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La connaissance des langues en Belgique*
Victor Ginsburgh
ECARES, Université Libre de Bruxelles et
CORE, Université catholique de Louvain
Shlomo Weber
CORE, Université catholique de Louvain
Southern Methodist University, Texas et CEPR
Résumé
Nous examinons la question des connaissances linguistiques en Belgique et dans
ses trois régions (Bruxelles, Flandre, Wallonie). Les enquêtes montrent que la
Flandre est bien plus multilingue, ce qui est sans doute un fait connu, mais ce qui
l’est moins, c’est que la différence est considérable: alors que 59% et 52% des
Flamands connaissent le français ou l’anglais respectivement, seulement 19% et
17% des Wallons connaissent le néerlandais ou l’anglais. Les mesures préconisées
par le Plan Marshall vont dans la bonne direction, mais sont probablement très
insuffisantes pour combler le retard. Une solution qui semble bien meilleure est de
rendre à l’Etat fédéral la responsabilité de l’enseignement linguistique.
Publié dans Reflets et Perspectives de la Vie Ecionomique 46 (2007), 33-43 et dans M.
Castanheira and J. Hindriks, eds., Réformer sans tabous, Dix questions pour la Belgique de
demain, Bruxelles: De Boeck, 2007.
* Cet article est largement basé sur celui paru dans Regards Economiques no 42 en juillet 2006. Certains chiffres
ont été modifiés, sans aucune influence sur les conclusions essentielles. Une erreur plus substantielle s’était
glissée dans les pourcentages d’hommes et de femmes qui connaissent le français et le néerlandais, ainsi que
dans le pourcentage d’étudiants qui connaissent le néerlandais. Nous remercions Vincent Bodart, Micael
Castanheira, Muriel Dejemeppe, Robert Deschamps, et Jean Hindriks pour leur nombreuses remarques qui nous
ont permis de clarifier, d’améliorer et de compléter certaines parties de l’article.
1. Introduction
Le cinquième et dernier élargissement de l'Union Européenne (Union ou UE) en 2004 conduit
à un "pays" de 450 millions d'habitants, dont le produit intérieur brut est proche de celui des
États-Unis et qui doit gérer 21 langues.
La question à laquelle nous essayons de répondre dans cet article, est de savoir
comment la Belgique se situe dans ce fatras linguistique. Heureusement, les trois langues
“officielles” en Belgique (allemand, français et néerlandais) sont aussi des langues officielles
de l’Union, ce qui n’est pas toujours le cas pour les autres pays de l’UE. En Espagne, par
exemple, le catalan est la langue maternelle de plus de 6 millions d’habitants,1 sans être une
langue officielle de l’UE.
Pour y voir un peu plus clair, considérons les chiffres qui apparaissent dans le Tableau
1 et qui donnent un aperçu des sept langues les plus utilisées dans l'UE. La première colonne
donne la population des pays dont la langue est originaire et où celle-ci est parlée comme
langue "naturelle". Les deuxième et troisième colonnes résultent des calculs faits par
Ginsburgh et Weber (2005)2 et donnent les populations qui connaissent chaque langue dans
l’Union avant et après le dernier élargissement. Les chiffres qui apparaissent dans la
quatrième colonne résultent simplement de la division des chiffres de la troisième colonne par
ceux de la première: ils montrent le "coefficient multiplicateur" de la langue, très élevé pour
l'anglais (le nombre de citoyens européens qui connaissent l'anglais est 3,6 fois plus élevé que
la population du Royaume-Uni et de l’Irlande). Ce coefficient s'élève à 2 pour le français et
tombe à 1,06 pour le polonais, qui n'est pratiquement parlé qu'en Pologne.3 Il est un peu plus
élevé pour le néerlandais: 2,5 millions de citoyens européens connaissent le néerlandais
ailleurs qu’aux Pays-Bas et en Flandre. La dernière colonne, enfin, fournit l'estimation faite
par Crystal (2001), un des meilleurs spécialistes internationaux de la question, relative au
nombre de locuteurs de chaque langue dans le monde.
Comme le montrent ces résultats, deux des langues utilisées en Belgique, le français et
l’allemand, sont deuxième et troisième langues dans l’UE actuelle, le néerlandais vient
seulement en septième position.
1 Selon www.ethnologue.com.
2 Ces chiffres sont basés sur les enquêtes auxquelles a fait procéder la Direction Éducation et Culture de la
Commission Européenne sur l'utilisation des langues dans l'Europe des Quinze (INRA, 2001) et dans les pays
qui ont adhéré à l’Union en 2004 (DG Press and Communications, 2003). Il s’agit ici, comme dans la suite,
d’ordres de grandeur, sans précision sur la “qualité” de la connaissance, à laquelle une enquête de ce type ne
permet pas de répondre. Voir Fidrmuc et Ginsburgh (2005), Ginsburgh et Weber (2005) et Ginsburgh Ortuno-
Ortin et Weber (2005a).
3 Il faut noter que le russe est parlé par quelque 24 millions de personnes dans les pays d'Europe centrale qui
viennent d'adhérer à l'Union, dont 12 millions en Pologne. Le russe est donc davantage parlé dans l'UE que le
néerlandais, mais il n'est bien sûr pas considéré comme langue officielle.
