moments de leur vécu,
le premier étant un moment spontané et les deux autres moments consistant en
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des situations pédagogiques qui habituellement stimulent le contact avec le milieu
naturel: une aventure sensorielle composée autour du thème des plantes et suivie
d’un moment de solitude, et l’accomplissement d’une action d’aide à des êtres
vivants. Les résultats sont ensuite exposés et analysés. Dans la conclusion, nous
discutons des résultats et nous proposons des recommandations pour le choix
de stratégies d’éducation relative à l’environnement adaptées à des adolescents.
Le but de cette recherche exploratoire était de décrire et de comprendre les
types de relations que les adolescents entretiennent avec leur environnement. Cette
recherche se situe dans un paradigme compréhensif. Les chercheurs n’avaient pas
pour objectif de généraliser ou de chercher des causes, mais de décrire le chemi-
nement des participants et de comprendre le phénomène étudié en tenant compte
du contexte de vie des adolescents (Karsenti et Savoie-Zajc, 2000). Pour y parvenir,
les chercheurs ont planifié des entrevues et des expériences pédagogiques avec une
classe de 24 élèves de 7
e
année, à Bathurst, petite ville rurale du Nouveau-Brunswick.
Trois moments d’analyse de la relation à l’environnement ont été choisis,
l’un correspondant à l’absence d’intervention pédagogique, soit le trajet que les
élèves effectuent pour venir à l’école, et les deux autres consistant en des sorties
pédagogiques sur le terrain. La première sortie, d’une demi-journée, animée par
des spécialistes en éducation relative à l’environnement et des enseignants à la retraite,
consistait en une aventure à la Réserve écologique de Pointe Daly, à Bathurst.
L’aventure, adaptée aux adolescents et intitulée Les phytothérapeutes en herbe (Breau
et Pruneau, sous presse), comportait des jeux de rôles, l’identification de plantes
thérapeutiques, des défis d’équipe à caractère physique (par exemple, traverser
une grande toile d’araignée sans la toucher) et un court moment de solitude dans
la nature. La deuxième activité extérieure, d’une durée équivalente et animée par
les mêmes personnes, a débuté par une session d’information sur les besoins écolo-
giques des chauves-souris et s’est terminée par la construction et l’installation de
maisons de nidification pour ces mammifères. Les élèves étaient libres, après la
session d’information, de participer à la construction des cabanes de chauves-souris.
Le premier outil de cueillette de données a consisté en des questionnaires
écrits qui ont été remplis par toute la classe. Les questionnaires concernant le
trajet à l’école ont été remplis à l’entrée en classe, tandis que ceux relatifs à l’aven-
ture en milieu naturel et à la construction des cabanes des chauves-souris ont été
remplis au retour des sorties.
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Des questions ouvertes ont été posées aux élèves; en voici le libellé.
Le deuxième outil de cueillette de données a consisté en des entrevues semi-
structurées d’environ 20 minutes avec 15 élèves volontaires. Le choix d’un nombre
limité de participants s’est fait sur la base de deux critères. Premièrement, les
chercheurs tenaient à ce que l’acceptation des sujets de participer aux entrevues
se fasse sur une base volontaire. Il était important que les élèves ne se sentent pas
obligés de participer, mais qu’ils collaborent en toute liberté à une recherche dont
le but n’était pas de vérifier leurs perceptions, mais de décrire leur cheminement
(Poisson, 1991). Deuxièmement, ce choix s’est fait sur une base stratégique. Les
chercheurs ont interrogé le nombre de sujets qu’ils avaient le temps de rencontrer
en fonction des circonstances (durée de classe limitée, éloignement du site du
projet) (Van der Maren, 1999). Ainsi, en raison du nombre limité de participants,
les chercheurs ont eu le temps d’établir un contact personnalisé avec chacun des
élèves. Les rencontres avaient pour objectif d’inviter les participants à préciser
les réponses fournies lors de la passation des questionnaires. La méthode était
simple: l’interviewer parcourait le questionnaire avec l’élève et lui demandait de
préciser une réponse en particulier qui était difficile à comprendre ou qui était
peu développée.
