ArticlePDF Available

L’IMPLANTATION DE LA PHILOSOPHIE POUR ENFANTS EN CLASSE : UNE ÉTUDE EXPLORATOIRE DANS LE CADRE D’UN STAGE EN ENSEIGNEMENT

Authors:

Abstract

La PPE est désormais reconnue par l'UNESCO en tant qu'approche favorisant le développement de compétences nécessaires à la vie, dont la pensée critique, et connaît un véritable essor a niveau international. Cet intérêt grandissant pour la PPE a comme corolaire des défis de plus en plus grands en ce qui a trait à la formation initiale des enseignants. Ces défis sont d'autant plus complexes que la philosophie ne figure toujours pas dans les programmes d'enseignement primaire parmi les disciplines obligatoires, il devient donc difficile de libérer de l'espace dans le cursus pour former les enseignants à la PPE. Néanmoins, au Québec, le Renouveau pédagogique mis en place par le ministère de l'Éducation laissait entrevoir plusieurs points d'ancrage pour la PPE dans la formation initiale des enseignants. En effet, ce programme poursuit des visées similaires à celles promues en PPE, dont le développement de compétences, parmi lesquelles se retrouvent la formation du jugement critique et la pratique du dialogue. Suite à la mise en place de ce Renouveau pédagogique, toutes les universités québécoises ont dû ajuster leur programme de formation initiale à l'enseignement, ce qui pouvait laisser entendre que les futurs enseignants développeraient des compétences utiles à l'animation d'une communauté de recherche philosophique (CRP). Mais qu'en est-il exactement? De quelle manière la formation initiale à l'enseignement permet-elle aux étudiants de s'approprier les habiletés d'animation liées à la PPE? C'est à cette question que s'intéresse la présente étude exploratoire. Dix stagiaires de quatrième année ont entrepris de mettre en place des CRP avec leurs élèves. Par le biais des rapports qu'ils ont produits ainsi que d'entretiens semi-dirigés, il ressort que les étudiants appliquent des stratégies développées lors de leur formation initiale et qui ne conviennent pas toujours à la PPE. Parmi ces stratégies, notons la récurrence du modèle explicatif de type «top-down», la multiplication des activités préparatoires ainsi que la division des compétences en une série de composantes. Notons également leur grande difficulté à relever des habiletés de pensée dans les réflexions des élèves. Ces résultats soulèvent des questions sur la manière dont les futurs enseignants sont préparés non seulement à animer des discussions philosophiques mais aussi, plus largement, sur leurs capacités à développer la pensée des élèves.
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
!
L’IMPLANTATION DE LA PHILOSOPHIE POUR ENFANTS EN CLASSE : UNE ÉTUDE
EXPLORATOIRE DANS LE CADRE DUN STAGE EN ENSEIGNEMENT
Mathieu Gagnon, professeur, Université de Sherbrooke
Nicole Tremblay; Catherine Dumoulin; Pier-Charles Boily; Étienne Bouchard,
Université du Québec à Chicoutimi
Résumé
La PPE est désormais reconnue par l’UNESCO en tant qu’approche favorisant le
développement de compétences nécessaires à la vie, dont la pensée critique, et connaît
un véritable essor a niveau international. Cet intérêt grandissant pour la PPE a comme
corolaire des défis de plus en plus grands en ce qui a trait à la formation initiale des
enseignants. Ces défis sont d’autant plus complexes que la philosophie ne figure
toujours pas dans les programmes d’enseignement primaire parmi les disciplines
obligatoires, il devient donc difficile de libérer de l’espace dans le cursus pour former les
enseignants à la PPE. Néanmoins, au Québec, le Renouveau pédagogique mis en place par
le ministère de l’Éducation laissait entrevoir plusieurs points d’ancrage pour la PPE
dans la formation initiale des enseignants. En effet, ce programme poursuit des visées
similaires à celles promues en PPE, dont le développement de compétences, parmi
lesquelles se retrouvent la formation du jugement critique et la pratique du dialogue.
Suite à la mise en place de ce Renouveau pédagogique, toutes les universités québécoises
ont ajuster leur programme de formation initiale à l’enseignement, ce qui pouvait
laisser entendre que les futurs enseignants développeraient des compétences utiles à
l’animation d’une communauté de recherche philosophique (CRP). Mais qu’en est-il
exactement? De quelle manière la formation initiale à l’enseignement permet-elle aux
étudiants de s’approprier les habiletés d’animation liées à la PPE? C’est à cette question
que s’intéresse la présente étude exploratoire. Dix stagiaires de quatrième année ont
entrepris de mettre en place des CRP avec leurs élèves. Par le biais des rapports qu’ils
ont produits ainsi que d’entretiens semi-dirigés, il ressort que les étudiants appliquent
des stratégies développées lors de leur formation initiale et qui ne conviennent pas
toujours à la PPE. Parmi ces stratégies, notons la récurrence du modèle explicatif de type
«top-down», la multiplication des activités préparatoires ainsi que la division des
compétences en une série de composantes. Notons également leur grande difficulté à
relever des habiletés de pensée dans les réflexions des élèves. Ces résultats soulèvent des
questions sur la manière dont les futurs enseignants sont préparés non seulement à
animer des discussions philosophiques mais aussi, plus largement, sur leurs capacités à
développer la pensée des élèves.
Mots clés : Philosophie pour enfants; formation initiale à l’enseignement
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
292
Implanting Philosophy for Children in the Classroom: An Exploratory Study in
Teacher Formation.