Tableau 1
Langues Principales dans l'UE
(en millions et en unités pour le coefficient multiplicateur)
_______________________________________________________________________
Population Population qui connaît Coefficient Locuteurs
naturelle* la langue multiplicateur dans le monde
UE 15 UE 25
(1) (2) (3) (4) (5)
_______________________________________________________________________
Anglais 62,3 208,6 224,3 3,60 1000-1500
Français 64,5 127,8 130,0 2,01 122
Allemand 90,1 118,3 132,6 1,47 120
Espagnol 39,4 56,3 56,3 1,43 350
Italien 57,6 65,2 65,2 1,13 63
Néerlandais 21,9 24,3 24,3 1,11 20
Polonais 38,6 néglig. 40,8 1,06 44
_______________________________________________________________________
* L'anglais est considéré comme langue "naturelle" en Grande Bretagne et en Irlande, le français est
naturel en France et pour 40% des belges, l'allemand est naturel en Allemagne et en Autriche, le
néerlandais aux Pays-Bas et pour 60% des belges. L'espagnol, l'italien et le polonais sont naturels en
Espagne, Italie et Pologne respectivement. Source: Ginsburgh and Weber (2005) pour l'UE 15 et
Fidrmuc et Ginsburgh (2005) pour l'UE 25. Les locuteurs dans le monde proviennent de Crystal
(2001). Il faut noter que les chiffres de Crystal (colonne 5) sont moins élevés que ceux de la colonne
(3) dans certains cas, en particulier pour l’allemand, le français et le néerlandais.
Il n’en reste pas moins que l’anglais est la langue dominante dans le monde, comme
l’illustrent les chiffres du Tableau 2. Qu'il s’agisse du nombre de pages sur la toile, de
l'utilisation d'une langue dans un domaine scientifique tel que la chimie (mesuré par la
proportion d'articles indexés suivant la langue dans laquelle ils ont été écrits), de la proportion
des langues utilisées dans les premiers jets des textes écrits par l'administration de l'UE, la
chose est entendue: l'anglais domine très largement. Et l'allemand précède le français, sauf
dans un cas, celui des textes écrits par l'administration de l'UE. Mais il y a plus inquiétant si
l'on examine la dynamique dans deux des trois cas où les données sont disponibles:
l'utilisation de l'anglais augmente sensiblement, et celle du français se réduit.4
Dans ce qui suit, nous nous basons essentiellement sur l'enquête INRA (2001),
commanditées par la Direction Générale Education et Culture de la Commission Européenne.
Ces deux études fournissent des données sur les langues maternelle(s) et étrangère(s) parlées
dans chacun des 25 pays de l’UE. En dépit des possibles exagérations des individus sondés
sur leurs connaissances linguistiques, nous pensons que les résultats comparatifs (par exemple
entre pays, ou, comme ce sera le cas dans la suite, entre régions) sont suffisamment solides
pour étayer nos conclusions.
4 La diminution relative des pages web en anglais et l’augmentation des pages en français sont essentiellement
liées au retard qu’avaient pris les autres pays sur les Etats-Unis, retard qui est heureusement en train de se
combler.
Tableau 2
Quelles Langues en Europe et dans le Monde?
Quelques Indicateurs
_______________________________________________________________________
Pages Internet Indexation articles Textes primaires UE
1997 2000 1978 1998 1986 1999 2002
(%) % % % % % %
_______________________________________________________________________
Anglais 84,0 68,4 62,3 82,5 26,0 52,0 57,4
Français 1,8 3,0 2,4 0,5 58,0 35,0 29,1
Allemand 4,5 5,8 5,0 1,6 11,0 5,0 4,6
Espagnol nd 2,4 nd nd nd nd 2,0
Italien 1.0 1,6 nd nd nd nd 2,1
Chinois 3.9 3,9 0,3 5,9 - - -
Arabe nd nd nd - - -
Portugais 1,4 nd nd nd nd 0,6
Russe 2,4 19,5 3,1 - - -
Autres langues 4,1 5,8 1,9 5,0 8,0 3,4
_______________________________________________________________________
Sources: Pages sur toile: Maurais (2003, p. 22); Indexation articles: Laponce (2003, p. 60); Textes primaires
UE: Truchot (2003, p. 104) pour les années 1986 et 2002 et Vanden Abeele (2004) pour l'année 2002.
Nous nous intéressons à la connaissance des langues dans les trois régions belges. La
Wallonie se trouve dans une situation très défavorable, qui ne changera guère à défaut
d’investissements importants dans l’enseignement des langues, et peut-être davantage encore,
à défaut d’un changement de mentalité qui permette de réaliser l’importance de la
connaissance des langues (et pas uniquement de l’anglais) dans le monde dans lequel nous
vivons aujourd’hui (Sections 2 et 3). Dans la section 4, nous abordons quelques aspects qui
illustrent les conséquences importantes que la connaissance d’une langue peut avoir. La
section 5 est consacrée à des conclusions, dont l’une suggère de rendre à l’état fédéral la
responsabilité de l’enseignement linguistique.
2. La connaissance des langues en Belgique
Le Tableau 3 donne les détails des langues pratiquées en Belgique en 2000.5 De façon
globale, l’espagnol et l’italien le sont peu. L’italien est malgré tout connu par 10 pour cent des
habitants de la Wallonie. L’allemand atteint également une dizaine de pour cent dans la partie
wallonne du pays (où réside la communauté germanophone), et en Flandre. Les trois langues
principales sont, par ordre d’importance, le français (75 pour cent de la population belge), le
néerlandais (70 pour cent) et l’anglais (40 pour cent). Il importe de remarquer que le français
(maternel ou acquis) est parlé par un nombre plus grand de personnes que le néerlandais. La
distribution est évidemment inégale entre les trois régions du pays pour le français et le
néerlandais, mais il faut souligner que 96 pour cent des Bruxellois déclarent parler le français,
alors que ce pourcentage tombe à 59 pour cent pour le néerlandais. Quant à l’anglais, il est
connu par une proportion importante de la population à Bruxelles (42 pour cent); en Flandre,
plus de la moitié (52 pour cent) des citoyens connaissent la langue. Le syndrome d’H --
personnage dont on se rappellera la déclaration sur le “contrat Francorchamps” qu’il a signé
5 L’enquête a porté sur les résidents, ce qui peut influencer un peu les résultats à Bruxelles, où le nombre
d’étrangers est plus important que dans les deux autres régions.
mais pas compris parce qu’il était rédigé en anglais -- frappe la Wallonie, où à peine 19 et 17
pour cent de la population parlent respectivement le néerlandais et l’anglais.