Finalement, une entrevue de groupe (auprès d’un sous-groupe de 12 élèves)
a été mise à profit pour le trajet vers l’école. Ce dernier instrument a néanmoins
été abandonné par la suite en raison du manque de temps nécessaire pour réaliser
ce type d’activité durant la même journée qu’une sortie extérieure. En effet, au
Nouveau-Brunswick, la plupart des cours en 7
e
année sont dispensés par des spé-
cialistes de matières. Comme les chercheurs collaboraient avec l’enseignant de
sciences, il a été difficile de poursuivre le travail en après-midi, car les élèves devaient
participer à des cours de français et de géographie. Les enseignants responsables de
Le trajet
– Décris dans tes mots le trajet que tu fais le plus souvent pour te rendre à l’école.
– Décris ce que tu fais, ce que tu vois, ce que tu penses, etc.
L’aventure en milieu naturel
– Quelle activité as-tu le plus aimée pendant cette journée?
– Décris ce que tu as vécu, comment tu t’es senti, etc.
Les chauves-souris
– Raconte, dans tes mots, ce que tu as vécu pendant que tu étais en train
de fabriquer la cabane de chauve-souris.
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ces autres matières n’ont pas accordé leur autorisation pour que les élèves s’absen-
tent de ces cours.
L’entrevue de groupe visait, quant à elle, la triangulation des données recueil-
lies dans les questionnaires et dans les entrevues individuelles. Pour ce faire, les
élèves ont été séparés en deux groupes, et nous leur avons posé les questions suivan-
tes: Comment pensez-vous que les jeunes en général interagissent avec leur envi-
ronnement dans la vie de tous les jours? Pourquoi y a-t-il des jeunes qui sont
plus sensibilisés à l’environnement que d’autres? Une activité de continuum a
aussi été mise à profit. Les énoncés inscrits au tableau étaient les suivants: Je suis
conscient(e) de mon environnement, Je ne suis pas conscient(e) de mon environ-
nement. Les élèves devaient se lever et se situer personnellement sur le continuum.
Les autres énoncés ont été: Je suis en relation (ou non en relation) avec mon
environnement. Je suis sensibilisé(e) [ou non sensibilisé(e)] à mon environnement.
Les élèves ont ensuite expliqué les raisons de leur position sur le continuum.
Les données des questionnaires et des entrevues d’explicitation ont été retrans-
crites et analysées selon l’analyse thématique (Paillé, 1996) qui consiste en un repé-
rage de thèmes abordés dans un corpus et en leur analyse en vue de dégager une
compréhension contextuelle. L’analyse a été effectuée à l’aide du logiciel Atlas/ti,
un logiciel de traitement de données de nature qualitative. La première opération
a consisté à procéder à une forme de thématisation qui s’apparente à la codifi-
cation dans l’analyse par théorisation ancrée. Il a été possible, dans cette première
étape, d’identifier les sujets abordés lors de la rencontre et de tracer l’évolution
du cheminement des participants. Les catégories formulées ont été regroupées
sous la forme d’un arbre thématique. Dans un deuxième temps, les thèmes ont
été analysés dans le but d’en faire une interprétation en fonction des objectifs de
la recherche.
Dans un but de triangulation, deux chercheurs ont procédé individuellement
à toutes les étapes de l’analyse pour ensuite comparer leur description de l’expé-
rience de l’environnement des élèves. Un degré d’accord intercodeurs de 95% a
été obtenu au plan du choix et de la classification des unités de signification.
Les entrevues auprès des élèves au sujet de leur vécu durant le trajet vers
l’école ont permis de déterminer si une attention était portée à l’environnement
extérieur et comment cette attention se manifestait. Ce moment choisi de la rela-
tion à l’environnement comporte toutefois des limites, car il se peut que les ado-
lescents entretiennent une relation plus importante avec leur environnement à
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d’autres moments de leur vie (la fin de semaine, durant les vacances, etc.). L’entre-
vue de groupe a toutefois été utile pour mieux comprendre les réponses des par-
ticipants.
Le tableau 1 présente les comportements et les attitudes des élèves pendant
leur trajet vers l’école, en autobus ou en automobile. À l’aide de ce tableau, on
peut remarquer que la relation à l’environnement varie selon les individus. La
plupart des adolescents sont peu disponibles et davantage préoccupés par leurs
pensées personnelles. Un petit nombre prend toutefois le temps de porter un
regard vers l’extérieur, soit par curiosité, par intérêt ou par désir d’une meilleure
qualité de vie.
Tableau 1
Comportements et attitudes des élèves durant le trajet vers l’école (n = 15)
Les propos suivants illustrent les diverses catégories de réponses des élèves
pour le trajet vers l’école.