Abstract:
P4C is now recognized by UNESCO as an approach that foster the development
of the fundamental competencies of critical, creative and caring thinking. International
interest in the approach has been increasing for a decade, but this growing interest has a
corollary: new challenges for the initial training of teachers. Among these challenges, the
fact that the philosophy is still not included as an official school subject in primary
school curricula has had a major impact on the possibility of inserting P4C courses into
the context of initial teacher training. However, in Quebec, the Pedagogical Renewal
implemented by the Ministry of Education in 2001 suggests possible links with P4C. The
new program has several points in common with the objectives pursued by P4C,
including the development of higher order thinking skills, and especially the
development of critical thinking through the practice of dialogue. With the
implementation of this reform, all Quebec universities were obliged to revise their initial
training programs for teaching, which might suggest that teachers have developed
useful skills for the facilitation of a community of philosophical inquiry (CPI). But are
we justified in making this assumption? How does initial teacher training allow students
to acquire the skills related to facilitation in P4C? Our exploratory study focused on this
question. Ten student teachers experimented with P4C with their pupils. Through the
reports they produced as well as a semi-structured interview, our results suggest that
student teachers tend to apply strategies developed during their initial training, like the
recurrent use of a "top-down" approach, the systematic application of preparatory
activities, and the division of skills into a series of components--strategies that are not
always suitable for P4C. These student teachers also had difficulty in identifying the
thinking skills implemented by their pupils. This study raise questions about how future
teachers are prepared, not only to lead philosophical discussions but also, more broadly,
to develop pupils' thinking.
Keywords: Philosophy for children; initial teacher formation
A implantação da filosofia para crianças na sala de aula: um estudo exploratório
no quadro de um estágio de ensino
Resumo:
A FPC é hoje em dia reconhecida pela UNESCO como abordagem que favorece o
desenvolvimento de competências necessárias à vida, nas quais se encontra o
pensamento crítico, e conhece um verdadeiro desenvolvimento no nível internacional.
Esse interesse crescente pela FPC tem por corolário desafios cada vez maiores no que
concerne a formação inicial dos professores. Esses desafios ainda mais complexos
porque a filosofia nem sempre está presente nos programas de ensino primário entre as
disciplinas obrigatórias, e assim torna-se difícil liberar espaço no currículo para formar
os professores para a FPC. No entanto, no Québec, a Renovação pedagógica implementada
pelo ministério da Educação deixava vislumbrar vários pontos de ancoragem para a FPC
na formação inicial dos professores. Com efeito, este programa tem vistas semelhantes
às promovidas na FPC, incluindo o desenvolvimento das competências, entre as quais se
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
293
encontram a formação do juízo crítico e a prática do diálogo. Em consequência da
instauração dessa Renovação pedagógica, todas as universidades do Québec tiveram de
ajustar seus programas de formação inicial à docência, o que poderia deixar entender
que os futuros professores desenvolveriam competências úteis para a animação de uma
comunidade de inquérito filosófico (CIF). Mas o que acontece em realidade? De que
maneira a formação inicial à docência permite aos estudantes se apropriarem as
habilidades de animação ligadas à FPC? É a essa questão que se interessa o presente
estudo exploratório. Dez estagiários de quarto ano empreenderam a instalação de CIF
com seus alunos. Pelo viés dos relatórios que eles produziram como de entrevistas
parcialmente orientadas, revela-se que os estudantes aplicam estratégias desenvolvidas
durante sua formação inicial e que nem sempre convêm à FPC. Entre estas estratégias,
percebemos a recorrência do modelo explicativo do tipo “top-down”, a multiplicação
das atividades preparatórias assim como a divisão das competências em uma série de
componentes. Percebemos também sua grande dificuldade a notar habilidades de
pensamento nas reflexões dos alunos. Esses resultados levantam questões sobre a
maneira como os futuros docentes são preparados o somente para animar discussões
filosóficas mas também, de modo mais abrangente, sobre suas capacidades a
desenvolver o pensamento dos alunos.
Palavras-chave: Filosofia para crianças; formação inicial à docência
La implantación de filosofía para niños en el aula: un estudio exploratorio en el contexto
de una práctica en la formación inicial docente
Resumen
La filosofía para niños (fpn) es ahora reconocida por la UNESCO como un enfoque para
fomentar el desarrollo de habilidades para la vida, incluyendo el pensamiento crítico, y
ha prosperado a nivel internacional. Este creciente interés en fpn tiene como corolario
desafíos cada vez mayores con respecto a la formación inicial de los docentes. Estos
desafíos son aún más complejos ya que como la filosofía aún no está incluida entre las
asignaturas obligatorias en el plan de estudios de la educación primaria entre las
asignaturas obligatorias, se hace difícil para encontrar espacio para capacitar a los
maestros en fpn. Sin embargo, en Quebec, la Renovación Pedagógica implementada por
el Ministerio de Educación dejó entrever varios puntos de anclaje para fpn en la
formación inicial de los docentes. De hecho, este programa persigue objetivos similares a
los de EPP, incluyendo el desarrollo de competencias, incluyendo la formación del juicio
crítico y la práctica del diálogo. Tras el establecimiento de la Renovación Pedagógica,
todas las universidades de Quebec han tenido que ajustar su programa de formación
inicial de docentes, lo que podría sugerir que los futuros docentes desarrollarían
habilidades útiles para propiciar una comunidad de investigación filosófica (CIF). Pero,
¿qué es exactamente una CIF? ¿De qué manera la formación inicial del profesorado
permite a los estudiantes adquirir conocimientos relacionados con propiciar la fpn? Esta
es la pregunta que el presente estudio exploratorio pretende responder. Diez estudiantes
de cuarto año han comenzado a implementar CIF con sus alumnos. A través de los
informes que se han producido, así como entrevistas semi-estructuradas, parece que los
estudiantes aplican estrategias desarrolladas durante su formación inicial y no siempre
son adecuados para fpn Estas estrategias incluyen la repetición del modelo explicativo
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
294
de "arriba hacia abajo", la multiplicación de las actividades de preparación y división de
las competencias en una serie de componentes. Notamos también grandes dificultades
para reconstruir habilidades de pensamiento en las reflexiones de los estudiantes. Estos
resultados plantean preguntas acerca de cómo los futuros maestros son preparados no
sólo para coordinar las discusiones filosóficas, sino también, en general, en sus
capacidades para desarrollar el pensamiento de los estudiantes.