Tableau 3
Connaissance des langues en Belgique en 2000
(en % du total du groupe)
Belgique Régions Sexes Professions
Brux. Flandre Wallonie Masc. Fém. Pr. lib. Empl. Etud.
____________________________________________________________________________
Allemand 10 3 11 11 12 9 12 11 7
Anglais 40 42 52 17 45 35 64 45 71
Espagnol 1 5 1 2 1 2 4 1 1
Français 75 96 59 99 78 73 87 80 86
Italien 5 5 2 10 5 5 3 7 6
Néerlandais 70 59 99 19 71 69 78 68 78
Français seul 21 18 1 57 19 22 8 21 9
Néerlandais seul 17 4 28 1 13 21 5 10 6
Français & Néerlandais 50 53 57 17 60 40 63 47 63
Français & Anglais 34 40 42 16 37 30 57 37 63
Néerlandais & Anglais 36 34 51 7 40 31 58 40 64
Français, Néerlandais
et Anglais 29 31 40 7 32 26 49 31 55
____________________________________________________________________________
Les chiffres concernant la population qui parle une seule langue sont plutôt
inquiétants, dans une Europe et un monde de plus en plus multilingue: 21 et 17 pour cent des
Belges sont unilingues francophones ou néerlandophones et plus grave encore, 57 pour cent
des Wallons connaissent uniquement le français. Parler de technopoles et de technologie de
pointe comme le font les dirigeants wallons, alors que 57 pour cent de la population est
unilingue peut paraître paradoxal et suscite des questions, qui ont d’ailleurs été posées
clairement dans le Plan Marshall pour la Wallonie, et dont quelques éléments seront discutés
dans la Section 3.
Ces données sont évidemment le miroir de la population qui peut s’exprimer en deux
ou trois langues. Alors que 57, 42 et 51 pour cent des Flamands déclarent connaître le français
et le néerlandais, le français et l’anglais, ou le néerlandais et l’anglais respectivement, ces
proportions tombent à 17, 16 et 7 pour cent en Wallonie. Vingt-neuf pour cent des belges se
déclarent trilingues, ce que est à nouveau largement dû à la Flandre, avec 40 pour cent de
trilingues, alors que la Wallonie se retrouve au niveau de 7 pour cent.
Les femmes connaissent un peu moins bien les langues que les hommes, et assez
naturellement, les professions libérales et cadres, de même que les étudiants sont plus
polyglottes que le reste de la population.
3. Et le futur?
Comment cette situation peut-elle évoluer? Une manière simple d’examiner la question est de
découper la population actuelle en deux générations: 40 ans et moins (les “jeunes”), plus de
40 ans (les “vieux”). On dit souvent que les jeunes connaissent mieux les langues que leurs
aînés, ce qui s’avère correct, comme le montrent les chiffres du Tableau 4. Mais on
appréhende mal comment cet apprentissage va évoluer. Les résultats d’une enquête menée il y
a quelques années parmi les étudiants français de 15 à 16 ans indiquent que leur connaissance
des langues étrangères aurait plutôt diminué.6 Dès lors, faire des prévisions est hasardeux, et
le lecteur peut faire les calculs à partir de nos résultats, en choisissant ses propres hypothèses
sur l’évolution des connaissances linguistiques. Nous pensons plutôt que les connaissances
linguistiques resteront au niveau de ce qu’elles sont en 2000 chez les moins de 40 ans.
Le Tableau 4 montre que le nombre de belges unilingues (français ou néerlandais seul)
est moins fréquent parmi les jeunes, en général, et beaucoup moins fréquent en Flandre. Les
polyglottes jeunes sont par conséquent plus nombreux que leurs aînés, sauf à Bruxelles. Il
n’en reste pas moins que la situation dans la partie wallonne demeure critique, si des efforts
très sérieux ne sont pas faits dans l’enseignement. A peine un quart de la population wallonne
de moins de 40 ans connaît l’anglais (ce pourcentage est trois fois plus élevé en Flandre), et
leur connaissance du néerlandais est à peine meilleure que parmi leurs aînés. Plus de 50 pour
cent des jeunes Wallons sont unilingues francophones. Près de 60 pour cent des jeunes en
Flandre sont trilingues (français, néerlandais et anglais), contre 10 pour cent en Wallonie. La
Wallonie est par conséquent en défaut sur deux points. Les Wallons n’apprennent ni la langue
de la majorité des belges, ni l’anglais, qui pour de bonnes ou de moins bonnes raisons, est
devenue la première langue internationale.
Il faut aussi noter que les résultats de cette enquête contredisent ce qui est souvent dit
sur les jeunes flamands qui seraient moins bons que leurs aînés dans leurs connaissance des
langues, en particulier du français: alors que 50 pour cent de la population flamande de plus
de 40 ans déclare connaître le français, la langue semble connue par 75 pour cent des jeunes.
La connaissance de l’anglais a doublé (en pourcentage).
Tableau 4
Connaissance des langues en Belgique en 2000 (groupes d’âge)
(en % du total du groupe d'âge)
_______________________________________________________________________
Bruxelles Flandre Wallonie
40ans > 40 ans 40ans > 40 ans 40ans > 40 ans
_______________________________________________________________________
Anglais 44 40 75 36 25 11
Français 95 96 71 50 99 100
Néerlandais 58 60 99 100 23 16
Français seul 19 18 0 1 51 63
Néerlandais seul 7 2 12 39 0 2
Français et Néerlandais 49 56 69 49 21 14
Français et Anglais 42 40 61 28 24 10
Néerlandais et Anglais 33 36 74 35 11 4
Français, Néerlandais
et Anglais 28 34 59 27 10 4
_______________________________________________________________________
6 Voir le rapport publié il y a deux ans par le Ministère de l'Éducation Nationale (2004). Voir aussi Le Monde, 22
octobre 2004 et notamment l'article intitulé "Déjà faible, le niveau des élèves français a baissé entre 1996 et
2002".