– Regard engourdi: «Je regarde en arrière de la vitre et je ne pense à rien de
particulier.» (Mélanie)
– S’intéresser aux détails des paysages avec curiosité: « Je regarde les travailleurs
sur les ponts. Ils font de nouvelles choses à tous les jours. Je remarque ça!
En ce moment, ils sont en train de travailler dans les rivières.» (Jason)
– Non-disponibilité: «Je pense à ce qui va se passer de nouveau à l’école ou si
j’ai fait mes devoirs.» (Vicky)
– Monde extérieur considéré comme peu intéressant: «Il n’y a pas vraiment
grand-chose à voir. Juste des arbres.» (Pierre) «Je le vois assez souvent! C’est
rien de trop impressionnant.» (David)
Comportements et attitudes Nombre d’élèves
Regard engourdi: être plus ou moins conscient des paysages
extérieurs, mais sans intérêt réel pour ces paysages.
11
S’intéresser aux détails des paysages avec curiosité. 5
Non-disponibilité: préoccupations pour l’école et pour sa vie
personnelle.
5
Monde extérieur considéré comme peu intéressant. 4
Décrire les paysages avec émotion. 2
Relaxer en regardant les paysages. 2
Penser à la qualité de son environnement. 1
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– Décrire les paysages avec émotion: « Je regarde l’eau qui se promène dans les
fleuves et la maison de mes rêves.» (Mélanie)
– Relaxer en regardant les paysages: « Quand tu es dans ton trajet, c’est un
moment à toi. Tu peux te reposer. » (David)
– Penser à la qualité de son environnement: «Depuis un bout de temps, ils
font de la pollution.» (Jérémie)
Les types de relations des élèves avec leur environnement, durant le trajet
vers l’école pourraient également être catégorisés en termes d’«affordances»
3
. Le
concept d’affordance, selon Gibson (1950), désigne la propriété qu’un individu
attribue à un objet de répondre à ses propres besoins. Par exemple, un individu
pourra considérer qu’un terrain de mousses est agréable pour la marche ou le repos,
ou encore qu’une place publique est un endroit potentiel de rencontre sociale.
Gibson (1977), dans sa théorie écologique sur la perception, estime que l’être
humain, au moment de son contact avec les paysages, considère constamment
les aptitudes de ces paysages à répondre à ses besoins ou à ses intérêts. L’action
de percevoir est ainsi directement liée à l’interaction entre un organisme et son
environnement. Inspiré par Gibson, Neisser (1976) a proposé une théorie de la
cognition humaine. Selon Neisser, dans une intervention pédagogique destinée
à faciliter la perception, il importe de présenter à l’apprenant des endroits réels,
et d’insister sur les caractéristiques stimulantes de ces endroits afin d’encourager
la perception de ceux-ci. En effet, les objets perçus deviennent signifiants en autant
qu’ils fournissent une ou des affordances. Dans le cadre de cette recherche, nous
croyons que les affordances perçues dans les paysages locaux peuvent aider les
adolescents à en mieux percevoir les éléments, à les connaître et à éventuellement
créer un lien avec ceux-ci.
Durant le trajet vers l’école, l’environnement extérieur semble donc présen-
ter différents avantages ou affordances pour les élèves. Le tableau 2 offre un aperçu
des diverses relations des élèves, définies en termes de ce que l’environnement
peut leur apporter ou affordances.
C’est ainsi qu’au cours du trajet vers l’école, l’environnement semble offrir
peu d’intérêt pour les adolescents. Certains démontrent un détachement alors
que quelques-uns voient, dans le contact avec l’environnement, une occasion de
réfléchir, d’apprendre, de voir et de sentir des éléments intéressants, de se reposer
ou de rêver. Ces types de relations nous apparaissent pertinents puisque la valeur
accordée à l’environnement pourrait exercer un impact sur le désir de protéger
ou d’améliorer celui-ci.
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De même, si on classe les 15 élèves interrogés sur un continuum de contact
avec l’environnement, on obtient le schéma suivant (figure 1).