Palabras clave: Filosofía para Niños, formación inicial docente
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
295
L’IMPLANTATION DE LA PHILOSOPHIE POUR ENFANTS EN CLASSE : UNE ÉTUDE
EXPLORATOIRE DANS LE CADRE DUN STAGE EN ENSEIGNEMENT
5. La philosophie pour enfants, ou les défis de la croissance!
Aujourd’hui comme jamais, la philosophie pour enfants (PPE) gagne en
popularité à l’échelle internationale. En témoigne le fait que l’UNESCO, depuis
2011, en recommande l’institutionnalisation. Plusieurs raisons permettent
d’expliquer pourquoi autant d’attention est portée à cette démarche, notamment
le nombre sans cesse grandissant de recherches et d’études empiriques qui
tendent à confirmer ses apports sur le développement intellectuel, social et
affectif des participants. En fait, il semble y avoir une relation entre la croissance
des données de recherche sur la PPE et l’intérêt qui lui est porté depuis les dix
dernières années, car, il faut bien l’admettre, le langage de la science gagne
beaucoup de terrain dans le monde de l’éducation. Il va sans dire qu’en tant que
nous œuvrons à son développement depuis plusieurs années, et par conséquent
nous nous réjouissons de cet intérêt grandissant pour l’approche initiée par
Lipman et Sharp il y a plus de 40 ans déjà! Seulement, cet engouement pose
inévitablement des défis nouveaux pour les acteurs du domaine de la PPE, dont
celui de la formation des animateurs qui ressort comme étant l’un des plus
importants. De fait, lorsque les initiatives d’implantation demeurent pour
l’essentiel ponctuelles et isolées, il est toujours possible d’imaginer des
formations à la clé, la plupart du temps dans une perspective de formation
continue, et de gérer en quelque sorte à la pièce la demande. Par contre, dès
l’instant de telles demandes prennent de l’ampleur, les stratégies de
formation déployées doivent s’adapter.
Dans un tel contexte, la question de la formation des enseignants ne se
pose plus uniquement en termes de formation continue, mais également et
surtout en termes de formation initiale. En effet, il apparaît de plus en plus
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
296
évident que si nous souhaitons que les futurs enseignants soient non seulement
en mesure d’animer des communautés de recherche philosophique (CRP) mais
aussi de s’inspirer, dans l’ensemble de leur enseignement, des interventions
pédagogiques qui y sont privilégiées, la terrain de la formation initiale à
l’enseignement sera, un jour ou l’autre, un incontournable — d’autant que la
tendance des dernières années en ce qui concerne les taux d’inscriptions aux
programmes de 2e cycle en éducation (formation continue) est généralement à la
baisse. Par ailleurs, cette question des relations entre la formation initiale et celle
de l’animation de dialogues philosophiques peut se poser de différentes
manières. D’abord, nous pouvons nous demander dans quelle mesure et de
quelle manière un cours spécifiquement consacré à la PPE dans le cadre de cette
formation permet de préparer adéquatement les étudiants à l’animation d’une
CRP. À cette question s’ajoute celle du moment auquel il serait le plus opportun,
à l’intérieur d’un programme de formation d’une durée de quatre années,
d’offrir un tel cours. Serait-ce en début de formation, au milieu ou à la fin? Il
convient également de se demander si un seul cours est suffisant pour assurer
une formation d’animateur. Cette dernière question pose cependant d’autres
enjeux, notamment ceux reliés au temps qui doit être alloué aux didactiques
spécifiques, d’autant que celles qui meublent les divers programmes de
formation correspondent aux domaines d’apprentissage inscrits obligatoirement
au cursus scolaire des élèves, ce qui, bien entendu, n’est pas le cas de la
philosophie!
Se pose donc un défi de taille pour quiconque souhaite défendre l’idée
d’intégrer des cours de PPE à la formation initiale des enseignants, un défi
d’autant plus grand que chaque didacticien considère lui-même ne pas disposer
de suffisamment de temps pour former de façon optimale les étudiants. À ce
jour, au mieux, les facultés et départements d’éducation du Québec ont consenti
à offrir un, deux, voire trois cours à option. En effet, au Québec, aucun
programme de formation à l’enseignement ne prévoit un cours obligatoire en
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
297
PPE. À cet égard, notons que hormis le certificat qui est offert à l’Université
Laval, lequel est niché dans une faculté de philosophie et ne fait pas partie de la
formation initiale des enseignants, bien peu d’offres sont disponibles dans les
universités. En effet, un regard porté sur les cours en PPE inscrits aux différents
programmes de formation en enseignement primaire indique que seules
l’Université Laval et l’UQAC proposent une formation en ce sens. Seulement,
dans les deux cas, les cours en PPE font partie des cours à option et ne figurent
donc pas à la liste des cours obligatoires. Dans le cas de l’Université Laval, trois
cours de PPE sont à la disposition des étudiants en enseignement, mais ceux-ci
font partie d’une liste comprenant 24 cours optionnels, et les étudiants ont la
possibilité de choisir un maximum de trois cours optionnels à l’intérieur de cette
liste. Quant à l’UQAC, un cours de PPE est offert à l’intérieur d’un bloc
comprenant douze cours et dans lequel les étudiants ont la possibilité d’en
choisir deux. Il est à noter également qu’à l’UQAC, le cours de PPE n’est offert
qu’aux étudiants de quatrième année. Quant à la formation initiale en
enseignement au secondaire, aucun cours n’est offert sur l’animation de CRP
dans les facultés et départements d’éducation des universités québécoises. Dans
de telles circonstances, il est à peu près évident que ce ne sera pas la majorité des
étudiants en enseignement qui suivra une formation en PPE et ce, même si
dans certains cas plusieurs cours sont offerts —, notamment parce que les
préoccupations des étudiants se situent souvent ailleurs (p. Ex. Adaptation
scolaire, milieu à risque, milieu interculturel, etc.).