Le plan Marshall pour la Wallonie a le mérite de reconnaître le problème et consacre
un budget de 60 millions d’euros pour améliorer les connaissances linguistiques des Wallons.
D’autres mesures sont prévues, telles que 500.000 chèques de formation en langues, 8.000
bourses d’immersion linguistique en 4 ans à destination des élèves de l’enseignement
obligatoire, des stages à l’étranger, des échanges d’étudiants et de demandeurs d’emploi avec
la Région flamande et la Communauté germanophone.7 Le tableau est impressionnant,
l’avenir nous dira ce qu’il en est, mais il ne faut pas se cacher que l’essentiel est de changer
les mentalités, d’autant plus qu’il y a des avantages immédiats à connaître d’autres langues
que la langue utilisée dans l’environnement habituel, qui est souvent la langue majoritaire
dans un pays (ou une région).
4. Quelques observations sur les bénéfices d’une langue supplémentaire
Au bénéfice intellectuel lié à la connaissance d’autres langues (pénétrer mieux dans d’autres
cultures, d’autres littératures), s’ajoute souvent un bénéfice économique. Un grand nombre de
recherches, qui portent dans la plupart des cas sur les connaissances linguistiques d’immigrés,
montrent que la connaissance de la langue du pays d’immigration exerce un effet positif
important sur le salaire. Dans un article récent, Ginsburgh et Prieto (2006) montrent que des
effets similaires existent dans les pays de l’Union Européenne pour les citoyens d’un pays qui
connaissent la langue d’un autre pays de l’Union. La connaissance d’une langue
supplémentaire est toujours “payante”, tant que la population entière ne la connaît pas. En
Belgique, la connaissance des deux langues nationales conduit à des avantages salariaux dans
les emplois où plusieurs langues sont utilisées. De calculs en cours, il ressort qu’en moyenne,
la connaissance du français dans une entreprise en Flandre accroît le salaire de 10 à 16%. La
connaissance du néerlandais dans une entreprise wallonne rapporte 4% seulement en
moyenne, mais ce pourcentage monte à près de 50% dans le deux derniers déciles de la
distribution des revenus. Les constatations sont similaires pour l’anglais.
Mais on peut aussi se demander pourquoi la part de la population flamande qui connaît
le français est plus élevée que la part de la population wallonne qui connaît le néerlandais.
Une réponse à cette question est donnée par Gabszewicz, Ginsburgh et Weber (2005) dans le
cadre d’un modèle théorique, avec des agents qui prennent des décisions rationnelles. Un
agent d’une (parmi deux) population peut entrer en communication avec les agents de l’autre
population s’il en apprend la langue et accepte d’encourir le coût d’apprentissage. Il peut
aussi décider de ne pas apprendre l’autre langue, auquel cas il pourra entrer en contact avec
les individus de l’autre population qui ont appris sa propre langue, jouant en quelque sorte au
“passager clandestin”. Si les coûts d’apprentissage des deux langues sont identiques, alors la
population minoritaire en nombre apprendra la langue de la population majoritaire, plutôt que
l’inverse. Et ce qui se produit en Belgique est un bon exemple de conformité au modèle, à
condition de tenir compte du fait que la France et les Pays-Bas sont nos voisins directs. Dans
ce contexte, il y a près de trois fois plus de francophones que de néerlandophones, et ce
rapport s’élève à plus de cinq dans l’Union Européenne (voir Ginsburgh et Weber, 2005).
Ceci peut expliquer les raisons pour lesquelles 59 pour cent des Flamands ont appris le
français, et seulement 19 pour cent des Wallons connaissent le néerlandais.8 Si tous les
Flamands connaissaient le français, aucun Wallon n’aurait intérêt à apprendre le néerlandais.
Cependant, si ce raisonnement peut sembler s’appliquer au néerlandais, il ne peut l’être à
7 Voir Bayenet et Vandendorpe (2006, p. 22) pour des détals supplémentaires.
8 La situation est similaire à celle qui prévaut au Canada où 10 pour cent des anglophones connaissent le
français, alors que 41 pour cent des francophones connaissent l’anglais. Mais les rôles des deux langues sont
inversés dans la province du Québec, où 43 pour cent des résidents dont la langue maternelle est l’anglais
peuvent communiquer en français. Voir Bond (2001) et les résultats du recensement linguistique canadien de
2001.
l’anglais. En effet, la population anglophone est suffisamment importante dans le monde pour
que très peu d’entre eux ressentent le besoin d’apprendre une langue étrangère (et chacun de
nous peut le remarquer très régulièrement), et sur le plan international, les Wallons resteront
dès lors sérieusement isolés.
Gabszewicz, Ginsburgh et Weber (2005) montrent aussi que la solution du modèle qui
vient d’être décrite n’est pas la meilleure possible, parce qu’elle engendre des externalités
(certains agents profitent des autres en jouant au passager clandestin) et parce qu’il y a trop
peu d’apprentissage de l’autre langue. On peut éviter cet effet en faisant intervenir l’Etat, qui
peut alors décider de subventionner (à cahrge de chaque communauté) l’apprentissage de
l’autre langue, à condition que les actions soient coordonnées entre les communautés
linguistiques.
Mais en Belgique, il y a deux, voire trois communautés, qui, en matière linguistique,
prennent chacune des décisions sans beaucoup de concertation. Rêvons un peu. Pourquoi ne
pas rendre à l’autorité fédérale l’enseignement des langues ?