Figure 1 – Continuum du contact des élèves du groupe avec leur
environnement (trajet vers l’école)
Si on résume les résultats des entrevues avec les adolescents, pour le trajet
vers l’école, on peut dire qu’un grand nombre d’entre eux se retrouvent dans un
état de non-disponibilité ou de disponibilité moyenne, sauf pour quelques élèves
qui démontrent un intérêt certain pour le milieu pour diverses raisons. Ces résul-
tats sont-ils généralisables pour tous les individus qui parcourent leur milieu de
vie, tous les jours, matin et soir, en automobile ou en autobus? À notre connais-
sance, aucune étude n’a été effectuée à ce sujet. Les adolescents ont toutefois fourni,
7 élèves 4 élèves 4 élèves
Non-contact Contact
Non-disponibilité
Non-conscience
Disponibilité
moyenne
Intérêt pour l’environnement :
introspection
apprentissage
plaisir des sens
apaisement
poésie
Tableau 2
Relations des élèves avec leur environnement définies en termes
d’affordances (n = 15)
Relations Nombre d’élèves
Relation de détachement ou d’intérêt moyen
(affordance non consciente)
8
Relation d’introspection
(réfléchir à ses propres préoccupations grâce à l’environnement)
5
Relation de découverte et d’apprentissage
(apprendre grâce à l’environnement)
3
Relation sensorielle
(l’environnement pour le plaisir des sens)
3
Relation d’apaisement
(l’environnement pour relaxer)
1
Relation poétique
(l’environnement pour rêver)
1
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en entrevue de groupe, des informations qui peuvent faciliter l’interprétation de
ces résultats. En groupe, les élèves ont expliqué qu’ils sont moins intéressés par
la nature et par les problèmes environnementaux que lorsqu’ils étaient plus jeunes.
Ils occupent maintenant leurs temps libres à la pratique de différents sports ou
à des visites au centre-ville pour rencontrer des personnes de l’autre sexe. S’ils vont
dans la nature, c’est davantage pour obtenir des émotions fortes: rouler vite à
bicyclette ou se promener la nuit dans les bois inconnus. Très peu d’entre eux
(n = 2) ont avoué qu’ils allaient dans la nature pour lire ou s’asseoir et regarder.
Selon leurs propos, les contacts calmes et solitaires avec la nature ne sont pas habi-
tuellement recherchés par les personnes de leur âge.
L’aventure en milieu naturel et surtout le moment de solitude semblent avoir
modifié les comportements et les attitudes face à l’environnement naturel, surtout
chez les élèves qui s’étaient considérés moins conscients et moins disponibles dans
leur contact avec l’environnement. Le tableau 3 présente les comportements et
les attitudes des élèves durant la première sortie en milieu naturel.
Tableau 3
Comportements et attitudes des élèves durant l’aventure en milieu naturel
avec moment de solitude (première sortie) (n = 15)
Les propos suivants illustrent les diverses catégories de réponses des élèves
pour leur vécu durant le moment de solitude.
Comportements et attitudes Nombre d’élèves
Se servir de tous ses sens pour observer 13
Se sentir apaisé 12
Surveiller pour voir des animaux 9
S’émerveiller 7
Penser à sa responsabilité environnementale 6
Vouloir connaître la nature 4
Rêver 3
Réfléchir 2
Penser à l’utilité de la nature 2
Se sentir comme une partie de la nature 1
Entrer en contact mais avec crainte 1
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– Se servir de tous ses sens pour observer: « J’ai observé le bel endroit. On pou-
vait entendre les oiseaux et le vent chanter. J’ai vu des bibittes que je n’avais
jamais vues auparavant.» (Jessica)
– Se sentir apaisé: « Je me suis senti relax.» (Pierre)
– Surveiller pour voir des animaux: « J’ai cherché des animaux et j’ai vu un
écureuil dans les arbres. Il y avait des graines qui tombaient sur ma tête.»
(David)
– S’émerveiller: «C’était impressionnant de voir toutes les choses. Puis c’était
vraiment beau.» (Vicky)
– Penser à sa responsabilité environnementale: « On devient plus conscient
pourquoi l’environnement est important. » (Vicky)
– Vouloir connaître la nature: «Quelque chose que tu veux découvrir, explorer. »
(Jérémie)
– Rêver: «Ça m’a fait penser au gars que j’aime.» (Mélanie)
– Réfléchir: «Être dans un endroit comme ça m’a laissée réfléchir à différentes
affaires.» (Anne)
– Penser à l’utilité de la nature: «Les plantes servent à différentes choses.