Se pose dès lors une autre question, à savoir comment la formation initiale
à l’enseignement, telle qu’elle est proposée actuellement, permet-elle de préparer
les futurs enseignants à animer, le cas échéant, des CRP, ou encore de
s’approprier les rouages d’une telle animation, que ce soit dans le cadre d’un
cours à option ou bien lors d’expérimentations en milieux de pratique (formation
continue). Une partie de la réponse se retrouve dans la manière dont sont
constitués tant les programmes destinés aux élèves que les programmes de
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
298
formation à l’enseignement, puisque les seconds doivent préparer les étudiants à
la mise en œuvre des premiers. Cette question nous apparaît complémentaire à
celles que nous avons formulées précédemment puisque, comme nous le
mentionnons à l’intérieur d’un autre article (Gagnon, à paraître), l’un des
principaux défis de l’implantation de la PPE dans les écoles, et a fortiori de
l’intégration d’un cours de PPE aux programmes de formations initiales à
l’enseignement, réside dans la manière dont il nous sera possible de dessiner des
relations entre cette approche et les programmes destinés aux élèves. Afin de
formuler des hypothèses autour de cette question dans le contexte particulier
dans lequel nous œuvrons, examinons brièvement de quelle manière sont
structurés ces programmes au Québec.
Le virage vers les compétences : quels espoirs pour la philosophie pour enfants?
Au début des années 2000, le Québec, tout comme différents pays de la
francophonie en Occident (p. Ex. France, Belgique, Suisse) fut le théâtre d’un
véritable renversement dans les orientations ministérielles en matière de
formation des élèves. En ce sens, l’arrivée du Programme de formation de l’école
québécoise (PFEQ) marquait clairement un passage vers des approches centrées
sur le développement des compétences. Il s’agissait, dès lors, de veiller non
seulement à permettre aux apprenants d’acquérir des connaissances, mais
également de créer des conditions, dites authentiques, dans lesquelles ceux-ci
seraient appelés à mobiliser et à combiner, de manière délibérée et réfléchie, ces
connaissances avec différentes ressources (individuelles et du milieu), et ce, afin
d’agir efficacement en situation. Parmi les compétences ciblées se retrouvaient
des compétences disciplinaires, rattachées aux domaines d’apprentissage
(langue, mathématique, science et technologie, univers social, arts, etc.), de même
que des compétences dites «transversales» à la fois d’ordre intellectuel (jugement
critique, pensée créatrice), d’ordre méthodologique et de l’ordre de la
communication. À cela s’est ajouté, en 2008, un programme d’Éthique et culture
religieuse (ÉCR) à l’intérieur duquel se retrouvaient trois compétences : réfléchir
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
299
à des questions éthiques; manifester une compréhension du phénomène
religieux; et pratiquer le dialogue. Comparativement à d’autres compétences du
même type, la compétence au dialogue était résolument centrée sur une
formation de la pensée par le recours à des «moyens pour élaborer un point de
vue» (p. Ex. Comparer, expliquer, justifier, etc.), par l’identification de différents
types de jugement (p. Ex. Jugement de valeur, jugement de préférence, jugement
de réalité, etc.), de même que par la reconnaissance de sophismes (p. Ex.
Attaques personnelles, pente fatale, appel à la tradition, fausse analogie, faux
dilemme, etc.).
Par ailleurs, l’esprit dans lequel s’inscrivait ce virage vers les compétences
se rapportait résolument à une perspective dite socioconstructiviste, c’est-à-dire
une perspective dans laquelle les élèves étaient invités à effectuer leurs
apprentissages dans un contexte de coélaboration et de coconstruction. Dans ce
cadre, les compétences étaient considérées comme étant sociales et situées; elles
devaient se développer dans et par l’action, ou, pour le dire autrement, dans et
par les interactions, et ce, à l’intérieur de ce qu’il a été convenu d’appeler des
«situations-problèmes-complexes» (Gagnon, 2008; LeBoterf, 1994; Perrenoud
2000). Pour cela, ces situations devaient présenter certaines caractéristiques,
parmi lesquelles se retrouvent, notamment, la nécessité de se dégager d’une
pensée algorithmique par la reconnaissance de la diversité des façons d’arriver à
une solution acceptable, la prise en compte d’une diversité d’aspects et de points
de vue, le besoin de s’engager dans un processus de problématisation visant,
entre autres, à identifier les critères de choix, l’importance de considérer des
solutions alternatives et le caractère imprévisible de la solution finale (Gauthier,
Guilbert, Pelletier, 1997). Dans ce contexte, les situations d’apprentissage et
d’évaluation proposées devaient, idéalement, permettre aux élèves de donner du
sens à leurs apprentissages, d’où l’importance de considérer attentivement leurs
intérêts et d’articuler les problèmes autour d’enjeux ou de questions
authentiques. C’est pourquoi le PFEQ s’articule également autour de domaines
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
300
généraux de formation, tels que santé et bien-être, vivre-ensemble et citoyenneté, médias,
environnement et consommation ou orientation et entreprenariat. Pour le Ministère, le
fait d’insérer les situations pédagogiques au cœur de tels domaines devait
conduire les élèves à percevoir davantage de sens à leurs apprentissages. Partant,
il ressortait de cette logique que la perspective dans laquelle s’inscrivait à
l’origine le programme par compétences était, entre autres, celle de la complexité
(Morin, 1986)
La venue de ce programme de formation a bien entendu généré de
nombreux espoirs chez les personnes engagées en PPE, puisque les liens avec le
PFEQ, et plus particulièrement avec les domaines généraux de formation, les
compétences transversales et le programme d’ÉCR, sont très nombreux (Gagnon,
2012; Sasseville, 2009). Pour l’une des premières fois depuis la diffusion des
travaux de Lipman et de Sharp, la PPE ne s’inscrivait plus nécessairement en
faux contre les programmes officiels de formation, mais bien davantage en
accord avec eux. Il était donc permis de croire que la PPE pourrait être
considérée comme un moyen de choix, parmi d’autres, afin de rencontrer les
exigences associées à ces programmes, notamment celles se rapportant au
développement de la pensée des élèves, à la socialisation ainsi qu’aux types de
problèmes sur lesquels devaient se structurer, en principe, ces approches dites
par compétence. À ces espoirs nés des orientations nouvelles imposées par le
ministère de l’Éducation de l’époque, se sont ajoutés ceux liés à l’exigence de
réviser l’ensemble des programmes de formation initiale et continue des
enseignants. De fait, cette révision pouvait laisser entendre que les enseignants
seraient mieux outillés afin de favoriser une formation de la pensée des enfants,
un rêve caressé par Lipman dans sa vision de l’école idéale, et qu’en ce sens, la
PPE pourrait prendre plus naturellement place dans les pratiques éducatives.