5. Conclusions
Le déficit linguistique de la partie francophone du pays est très évident, et si aucune mesure
n’est prise, le futur risque de ressembler très fortement au présent, comme nous l’avons
suggéré dans la Section 3. Le modèle évoqué dans la Section 4 permet de montrer que dans la
plupart des cas, une intervention publique peut être nécessaire, mais doit être faite de façon
concertée par les deux régions linguistiques. Les efforts faits par plan Marshall pourraient dès
lors produire plus d’effets s’ils étaient concertés avec la Flandre. Il est clair que c’est ce que
requièrent notamment des pratiques d’immersion linguistique et l’on peut espérer que le plan
Marshall en a tenu compte.
Certaines faiblesses sont sans doute liées à l’enseignement des langues.9 Dans le
primaire, les langues vivantes (anglais, néerlandais ou allemand) sont enseignées à partir de la
cinquième année,10 mais chaque école peut choisir lesquelles des langues elle veut enseigner,
et ne peut pas en choisir plus de deux. Il en résulte que certaines écoles excluent soit le
néerlandais, soit l’anglais. Un étudiant doit choisir les deux heures d’enseignement obligatoire
dans la même langue en primaire, ce qui semble raisonnable, mais a une conséquence pour la
suite, puisque cette langue conditionne le choix des quatre heures obligatoires en première et
deuxième année du secondaire. Ce n’est qu’à partir de la troisième année que l’étudiant peut
(mais ne doit pas) choisir une deuxième langue étrangère. Un étudiant peut dès lors terminer
le secondaire en ayant des notions dans une seule langue étrangère. Mais il y a sans doute plus
grave. Les écoles éprouvent des difficultés à trouver des enseignants dans les trois langues
germaniques. Une des raisons évoquées par le Ministère et par les syndicats est que les
enseignants sont mieux rémunérés en Flandre qu’en Wallonie, ce qui n’incite guère les
enseignants flamands à se déplacer en Wallonie.11 Vandenberghe (2002, 2004) et Deschamps
(2006) relèvent bien d’autres raisons et donnent des pistes de réflexion qui portent sur
l’enseignement francophone en général: mode de régulation très insatisfaisant, nécessité
d’une culture de l’évaluation qui semble cruellement manquer, nécessité de combler la
pénurie d’enseignants dans certaines disciplines, nécessité d’élargir le degré d’autonomie des
9 Nous n’envisagerons ici que le cas général, excluant les communes à facilités, celles de la frontière linguistique
et Bruxelles, où le néerlandais est obligatoire, ainsi que les villes et villages qui jouxtent la région germanophone
dans l’est du pays.
10 Certaines écoles inscrivent cependant l’enseignement d’une langue étrangère plus tôt; certaines pratiquent
aussi l'immersion linguistique.
11 Cette disparité salariale date de la fin des années 1990, et ne permet pas d’expliquer le passé, qui n’était pas
très différent du présent.
écoles et de réduire le contrôle bureaucratique, nécessité de supprimer les cloisonnements
entre les réseaux.
Mais il n’y a pas que l’enseignement qui soit en cause. Il y a aussi le manque de
concertation entre les régions. On pourrait, sans coût supplémentaire important, imaginer que,
dans l’enseignement primaire, des classes entières d’une communauté bénéficient, dans leur
école habituelle, de cours dans la langue de l’autre communauté. On peut encourager
davantage les parents à envoyer leurs enfants dans l’autre région linguistique pendant les
vacances. On peut, comme le propose le plan Marshall, prévoir des chèques de toutes sortes.
Mais il faudrait avant tout, comme le suggèrent Dejemeppe et Van der Linden (2006),
s’interroger sur l’efficacité de telles pratiques.
Alors que les néerlandophones acceptent que des films passent en version originale et
soient sous-titrés, les francophones, en Belgique comme en France d’ailleurs, veulent voir
leurs films doublés en français.12 Van Parijs (2003) suggère une recette simple et peu, voire
moins, coûteuse: il faut cesser de doubler. Non pas que le doublage soit une cause de
l’incompétence linguistique, mais la suppression du doublage, remplacé par le sous-titrage (et
pourquoi pas dans les deux langues nationales, comme c’est souvent la cas à Bruxelles) ne
peuvent pas aller dans le mauvais sens. Pourquoi la voix et la langue de l’interviewé à la radio
comme à la télévision doivent elles être couvertes par du français, avec pour conséquence que
l’un et l’autre deviennent inaudibles et/ou incompréhensibles? Certains diront que ceci risque
de nous éloigner de notre culture, de nous “américaniser”, écrit Van Parijs. Mais il suggère,
avec raison, que l’attaque, c’est à dire l’apprentissage de la (ou des) langue(s) étrangère(s) est
la meilleure défense, la pire étant l’obstruction.
Les difficultés linguistiques de la partie francophone du pays, et plus particulièrement
de la Wallonie, sont doubles. La deuxième langue nationale, le néerlandais, y est largement
ignorée, et l’anglais qui, de gré ou de force, devient la première langue internationale, l’est
presque autant. Ceci peut s’expliquer par le prestige dont reste encore doté la langue
française, ainsi que le voisinage de la France, un pays de quelque 60 millions d’habitants avec
lesquels la communication est aisée et qui joue le rôle d’attracteur.13 Mais il est aussi
important de se rappeler que l’importance internationale du français se réduit.
Si le modèle élaboré par Gabszewicz, Ginsburgh et Weber est empiriquement fondé—
et il n’est pas falsifié (démenti) par les deux exemples qui sont cités—, alors il faudrait que les
communautés linguistiques s’engagent ensemble, ou que les matières d’enseignement
linguistiques deviennent fédérales.
Car il ne faudrait pas que le comportement donné par un dirigeant wallon s’exprimant
sur le contrat Francorchamps serve d’exemple au reste de la population.
Références
Bayenet Benoît et L. Vandendorpe (2006), Un plan de développement économique pour la
Wallonie: Plan Marshall, Région Wallonne - Regards économiques sur les actions
prioritaires, Colloque ADEL, 27 avril 2006.