Nourrir, guérir…» (Pierre)
– Se sentir comme une partie de la nature: « Les arbres, les oiseaux puis tout
ça. J’avais l’impression de faire partie du monde.» (Jack)
– Entrer en contact mais avec crainte: «J’ai aimé ça moyen. Il y avait toutes
sortes de bibittes que je n’avais jamais vues auparavant.» (Jason)
Ainsi, on remarque que la sortie et surtout le moment de solitude ont
favorisé une rencontre avec le milieu naturel et ont contribué à augmenter les
raisons d’entretenir une relation personne-environnement naturel. Le tableau 4
présente les diverses relations des élèves en termes d’ affordances aux deux pre-
miers moments d’analyse et illustre comment les élèves ont développé de nouveaux
types de relations avec le milieu naturel. Une minorité d’élèves (n = 4) a exprimé
qu’ils étaient déjà familiers avec ce type de contact privilégié, mais les autres par-
ticipants ont confié que cette expérience était nouvelle pour eux.
Comme on le remarque au tableau 4, on ne se situe pas encore ici dans un
désir d’action environnementale, ou dans une relation de réciprocité, mais on
peut déceler la présence d’une relation prometteuse, car l’intérêt pour l’environ-
nement est marqué et différent selon les individus. C’est comme si soudainement
l’environnement naturel prenait un nouveau sens. Les adolescents ont avoué, à
plusieurs reprises, leur important besoin de s’arrêter, pour se reposer et réfléchir.
Ils ont expliqué que le moment de solitude en milieu naturel leur avait fourni
l’occasion de s’évader des contraintes des cours, des examens et des activités para-
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scolaires. Ils ont démontré de la curiosité et manifesté un désir de connaître les
composantes de la forêt. Ils sont entrés en contact avec le milieu, de façon sen-
sorielle et affective, et l’expérience les a émerveillés. Cette expérience de fusion
et de lien affectif profond, durant un moment de solitude en milieu naturel, déjà
décrite chez des adultes par Kaplan et Kaplan (1989), semble donc être réalisa-
ble avec des adolescents et profitable pour eux.
La figure 2 présente enfin un continuum qui illustre le contact des élèves
du groupe avec l’environnement.
Tableau 4
Relations des élèves avec leur environnement définies en termes
d’affordances, aux deux premiers moments d’analyse: trajet vers l’école
et aventure en milieu naturel avec moment de solitude (n = 15)
Comportements et attitudes Nombre d’élèves
Trajet vers
l’école
Aventure
et solitude
Relation de détachement ou d’intérêt moyen
(affordance non consciente)
8 0
Relation d’introspection
(réfléchir à ses propres préoccupations grâce à l’environnement)
5 2
Relation de découverte et d’apprentissage
(apprendre grâce à l’environnement)
3 13
Relation sensorielle
(l’environnement pour le plaisir des sens)
3 13
Relation d’apaisement
(l’environnement pour relaxer)
1 12
Relation poétique
(l’environnement pour rêver)
1 3
Relation de responsabilité
(penser qu’on est responsable de l’environnement)
0 6
Relation d’émerveillement
(s’émerveiller face à l’environnement)
0 7
Relation utilitaire
(avoir besoin de l’environnement)
0 2
Relation de fusion 0 1
Relation de crainte 0 1
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578 Revue des sciences de l’éducation
Figure 2 – Continuum du contact des élèves du groupe avec leur environ-
nement (aventure en milieu naturel avec moment de solitude)
Le tableau 5 présente les comportements et les attitudes des élèves durant
la deuxième sortie en milieu naturel. Durant cette sortie, les élèves ont fabriqué
des maisons de nidification pour les chauves-souris.
Au tableau 5, on peut observer principalement que de nouveaux types de
relations se sont développés. Les élèves ont manifesté un grand intérêt à aider la
nature et à le faire en groupe. Ils ont apprécié la sensation ou le sentiment d’aider
0 élève 1 élève 14 élèves
Non-contact Contact
Non-disponibilité
Non-conscience
Disponibilité
moyenne
Intérêt pour l’environnement :
plaisir des sens
apprentissage
poésie
apaisement
responsabilité
émerveillement
utilité de la nature
fusion
Tableau 5
Comportements et attitudes des élèves durant la construction de cabanes
pour les chauves-souris (n = 15)
Comportements et attitudes Nombre d’élèves
Aimer aider la nature 10
Penser à sa responsabilité environnementale 6
Plaisir d’être dans la nature 4
Aimer faire une action environnementale en groupe 3
Aimer jouer dans le bois 2
Vouloir connaître la nature 1
Se sentir comme une partie de la nature 1
Se sentir apaisé 1
Surveiller pour voir des animaux et examiner les arbres 1
S’émerveiller 1
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Les relations que les adolescents entretiennent avec leur environnement 579
les animaux et d’accomplir une action concrète avec leurs camarades. Ils ont égale-
ment goûté un nouveau plaisir: jouer dans la forêt, et plusieurs ont manifesté le
désir de renouveler ultérieurement cette expérience d’aide aux animaux. Les pro-
pos suivants illustrent les types de relations que la deuxième sortie a suscités.