Mais depuis, qu’est-il advenu de cette formation des enseignants, notamment de
la formation initiale? Permet-elle aux futurs enseignants de s’approprier plus
facilement les différentes compétences liées à l’animation d’un dialogue
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
301
philosophique en communauté de recherche? C’est à cette question que tentera
de répondre le présent article, mais il convient d’abord d’examiner brièvement
les principaux éléments sur lesquels ont été structurés ces programmes de
formations.
1.2 Le virage vers les compétences : quelle formation pour les enseignants?
À la suite de la publication du PFEQ par les instances gouvernementales,
les facultés et départements d’éducation des universités québécoises ont été
mandatés pour réviser l’ensemble de leurs programmes de formation initiale.
Pour ce faire, les universités devaient prendre appui sur le document du
ministère de l’Éducation (2001) intitulé : La formation à l’enseignement. Les
orientations. Les compétences professionnelles. À l’intérieur de ce document se
retrouvent 12 compétences autour desquelles devaient être structurés les
programmes de formation, chaque programme devant permettre aux futurs
enseignants de développer ces compétences. Voici la liste de ces compétences :
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
302
Source : Ministère de l’Éducation du Québec (2001). La formation à l’enseignement. Les orientations.
Les compétences professionnelles. Québec : Bibliothèque Nationale. P. 59
Chacune de ces 12 compétences se décline en différentes composantes. À
titre d’exemple, la compétence 1 comprend les composantes suivantes : a) situer
les points de repères fondamentaux et les axes d’intelligibilité (concepts,
postulats et méthodes) des savoirs de sa discipline afin de rendre possibles des
Fondements
1. Agir en tant que professionnel héritier, critique et interprète d’objets de
savoirs ou de culture dans l’exercice de ses fonctions.
2. Communiquer clairement et correctement dans la langue d’enseignement, à
l’oral et à l’écrit, dans les divers contextes liés à la profession enseignante.
Acte d’enseigner
3. Concevoir des situations d’enseignement-apprentissage pour les contenus à
faire apprendre, et ce, en fonction des élèves concernés et du développement
des compétences visées dans le programme de formation.
4. Piloter des situations d’enseignement-apprentissage pour les contenus à
faire apprendre, et ce, en fonction des élèves concernés et du développement
des compétences visées dans le programme de formation.
5. Évaluer la progression des apprentissages et le degré d’acquisition des
compétences des élèves pour les contenus à faire apprendre.
6. Planifier, organiser et superviser le mode de fonctionnement du groupe-
classe en vue de favoriser l’apprentissage et la socialisation des élèves.
Contexte social et scolaire
7. Adapter ses interventions aux besoins et aux caractéristiques des élèves
présentant des difficultés d’apprentissage, d’adaptation ou un handicap.
8. Intégrer les technologies de l’information et des communications aux fins de
préparation et de pilotage d’activités d’enseignement-apprentissage, de
gestion de l’enseignement et de développement professionnel.
9. Coopérer avec l’équipe-école, les parents, les différents partenaires sociaux
et les élèves en vue de l’atteinte des objectifs éducatifs de l’école.
10. Travailler de concert avec les membres de l’équipe pédagogique à la
réalisation des tâches permettant le développement et l’évaluation des
compétences visées dans le programme de formation, et ce, en fonction des
élèves concernés.
Identité professionnelle
11. S’engager dans une démarche individuelle et collective de développement
professionnel.
12. Agir de façon éthique et responsable dans l’exercice de ses fonctions.
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
303
apprentissages significatifs et approfondis chez les élèves; b) prendre une
distance critique à l’égard de la discipline enseignée; c) établir des relations entre
la culture seconde prescrite dans le programme de formation et celle des élèves;
d) transformer la classe en un lieu culturel ouvert à la pluralité des perspectives
dans un espace de vie commun; e) porter un regard critique sur ses propres
origines et pratiques culturelles et sur son rôle social. Au total, 62 composantes
sont associées aux 12 compétences identifiées par le Ministère, et tous les
programmes de formation à l’enseignement offerts dans les universités
québécoises doivent permettre aux futurs enseignants, par le biais des cours ainsi
que des stages, d’atteindre un niveau de maîtrise suffisant pour chacune de ces
compétences et des composantes s’y rattachant.
À cet égard, la plupart des programmes de formation à l’enseignement
proposent des cours obligatoires tant sur les fondements de l’apprentissage, la
sociologie de l’éducation, l’organisation scolaire, l’intervention éducative ou
encore l’adaptation scolaire et sociale, que sur les didactiques spécifiques
associées à différents domaines d’apprentissage, dont univers social
(histoire/géographie), science et technologie, mathématiques, langue, arts ainsi
qu’éthique et culture religieuse. Dans tous les cas, chacun de ces programmes est
structuré à la fois sur les compétences disciplinaires à développer et les contenus
à faire apprendre (échelle de progression des apprentissages). Dans tous les cas
également, les SAÉ proposées doivent s’inscrire, afin d’être plus signifiantes pour
les élèves, à l’intérieur de domaines généraux de formation.