Bond, K. (2001), French as a minority language in bilingual Canada, http://www3.telus.net/
linguisticsissues/french.html (accédé le 4 novembre 2005).
Crystal, David (2001), A Dictionary of Language, Chicago: Chicago University Press.
12 La récente enquête de la Commisssion Européenne montre que seulement 28% des Wallons préfèrent regarder
les films étrangers avec des sous-titres plutôt que des films doublés. Ces pourcentages passent à 55% à Bruxelles
et 89% en Flandre (Europeans and their Languages, 2006, p. 58). Le détail par région nous a été aimablement
communiqué par Jan Fidrmuc.
13 Voir Ginsburgh, Ortuno-Ortin et Weber (2005b).
Dejemeppe, Muriel et Bruno Van der Linden (2006), Actions du plan Marshall sur le marché
du travail wallon, Regards Economiques 40.
Deschamps, Robert (2006), Enseignement francophone. Qu’avons-nous fait du
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... Our results effectively show that the Frenchspeaking investors with a higher level of education tend to allocate a lower proportion of their portfolios in French stocks while they invest more internationally. Building onGinsburgh and Weber (2007), we assume that the most educated French-speakers benefit from a better knowledge of foreign languages allowing them to more diversify their portfolios at an international level. Consistent withGraham et al. (2009), our results also report that the investors who perceive themselves as more financially literate tend to more diversify their portfolios. ...
... The difference with French-speakers may be due to the difference in the knowledge of foreign languages. In contrast to French-speakers, the vast majority the Dutch-speakers can speak another language than Dutch (Ginsburgh and Weber (2007)). Therefore, their knowledge of foreign languages may not necessarily vary a lot across different levels of education. ...
... Among those, we expect financial literacy and the level of education to be key determinants of the language effect.While these authors suggest that the most educated investors are more likely to learn the benefits of international diversification, we posit that the level of education may affect foreign investing behavior through the knowledge of foreign languages. In this perspective,Ginsburgh and Weber (2007)show that the Belgian population having a higher professional status has a better knowledge of foreign languages. Assuming that a higher professional status is correlated to a higher level of education, it is likely that the most educated investors have a better foreign languages knowledge. ...
... On a more general level, this article zooms in on how the use of a foreign language fits into the journalistic code of practice of a TV and radio broadcasting company. It is apparent from the outset that there is no formal procedure: the mastery of Dutch by the French-speaking population in Belgium varies greatly (Ginsburgh and Weber 2007) and nothing indicates that all journalists are able to conduct an interview or cover a news story in the two main official languages (Dutch and French), and even less so in German, Belgium's third official language (spoken by approximately 80,000 people). We also investigate what goes on behind the scenes in Belgian media: to what extent have the journalists themselves caused a language divide (see below) in the Belgian media landscape because of their possible lack of interest in the news stories of the other language community and/or lack of motivation to speak its language. ...
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In this article, we examine how the Dutch language is used when francophone Belgian journalists prepare and produce their reports—during all stages of the process—up until the actual broadcast. We conducted 16 qualitative interviews with TV news journalists employed by the Belgian French-speaking public broadcaster. Taking as a starting point the highly variable level of Dutch in the newsroom, we highlight four practices used by journalists when they have to cover a news story in Flanders or interview a Dutch speaker: avoidance, mutual assistance, specific efforts to deal with linguistic difficulties and what we call a “tactical use” of Dutch with the sources. This study reveals practices that are by no means a demonstration of excellent language skills. Journalists’ frequent lack of knowledge is compensated by a certain pragmatism: they aim to illustrate how their daily routines tackle a concrete problem in a relatively informal, flexible, and collective manner. Finally, we explore to what extent these practices impact journalistic performance and how the use of the Dutch language in the newsroom reflects the language divide in Belgium’s journalistic landscape.
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Dans cette communication, nous abordons, sous forme de recherche action, un phénomène d’embrasement que connaissent les formations à distance pour adulte dans les premiers mois d’une promotion. Après une étude théorique nous proposons un dispositif de nidification permettant de pallier ce problème. Un recueil de donnée permet de comprendre la portée de l’ingénierie produite. https://education4-1.sciencesconf.org/data/pages/20190112_Education4_1_Preactes.pdf
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The phoneme /h/ is absent in French and its acquisition has been described as being difficult for second language learners of Dutch, a language with /h/ in its phoneme inventory. In this study, several factors were examined that may affect the production of /h/ by Belgian-French learners of Dutch. Specifically, the factors included in this exploratory study were (1) L1-to-L2 transfer, (2) semantic contrastiveness, (3) the monitoring of one’s speech, and (4) educational grade. L1-to-L2 transfer was operationalized as the effect of liaison/elision contexts on /h/-production. The expectation was liaison contexts might transfer and would therefore hinder /h/-production. Semantic contrasts in minimal pairs including an h-initial word would elicit more /h/-productions if that word was contrasted with an empty onset than an onset (oor-hoor) filled by some other consonant (hand-tand). If a speaker pays more attention to his/her speech in an increased-monitoring task, the speaker is expected to produce /h/ more often, and finally it was expected that increased exposure to Dutch would result in more correct productions. In a cross-sectional study, students from the first, third and sixth grades of secondary education (60 in total, aged between 12 years and 19 years old) took part in two reading-aloud tasks, which were assumed to differ in the degree of speech monitoring they require. The first task was a text, with which L1-to-L2 transfer was assessed, and the second a list of minimal pairs containing h-onsets contrasting with either empty or filled onsets. Monitoring was assessed by comparing results between reading tasks. Results showed that increased monitoring positively influenced the numbers of [h]s produced, but that L1-to-L2 transfer of liaison/elision contexts did not occur. A small difference between conditions was found, but in the opposite direction. There was large between-learner variability and no performance increase with amount of exposure from first to sixth grade. Overall, performance left much room for improvement relative to native Dutch speakers and to the learners’ teacher. Further research is needed to better understand the development of French-speaker learners’ production of Dutch /h/.