– Aimer aider la nature: « J’ai aimé aider les chauves-souris. Les cabanes vont
leur donner une place où aller.» (Pierre) «Je suis fier de ça.» (Alexandre)
– Penser à sa responsabilité environnementale: « Un animal qui est en danger
de disparition a besoin qu’on l’aide. Il faut qu’on les aide.» (Jean-Philippe)
– Aimer faire une action environnementale en groupe: «Le travail en équipe
était ! On se partageait les parties à faire.» (Mélanie)
– Aimer jouer dans le bois: «J’aime construire, j’aime marcher dans le bois ou
jouer à la cachette.» (Jessica)
Le tableau 6 présente ensuite les relations des élèves définies en termes
d’affordances, pour les trois moments d’analyse du projet de recherche.
Tableau 6
Relations des élèves avec leur environnement définies en termes d’affordances:
trajet vers l’école, aventure en milieu naturel avec moment de solitude
et action des chauves-souris (n = 15)
Types de relations Nombre d’élèves
Trajet vers
l’école
Aventure
et solitude
Action des
chauves-souris
Relation de détachement ou d’intérêt moyen 8 0 0
Relation d’introspection 5 2 0
Relation de découverte et d’apprentissage 3 13 1
Relation sensorielle 3 13 4
Relation d’apaisement 1 12 1
Relation poétique 1 3 0
Relation de responsabilité (penser qu’on est
responsable de l’environnement)
0 6 6
Relation d’émerveillement 0 7 7
Relation utilitaire 0 2 0
Relation de fusion 0 1 1
Relation de crainte 0 1 0
Relation d’aide 0 0 10
Relation de jeu (l’environnement pour jouer) 0 0 1
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580 Revue des sciences de l’éducation
Ce tableau permet de remarquer que, durant l’action des chauves-souris, les
types de relations à l’environnement sont très différents de ceux de la deuxième
sortie. Les relations de découverte, de contact sensoriel, d’apaisement, poétique,
de responsabilité, d’émerveillement et de fusion sont toujours présentes, mais de
façon moins importante. Par contre, l’action environnementale des cabanes de
chauve-souris a fait surgir d’autres types de relations: les relations d’aide et de jeu.
La figure 3 présente enfin la position des 15 élèves sur le continuum du
contact avec l’environnement, pour la sortie des chauves-souris.
Figure 3 – Continuum du contact des élèves avec leur environnement
(action des chauves-souris)
Les résultats de cette recherche exploratoire permettent de constater que la
relation enfantine de contact symbiotique et étroit avec le milieu naturel, telle
que décrite pour les enfants de cinq à huit ans par Cobb (1977), était au départ
peu présente chez les adolescents interrogés. De façon spontanée, la plupart des
adolescents semblaient peu intéressés à l’environnement et à ses problèmes. Le
contact étroit avec le milieu naturel était peu recherché, sauf par quelques indi-
vidus qui vivent à la campagne et qui ont gardé l’habitude d’aller s’y ressourcer.
Les préoccupations des adolescents étaient davantage orientées vers la recherche
d’identité et vers la mesure de leurs capacités intellectuelles et physiques. La rela-
tion à l’environnement de ces adolescents pourrait toutefois se situer dans un
état de latence puisqu’elle peut être réanimée par des activités d’une demi-journée
de contact sensoriel solitaire ou d’action environnementale. Grâce à ces deux types
d’activités, les adolescents découvrent ou redécouvrent un sens et une importance
au milieu naturel: pour se reposer, réfléchir, s’émerveiller, aider, jouer, rêver, appren-
dre, etc. Les dimensions de se reposer, d’aider et de jouer sont ressorties comme
0 élève 0 élève 15 élèves
Non-contact Contact
Non-disponibilité
Non-conscience
Disponibilité
moyenne
Intérêt pour l’environnement :
aide
plaisir des sens
apprentissage
apaisement
jeu
responsabilité
émerveillement
fusion
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Les relations que les adolescents entretiennent avec leur environnement 581
très importantes dans les propos des élèves. Ils ont dit qu’ils éprouvaient un grand
besoin de s’arrêter et d’être immobiles, car le milieu scolaire exigeait d’eux de se
montrer toujours actifs et attentifs, ce qui les rendait très fatigués. Le fait d’aider
les chauves-souris a aussi semblé leur apporter une très grande satisfaction et un
sentiment de pouvoir, qui peut s’avérer essentiel à un âge où on désire se prouver
qu’on possède des compétences. Enfin, l’aspect ludique de l’activité des chauves-
souris a suscité beaucoup d’intérêt.