Dans cet esprit, et plus particulièrement afin d’aider les étudiants dans le
développement des compétences professionnelles associées à l’acte d’enseigner, les
didacticiens des disciplines proposent des modèles de planification de SAÉ. En
ce sens, les indications du Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS)
ont conduit à favoriser l’utilisation d’un modèle en particulier qui, sans être le
seul, représente une tendance considérable à l’intérieur des programmes ainsi
que des différents cours de didactiques. En fait, il s’agit d’un modèle largement
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
304
inspiré du champ de la psychologie cognitive et s’appuyant sur les écrits liés à
l’enseignement dit stratégique (Tardif, 1992) ou encore à l’enseignement dit
explicite (Gauthier, Bissonnette et Richard, 2013). Ce modèle comprend
d’ordinaire trois phases principales, à savoir : 1) phase de préparation; 2) phase
de réalisation; 3) phase d’intégration, de transfert et/ou de réinvestissement. À
l’intérieur de ces différentes étapes, notamment celles rattachées à la préparation
et à la réalisation, les enseignants ou futurs enseignants sont invités à organiser
des processus de modelage en vue de diriger les élèves, par le recours à des
phases de pratiques guidées et coopératives, vers une pratique de plus en plus
autonome des apprentissages ciblés, notamment ceux liées à des connaissances
de type procédural ou encore conditionnel (dans et pour lesquelles des
connaissances déclaratives doivent être mobilisées). Rappelons par ailleurs que
ces modèles de planification, pour la plupart, s’inscrivent en réalité à l’intérieur
d’une perspective issue du champ de la psychologie cognitive qui, depuis ses
origines avec les travaux de Robert Gagné (1976), s’intéresse au traitement de
l’information et s’appuie, pour cela, sur les rôles des différentes catégories de
connaissances (déclaratives, procédurales, contextuelles) de même que des types
de mémoire, dont la mémoire de travail et la mémoire à long terme (c. À d.
Sémantique et autobiographique connaissances antérieures) dans les
processus de résolution de problèmes. Partant des données issues, notamment,
des travaux menés sur la mémoire de travail, cette perspective conduit à poser
que les enseignements dits efficaces sont ceux qui s’appuient sur un processus
d’élémentation des savoirs et des apprentissages et ce, afin d’éviter la surcharge
cognitive (Gauthier, Bissonnette et Richard, 2013).
Cela s’inscrit d’ailleurs en ligne directe avec une vision également très
présente en éducation au sujet du développement des compétences, à savoir que
celles-ci, pour être maîtrisées, doivent dans un premier temps être
«décomposées» de manière à ce que le travail d’«exercisation» porte d’abord sur
certaines composantes moins complexes, pour ensuite être combinées dans
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
305
l’action (Scallon, 2004). Ainsi, le travail sur les compétences lui-même s’inscrit
dans une logique selon laquelle elles se développent d’abord de manière
davantage composite, par la pratique de ses composantes, parfois isolément, en
vue d’aller du plus simple vers le plus complexe, voire en travaillant sur
l’acquisition d’automatismes. De sorte que l’élève en viendrait, par addition et
selon des phases progressives, à maîtriser toujours de plus en plus une
compétence, de manière à ce qu’il soit éventuellement en mesure de la mobiliser
adéquatement en situation dite complexe.
Le lecteur avisé sera sans doute étonné de remarquer ce passage, entre le
dépôt initial du PFEQ et son articulation, d’une posture à tendance
socioconstructiviste vers une autre, plus résolument cognitiviste, ce qu’il pourrait
considérer comme une tension, voire une contradiction. Plusieurs raisons
expliquent ce mouvement, qu’elles soient d’ordre dagogique, didactique,
pratique, paradigmatique voire politique, des raisons que nous n’avons
malheureusement pas le loisir d’étayer dans le cadre du présent article. Notons
tout de même qu’au fil du temps, certains éléments ont été modifiés de façon
substantielle, alors que d’autres, malgré les variations paradigmatiques, sont
demeurés. C’est le cas notamment de la notion de compétences transversales qui
a été, à toutes fins utiles, rayée du programme. Certaines de ces compétences
sont tout de même demeurées inscrites au rayon des compétences à développer,
dont «exercer son jugement critique», «se donner des méthodes de travail
efficaces» et «communiquer de façon appropriée». Seulement, ces compétences
ont été reconduites à l’intérieur des domaines d’apprentissage. En outre, la
compétence «pratiquer le dialogue», figurant à l’origine comme une compétence
distincte parmi les trois inscrites au programme d’ÉCR, est désormais «intégrée»
aux deux autres, si bien qu’elle n’est plus évaluée «en elle-même». Par contre,
cette volonté claire d’inscrire les apprentissages à l’intérieur de dynamiques de
coélaboration et de coconstruction est demeurée au cœur des programmes.
Seulement, elle ne sont désormais plus perçues comme devant nécessairement
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
306
prendre forme à l’intérieur de stratégies inspirées des pédagogies dites de la
«découverte».
1.3 Quels points de convergence et de divergence entre les programmes de
formation et la PPE
Bien entendu, le portrait que nous venons de dessiner des programmes de
formation initiale et des paradigmes sur lesquels ils s’appuient demeure trop
grossier. Un tel exercice demanderait davantage de nuances et de raffinement,
notamment en regard des récents développements dans le champ de la
psychologie cognitive et de la neurodidactique. Seulement, pour les fins de notre
étude, il apparaît que les esquisses que nous venons de présenter suffisent à
mettre en scène la problématique qui se pose eu égard aux enjeux de la formation
initiale dans une perspective d’implantation de la PPE en classe. En effet, à la
lumière de ce que nous venons d’exposer, il est possible de voir que la PPE
comprend des points de convergence avec les programmes étudiés. C’est le cas
notamment, concernant le PFEQ, de tout ce qui concerne les «compétences
transversales», les domaines généraux de formation, les interactions sociales
ainsi que les compétences «réfléchir sur des questions éthique» et «pratiquer le
dialogue» inscrites au programme d’ÉCR. Concernant cette dernière compétence
d’ailleurs, les arrimages avec la PPE sont extrêmement intéressants puisque dans
les deux cas une attention toute particulière est accordée à la formation de la
pensée. En ce sens, nous pourrions supposer que si les futurs enseignants du
primaire sont formés adéquatement à engager les élèves dans des pratiques
dialogiques en ÉCR, ils développeront par là même des compétences utiles à
l’animation de CRP, d’autant que la recherche éthique représente une sous-
discipline de la philosophie.