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Un constat fort se dégage des enquêtes sur les connaissances des élèves en math, en sciences et en lecture opérées depuis 30 ans par l’OCDE : la performance de notre enseignement décroche graduellement par rapport à celle des pays voisins et de la Flandre. Quels sont les déterminants probables d’un tel état de fait ? Peut-on penser que le niveau des ressources joue un rôle décisif ? A vrai dire non. Communautés française et flamande ont dépensé tout au long des années 1990 pratiquement le même montant par élève. Mais les scores des élèves en Flandre sont nettement supérieurs. Nos travaux et ceux de nombreux collègues économistes de l’éducation suggèrent que l’enjeu est avant tout organisationnel. Certes, les ressources budgétaires importent. Il est évident, par exemple, que leur niveau doit garantir la possibilité d’engager du personnel en nombre et qualité suffisants. Mais la majoration des moyens financiers et humains ne constitue nullement une condition suffisante de l’amélioration des performances. Dans l’enseignement plus que dans d’autres secteurs, le mode d’organisation (régulation) semble, en revanche, avoir une forte influence sur la relation ressources/résultats. Que peut-on dire de la situation en Communauté française sur ce plan et quels en sont les enjeux ? En bref, nous pouvons dire que le mode de régulation actuel est très insatisfaisant car très hybride. Il repose sur plusieurs conceptions de la régulation. Chacune comporte des faiblesses. De plus, l’articulation qui s’est opérée au fil des ans a été peu réfléchie, mal mise en oeuvre, et se révèle en définitive coûteuse sur le plan des performances. A l’inverse, la Flandre a accompli depuis 1970 un travail discret mais bien effectif de simplification et de clarification de son mode de régulation. L'organisation de l'enseignement en Communauté française comporte tout d'abord une composante concurrentielle (ou "quasi-marché"). Bien que le financement de l’enseignement soit public, les modalités d’octroi de ce financement font apparaître une logique concurrentielle : les parents, les élèves ou étudiants sont en effet libres de choisir leur établissement. Les établissements sont de surcroît financés en fonction du nombre d’inscrits. La faiblesse de ce modèle est qu’il est source d’iniquité, dans la mesure où le libre-choix tend généralement à accentuer le degré de ségrégation des publics entre écoles proches. Il y a par ailleurs en Communauté française une tradition de contrôle par la voie hiérarchique. Les réglementations administratives sont nombreuses dans l’enseignement : horaires, grilles salariales, taux d’encadrement, priorité d’emploi pour les personnels avec ancienneté, ... Et la tendance récente est à l’amplification. Or, l’évaluation que les économistes font sur ce type d’interventions est très mitigée. Le contrôle administratif réussit certes à générer une certaine conformité (respect formel des horaires, des taux d’encadrement prévus par la loi, …) mais il échoue à influencer les comportements des enseignants qui déterminent réellement le degré d’efficacité et d’équité du système. La présence simultanée de ces deux modes de régulation antagonistes nuit tant à l'efficacité qu'à l'équité de l'enseignement. La concurrence, pour être efficace, requiert la présence de producteurs libres de choisir l’usage des ressources qui leur paraît le plus indiqué pour répondre à la demande. Or, le contrôle administratif limite fortement l'autonomie des écoles en multipliant règles et procédures à respecter. On peut également douter du fait que le contrôle administratif exerce une action correctrice par rapport aux effets néfastes du libre-choix. Ainsi, peu de mesures administratives en vigueur sont de nature à limiter la ségrégation des publics ou ses effets. L’uniformité des salaires et des modes de gestion du personnel empêche, par exemple, l’octroi de primes salariales aux enseignants s’occupant d’élèves en difficulté. Que faire dès lors ? En dépit de toutes les limitations d'un système de libre-choix, et malgré la tendance à la ségrégation des publics qui la caractérise, nous ne croyons pas à son remplacement par un modèle hiérarchique pur, avec, comme en France, une carte scolaire synonyme d’assignation de l’école en fonction du lieu de résidence. Car il y a la question du coût politique de l’abandon du libre-choix de l’école. Mais il y a aussi le risque d’une accentuation de la ségrégation résidentielle. L’option de politique scolaire doit plutôt être celle d'encadrer le système de libre-choix, mais pas via un renforcement du contrôle hiérarchique de type bureaucratique. Il est plus indiqué d’opter, comme en Flandre mais aussi en Finlande ou en Grande-Bretagne, pour un encadrement par voie de contractualisation. Il s’agirait de dissocier plus nettement qu’aujourd’hui les fonctions de contrôle et de production du service éducatif. Aux écoles, il reviendrait de décider plus librement des horaires de présence des professeurs et des élèves, de la durée des cours par matière, du nombre et du type d’enseignants à recruter ou encore de l’opportunité de les envoyer en recyclage. A l’administration, il appartiendrait d’évaluer la performance des écoles. Son rôle principal deviendrait de faire passer aux élèves, à intervalles réguliers, des tests standardisés, à l’image de ceux conçus par l’OCDE. Les résultats à ces tests, pondérés pour tenir compte de l’origine socio-économique des élèves, formeraient la base de l’évaluation des écoles. Et ce n’est qu’en cas d’évaluation négative répétée qu’il y aurait intervention dans la gestion de l’école, par un changement de direction, une mise sous tutelle, …
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prologue: la polarisation politique Question 1 : Langues Question 2 : Le fédéralisme Question 3 : Bruxelles Question 4 : Les migrations Question 5 : Les retraites Question 6 : L’emploi Question 7 : La flexisécurité Question 8 : Les délocalisations Question 9 : La fiscalité Question 10 : La gouvernance publique
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Le capital humain du Belge moyen tel que mesuré par le nombre d'années d'études réussies a doublé au cours du 20ème siècle. Mais la tendance est au décrochage relatif de la Wallonie et de Bruxelles. Le handicap actuel du Wallon par rapport au Flamand est de 1,2 année. Il est de 1,5 pour le Bruxellois. L'accès au diplôme secondaire est quant à lui devenu plus équitable depuis 1960. Ce n'est pas le cas pour le diplôme supérieur. Par rapport à un individu dont la mère a un diplôme primaire, celui dont la mère est diplômée du supérieur a toujours 2,5 fois plus de chances de décrocher le précieux sésame
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European Union and supranationality Economic integration During the nineteenth and twentieth centuries, national economies in Europe were closely interlinked with nation-states. The borders of these countries protected their economies and, for the strongest of them, their colonial and postcolonial policies opened up markets for their products and services. The process of internationalisation and globalisation deeply transformed relations between the states and the economy. The creation of a European Community (and since 1993 of a Union) accelerated this transformation. Since the Treaty of Rome in 1957 it has consisted in opening an area for the free movement of capital, goods, services and people by creating a common, and later a single, market. The Community was first made up of six countries (Belgium, France, Germany, Italy, Luxembourg and the Netherlands), plus Denmark, Ireland and the United Kingdom in 1973, Spain, Greece and Portugal in 1984 and, as the European Union, incorporated Austria, Finland and Sweden in 1995. Others, such as Hungary, Poland, the Czech Republic, will join them in the near future. In regulating the relations between this market and the different countries EU legislation is followed and laws of the individual states have to conform to it. This legislation is the basis of supranationality. Community institutions are its instruments. The European Commission implements measures and objectives defined by the treaties, proposes programmes and monitors them when adopted. Proposals made by the Commission have to be approved by the states in the European Council, which brings together their representatives.