La deuxième question de recherche portait, quant à elle, sur les raisons qui
motivent les adolescents à tisser des liens avec leur environnement. Les motifs de
se reposer, de réfléchir, de s’émerveiller, d’aider, de jouer, de rêver et d’apprendre
ont déjà été évoqués. Trois autres raisons ont également été expliquées par les
élèves pendant l’entrevue de groupe: pour se dépasser physiquement (rouler vite
à bicyclette), pour rencontrer d’autres jeunes (souvent en ville) et pour vivre des
situations de défi (aller dans les bois inconnus, la nuit). Ces trois derniers motifs
sont légitimes pour des individus qui s’intéressent aux relations amicales et sexuel-
les, et qui cherchent à mesurer leurs capacités.
La troisième question concernait la possibilité d’améliorer la relation des
adolescents avec leur milieu naturel grâce à des activités d’éducation relative à
l’environnement. La réponse à cette question est positive. Que la relation des ado-
lescents avec leur environnement soit peu présente ou oubliée (latente), cette
recherche suscite une réflexion par rapport à la possibilité de favoriser une rela-
tion adolescents-environnement en ciblant, dans les activités d’ERE, les types de
mises en situation qui permettent de retisser le lien. C’est ainsi que des activités
d’éducation relative à l’environnement pourraient être élaborées de façon à per-
mettre à des élèves de 13-14 ans:
– de se reposer, de réfléchir, de s’émerveiller et de rêver dans la nature;
– d’aider des composantes de l’environnement et de vivre des réussites dans
leurs actions;
– de jouer;
– de se dépasser physiquement ou de vivre des situations de défi;
– de rencontrer de nouvelles personnes;
– d’apprendre et de découvrir les animaux et les arbres;
– de découvrir l’utilité de la nature.
Ces types d’activités, sans provoquer nécessairement un engagement durable
et profond envers l’environnement, suscitent des moments de rencontre positifs
avec le milieu de vie. Le désir d’action environnementale pourrait éventuellement
4
se développer, à moyen ou à long terme, grâce à la multiplication de ces moments.
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Les programmes d’éducation relative à l’environnement pour les adolescents
pourraient donc adopter la forme de multiples aventures durant lesquelles ceux-
ci auraient l’occasion d’apprendre que le milieu naturel leur apporte calme et sérénité
et que l’accomplissement d’actions environnementales confirme leur capacité de
mener à bien des projets d’action avec d’autres jeunes. On répondrait ici aux
besoins typiques de cet âge: besoins de calme, de défis, d’identité à un groupe
et de rencontres sociales. On assurerait la création ou le renforcement du lien
avec l’environnement et on pourrait assister éventuellement à un engagement plus
profond dans la défense de la qualité de vie du milieu.
D’autres études de l’expérience de l’environnement des adolescents seront
toutefois nécessaires pour mieux comprendre leurs relations avec le milieu. Ainsi,
il serait opportun de consulter les adolescents durant les fins de semaines pour
identifier s’ils entretiennent avec le milieu naturel des liens qui n’ont pas été relevés
dans cette recherche. On pourrait également les accompagner dans leurs activités
de loisirs pour étudier leur relation avec le milieu construit et la communauté.
Il serait finalement intéressant de les inviter à effectuer une enquête au sujet de
la qualité de vie dans leur communauté. À cet effet, le modèle des communautés
en santé (Hancock, 1993) pourrait être mis à contribution. Grâce à des visites
sur le terrain, les adolescents seraient invités à évaluer la qualité de leur milieu
aux plans santé, social, écologique, économique et culturel, puis à suggérer et à
accomplir des actions susceptibles d’y améliorer la vie des jeunes de leur âge. Il
serait alors pertinent d’analyser ce que cette «qualité de vie» représente pour eux
et l’importance qu’ils lui accordent.
NOTES
1 Tel que précisé par Foucault (1986, p. 23-24), les concepts d’environnement et de relation
des individus à l’environnement sont des constructions historiques et culturelles: «Nous ne
vivons pas dans un vide qui peut être coloré de diverses teintes de lumières; nous vivons
dans un réseau de relations qui délimitent des lieux […]. Ainsi quelqu’un pourrait essayer
de décrire les diverses relations qui définissent ces lieux de transport que sont les trains (un
train est un réseau extraordinaire de relations parce que c’est quelque chose dans lequel un
individu va, quelque chose grâce auquel un individu se déplace d’un point à un autre et c’est
enfin quelque chose qui passe par là).»