Par contre, il existe tout autant de points de divergence entre la PPE et les
programmes de formation. Mentionnons, entre autres, l’attention constante
dirigée vers l’acquisition de connaissances déclaratives (que ce soit dans le PFEQ
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
307
ou dans le référentiel des compétences professionnelles), l’exigence d’évaluation
des apprentissage (de plus en plus dirigée vers les connaissances déclaratives,
comme en témoignent les différentes échelles de progression des apprentissages
diffusées par le Ministère depuis 2010), la «décomposition» ou le «morcellement»
des compétences en unités simples ainsi que les modèles de planification
généralement utilisés. Si bien qu’au final, compte tenu de ces points de
convergence et de divergence, il devient difficile d’estimer si et comment la
formation initiale dont bénéficient les futurs enseignants les prépare bel et bien à
animer des CRP et/ou à s’en approprier les dispositifs pédagogiques.
Afin d’alimenter nos réflexions à ce sujet, nous avons mené une étude
exploratoire autour de la question de recherche suivante : De quelles manières des
étudiants en enseignement ayant été formés à la PPE lors de leur quatrième année de
baccalauréat intègrent-ils la CRP en contexte de stage. Par une telle étude, notre
équipe souhaitait mieux comprendre les pratiques des stagiaires et, du coup,
alimenter ses réflexions en matière de formation initiale, plus particulièrement en
ce qui a trait à la formation ainsi qu’à l’implantation de la PPE en classe.
Précisons donc les modalités de cette étude, ce qui nous permettra de présenter
les modes de collecte et d’analyse des données de même que d’exposer les
principaux résultats obtenus par l’équipe.
2.1 Principales modalités et échantillonnage
Dans le cadre de cette étude exploratoire, nous avons travaillé avec dix
étudiants en enseignement. Ces étudiants étaient des participants volontaires,
déjà intéressés en quelque sorte à la question de la pratique de la philosophie
avec les enfants. Leur participation au projet a eu lieu lors du dernier stage prévu
au programme de formation (stage IV), un stage d’une durée de douze semaines
dans lequel ils s’engageaient à animer régulièrement des CRP. Il est à noter que
cette participation s’inscrivait à l’intérieur d’un projet plus large mené par
l’équipe sur la formation initiale en milieu à risque. Les étudiants devaient donc
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
308
effectuer leur stage dans une école située en milieu rural et accueillant une forte
propension d’élèves issus d’un milieu considéré à risque. Dans ce cadre, les
stagiaires ont reçu différentes formations complémentaires sur ce type de milieux
(p. Ex. Projets avec réalisations concrètes et à court terme) et sur les enjeux qu’ils
présentent pour l’enseignement. Ils devaient également mettre en place un projet
de collaboration école-famille, puisque ce type de projet est reconnu comme
favorisant la réussite scolaire des élèves issus des milieux à risque (Deslandes,
2001, 2004; Henderson & Mapp, 2002; Larivée, 2008; Terrisse, Larivée, & Blain,
2008). Dans le cas qui nous occupe, les stagiaires devaient tenter d’articuler leur
projet de collaboration autour de la PPE. Voici un aperçu des niveaux
d’enseignement dans lesquels ils œuvraient.
Niveau d’enseignement
Nombre de stagiaires
Préscolaire (4 – 5 ans)
1
Maternelle 5 ans
2
1ière et 2e années
3
3e et 4e années
2
4e année
1
3e, 4e et 5e années
1
Tableau 1 : Répartition des stagiaires selon le niveau d’enseignement
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
309
En amont de leur stage (c.-à-d. Lors de la session d’automne), chaque
participant était inscrit au cours Apprentissage scolaire et philosophie pour enfants
(UQAC). À l’intérieur de ce cours de 45 heures, les étudiants ont été initiés à
l’animation d’une CRP avec les enfants (enjeux, interventions, déroulement,
habiletés de pensée, etc.), ils ont été mis en contact avec les types d’échanges
développés par Daniel et al. (2004), les différents types de rapports aux savoirs
(Gagnon, 2011b), de même qu’à la pensée critique (Gagnon, 2011c). Ces éléments
devaient servir de point d’ancrage à leur lecture du rôle de la PPE en classe lors
de leur stage, une lecture qui devait être présentée à l’intérieur d’un rapport
écrit. Ce dernier point nous conduit aux modes de collectes ainsi qu’aux types de
données recueillies. Examinons donc de plus près ce qu’il en est, ce qui, du coup,
nous permettra de préciser notre méthode d’analyse.
2.2 Modes de collectes, nature des données recueillies et méthodes d’analyse
Comme nous le disions plus tôt, dans le cadre de leur stage IV, les
étudiants participant à l’étude s’étaient engagés à mettre en place un projet de
philosophie pour enfants en communauté de recherche, un projet sur la base
duquel ils devaient produire un rapport de stage. Ce rapport constitue notre
première source d’information. À l’intérieur de celui-ci, les étudiants devaient
indiquer le matériel utilisé et les activités menées, esquisser les principaux
aspects de leur préparation et porter un regard évaluatif sur la démarche. Sur ce
dernier point, les stagiaires étaient libres d’adopter la perspective de leur choix,
ce qui, par même, permettait à l’équipe de porter un regard sur les manières
dont les participants comprennent et analysent les processus de réflexions
philosophiques chez les enfants.
Au terme de leur expérimentation, les stagiaires ont donc déposé un
rapport d’une dizaine de pages. Ce rapport a été analysé dans une perspective
qualitative/interprétative (Karsenti & Savoie-Zajc, 2004; van der Maren, 2003)
selon une approche par catégorisation mixte (L’Écuyer, 1990). Pour ce faire, les
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
310
informations contenues dans les rapports ont été découpées en unités de sens qui
ont été regroupées et classées soit selon les catégories prédéterminées (p. Ex.