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There will be, in the twenty-first century, a major shake-up of the global language hierarchy. Graddol (1997, p. 39) The idea of dedicating a book to languages in a globalising world, i.e. to their relationships and their competition on the world's checkerboard, is the result of a series of events, such as the reunification of Germany, the break-up of the eastern European bloc of countries, the end of apartheid in South Africa and phenomena that are part of a long-term trend, such as the creation of new economic trading blocs and globalisation. Ignacio Ramonet (1999, pp. 19–20) paints the following portrait of events marking the end of the twentieth century: Events of great import – the unification of Germany: the disappearance of the Communist regimes in Eastern Europe; the collapse of the USSR (from inexplicable causes); the United Nations crisis; the abolition of apartheid in South Africa; the end of ‘smouldering wars’ (EI Salvador, Nicaragua, Angola, Afghanistan, Cambodia); radical change in Ethiopia, Guyana, Chile; the end of the Mobutu regime in Congo-Zaire …; the mutual recognition of Israel and the Palestinians; the renaissance of China and the return of Hong Kong to China; the emergence of India, etc. –totally change the geostrategy of the planet. Still other slower paced but world-shaking events, like the continuation of European construction, also exert a decisive influence on the general flux of the political life of the world and, at the same time, cause a series of multiple upheavals.[…]
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The western world harbours a stereotype of the countries of central and eastern Europe; for example, the tendency to characterise all countries in this area as belonging to the ‘East bloc countries’. This distortion might be explained by the fact that this part of the world was part of the former Soviet bloc for over forty years. However, at the start of the twenty-first century, ten years after the fall of the Berlin Wall, national characteristics often continue to be ignored in news about the eastern part of the European continent. This chapter is an attempt to clarify this situation from a particular point of view, that of teaching and learning foreign languages. Convergences as well as divergences are noted, including variations in national culture, history and current legislation of the countries under review, namely: Hungary, Poland, the Czech Republic and Slovakia (formerly Czechoslovakia), Romania, and Bulgaria. A focus on these countries is especially interesting since the situation of the major languages of international communication in central and eastern Europe changed considerably in the 1990s, following the politico-economic upheavals of 1989. Historical overview of the situation of foreign languages in central and eastern Europe The importance of foreign languages during the first half of the twentieth century For centuries, knowledge of foreign languages was a constituent of the general culture of educated eastern Europeans. Before the Second World War, learning of one or two living foreign languages (in addition to Latin) was widespread in the area.
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Assuming that a language has some control over its destinies will help us outline the appropriate actions to be taken by a political decision maker who, typically, makes the same assumption of governability when he or she wishes to guide a minority language towards security and prosperity. Of course, most languages are far from having the control of the functions of goal setting, integration, adaptation and socialisation required by Parsonian theory to distinguish a system from a set. Most languages lack pilots; most of them are like leaves in the wind. But major standardised languages have at least some control over their own evolution, and those that are supported by a government have ways of steering their relations among the other languages with which they are linked by communication, competition, cooperation and conflict. What should the geopolitical survival strategy of such a language be when it is confronted with a more powerful competitor? The social sciences are often said to abound in theories but to be short of laws. That this be so makes it all the more important that we give due attention to one of these laws, a law that governs language contact: the ancient law of Babel (Laponce 1984; 1992; 2001). x2018;Behold, they are one people, they have only one language; and this is only the beginning of what they will do: and nothing that they propose to do will now be impossible to them. Come, let us go down, and then confuse their languages, that they may not understand one another's speech. So the Lord scattered them abroad from there over the face of the whole earth …’
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A l'heure de la mise en place des premières mesures prévues dans le cadre du Plan Marshall, nous abordons, sans tabou, une série de questions dans le domaine de l'emploi et des politiques d'emploi qui sont en toile de fond de ce plan : Quelles sont les causes de la difficulté à pourvoir des emplois vacants en Wallonie et quels en sont les remèdes ? Comment se comparent les coûts salariaux et la productivité dans les régions ? Faut-il régionaliser la formation des salaires ? Quel ciblage pour les allègements de cotisations sociales pour stimuler au mieux l'emploi ? Que faut-il faire et, surtout, ne pas faire en matière d'évaluation des politiques d'emploi ?