2 Dans cet article, l’éducation relative à l’environnement se définit comme «une dimension
intégrante du développement des personnes et des groupes sociaux, qui concerne leur rela-
tion à l’environnement […]. Ce processus permanent a pour objectif global de développer
chez la personne et son groupe social un savoir-être qui favorise l’optimalisation de leur rela-
tion en milieu de vie, de même qu’un savoir et un vouloir-agir qui leur permettent de s’engager
individuellement et collectivement, à court et à long termes, dans des actions de nature à
préserver, à restaurer ou à améliorer la qualité du patrimoine commun nécessaire à la vie et
à la qualité de vie.» (Sauvé, 1994, p. 52)
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Les relations que les adolescents entretiennent avec leur environnement 583
3 Le terme «affordance» est accepté en français, et on s’en sert couramment pour désigner la
théorie de Gibson (1950).
4 On détient présentement très peu de connaissances au sujet des facteurs sociaux et pédago-
giques qui favorisent l’accomplissement d’actions environnementales. La recherche de Pruneau,
Chouinard, Musafiri et IsaBelle (2000) a démontré que la transmission d’informations au
sujet d’un problème local, l’observation visuelle du problème, la lecture d’histoires à succès
(histoires de personnes qui ont résolu le même problème dans leur milieu) ainsi que le vécu
d’activités sensorielles pouvaient susciter un désir temporaire d’action environnementale. De
même, le modèle de Pruneau, Chouinard, Arsenault et Breau (1999), consistant à inviter
les apprenants à visiter leur milieu pour le connaître, le critiquer et l’apprécier, puis à partager
leurs impressions, à projeter une vision pour l’avenir de ce milieu et enfin, à accomplir une
action environnementale, a réussi à favoriser l’implication environnementale spontanée de
certains participants à la recherche.
Abstract – This article identifies the types of relations that 13-14 year old adolescents
develop with their environment. Three periods were selected for study: travel to school,
an adventure in a natural environment including a period of solitude, and an experience
in an environmental activity. The results of both individual and group interviews show
that adolescents are spontaneously less interested in the environment as compared with
younger students. However, pedagogical activities in natural settings that permit discovery,
relaxation, and play and care of animals with their friends can stimulate an interest and
the possibility of participation in the environment.
Resumen – El artículo identifica los tipos de relaciones que adolescentes de 13-14 años
establecen con su ambiente. Los investigadores han escogido tres momentos de la expe-
riencia: el trayecto a la escuela, una aventura en medio natural comprendiendo un momento
de soledad y la realización de una acción en el ambiente. Los resultados de las entrevis-
tas individuales y de grupo demuestran que los adolescentes están espontaneamente menos
interesados por el ambiente que sus camaradas mas jóvenes. Sin embargo, aquellas activi-
dades pedagógicas en la naturaleza que les permiten maravillarse, descansar, descubrir, jugar
y ayudar a los animales con sus amigos pueden despertar un interés latente por el ambiente
y favorizar un encuentro con el medio.
Zusammenfassung – Der Artikel versucht, verschiedene Beziehungstypen zu identi-
fizieren, die sich an Jugendlichen im Alter von 13-14 Jahren im Verhältnis zu ihrer Umwelt
feststellen lassen. Dabei wurden drei wichtige Erfahrungsbereiche ausgewählt: der Schulweg,
Erfahrung der Einsamkeit im ländlichen Milieu sowie die Durchführung einer umwelt-
orientierten Aktion. Aus den Einzel- und Gruppenbefragungen ergab sich, dass die Jugend-
lichen dieses Alters auf den ersten Blick weniger an Umweltfragen interessiert sind als ihre
jüngeren Schulkameraden. Wenn jedoch Unterrichtsversuche in der Natur durchgeführt
werden, die es den Jugendlichen erlauben, ihren Sinn für die Wunder der Natur zu schär-
fen, in zwangloser Weise Entdeckungen zu machen, zu spielen und zusammen mit ihren
Freunden Tieren zu helfen, dann kann ein deutliches Umweltinteresse entstehen, das zu
einer Begegnung mit dem Milieu führt.
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584 Revue des sciences de l’éducation
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