Déroulement, apprentissages) soit, lorsque cela n’était pas possible, selon des
catégories émergentes. Ce travail a été effectué par deux assistants formés par
l’équipe. Chacun d’eux a d’abord entrepris de classifier et de catégoriser (le cas
échéant) les unités de sens à partir de cinq rapports. Par la suite, ils ont procédé à
une comparaison ainsi qu’à une stabilisation des catégories ayant émergé de leur
analyse, ce qui leur permit de traiter l’ensemble du corpus. Finalement, une
vérification intercodeurs a été menée, ce qui a permis d’assurer une régularité
dans le traitement des données. L’ensemble de ce travail a été supervisé et
contre-vérifié par le professeur responsable. Au final, les données ont été
organisées en fonction de trois catégories principales d’analyse : 1) mise en place
et déroulement des CRP (moyens utilisés; mode explicatif; activités
préparatoires; gestion de classe); 2) apprentissages (cognitif; social et affectif;
transfert); 3) collaboration école-famille.
Dans un second temps, c’est-à-dire après leur stage, les dix participants
(divisés en deux sous-groupes de cinq) ont été conviés à un entretien semi-dirigé,
d’une durée d’une heure trente, lors duquel ils furent questionnés, notamment,
sur leur projet de PPE. Ces entretiens ont également été soumis, toujours à
l’intérieur d’une posture d’analyse de type qualitatif/interprétatif, à un
processus de catégorisation mixte, lequel a permis d’identifier une nouvelle
catégorie d’analyse, à savoir les apports du cours universitaire de PPE sur leur
formation initiale. Dans l’ensemble, le mode de traitement des données ainsi que
les processus de contre-vérification déployés relevaient d’une démarche similaire
à celle mise en œuvre lors du traitement des rapports. Les données ainsi
recueillies ont permis, en regard de cet aspect, d’articuler une compréhension
plus fine des informations obtenues par le biais des rapports.
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
311
À l’intérieur du présent texte, les résultats obtenus par le biais de l’analyse
de ces deux corpus seront traités de manière conjointe en fonction des catégories
d’analyses utilisées.
3. Présentation des résultats
3.1 Mise en place et déroulement des CRP
3.1.1 Préparer d’abord, philosopher ensuite!
Des dix stagiaires participant au projet, sept ne se sont pas lancés dans
l’animation de CRP sans avoir, au préalable, mené des activités préparatoires.
Notons tout de même que la majorité d’entre eux enseignaient soit au
préscolaire, soit en maternelle, soit au premier cycle. Ces activités prenaient
diverses formes et poursuivaient différentes visées; par exemple, l’activité du
téléphone pour démontrer l’importance de l’écoute, ou encore celle du «sac à
surprise» afin de développer les capacités des élèves à questionner ainsi que de
«faire valoir l’efficacité des questions ouvertes» (stagiaires 2, 3, 4 et 6). Dans
certains cas, ces activités ont meublé l’espace accordé aux CRP de telle sorte que
les stagiaires ne parvinrent à animer que deux ou quatre discussions
philosophiques dans l’ensemble de leur stage de douze semaines.
Toujours dans cette foulée d’une phase préparatoire aux CRP, il ressort
assez clairement des rapports et des entretiens une prédominance du mode
explicatif. En effet, tous les stagiaires indiquent avoir mis en place et présenté la
CRP par le recours à des explications. En ce sens, la plupart ont pris soin de
définir le terme «philosophie», de clarifier la différence entre une question et une
affirmation ainsi qu’entre une «bonne» et une «mauvaise» question, et de
présenter les attitudes et les comportements que les élèves devaient adopter
(écouter les autres, lever la main, attendre son tour, etc.). Le mode explicatif n’est
d’ailleurs pas étranger aux activités préparatoires puisque celles-ci, pour
l’essentiel, visaient à «faire comprendre» des éléments assez spécifiques liés à la
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
312
pratique de la philosophie en communauté de recherche, sans pour autant
constituer une pratique philosophique proprement dite. À cet égard, il est
intéressant de relever qu’aucun stagiaire n’a indiqué, tant à l’intérieur de son
rapport que lors de l’entretien, avoir pris soin de discuter avec les élèves de ces
règles de conduites à adopter, ou encore, comme ce qui est généralement suggéré
en PPE, avoir tenté d’établir ces règles avec les élèves, par le recours à une
réflexion commune. Tous ceux faisant référence aux modalités d’intégration de
ces règles soulignent l’avoir fait par voie explicative. Il ressort donc, de manière
générale, un modèle de type «top-down» dans les stratégies déployées afin de
mettre en place les différentes règles de fonctionnement de la CRP.
Notons à cet égard que l’entretien nous renseigne davantage sur la
perception qu’ont les étudiants quant à ces activités préparatoires. En effet, nos
analyses révèlent que certains d’entre eux (5/9) émettent des doutes quant à
leurs apports dans le développement des capacités des élèves de même que dans
leur appropriation des règles de conduites à adopter dans le cadre des CRP.
Seulement, les explications fournies par les participants divergent : certains
croient qu’ils n’en ont pas fait suffisamment pour qu’elles aient un impact réel,
alors que d’autres considèrent qu’il aurait peut-être été préférable de s’engager
plus rapidement dans les discussions…
3.1.2 Moyens utilisés : points de départ
Dans l’ensemble, les moyens utilisés comme point de départ aux CRP
furent assez variés : Contes d’Audrey-Anne, PhiloZenfants, questions
prédéterminées, journal philosophique, L’hôpital des poupées, Pixie, Mischa,
affiches «oui»/«non», littérature jeunesse, Philo-fables, tableau blanc interactif,
faits vécus. L’analyse des rapports montre cependant que 50% des stagiaires ont
utilisé les Contes d’Audrey-Anne (M.-F. Daniel, 2009) afin de mettre en route les
CRP, ce qui s’explique pour une large part par le fait que la moitié des stagiaires
avait la responsabilité d’une classe de préscolaire ou de premier cycle. Les
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
313
rapports indiquent également que la moitié de ces stagiaires ont eu aussi recours
à des questions prédéterminées afin de lancer les discussions. Dans cette lignée,
un regard plus ciblé permet de voir que tous les étudiants ayant eu recours à des
questions prédéterminées pour démarrer les CRP avaient d’abord débuté leur
processus d’implantation avec l’utilisation de matériel philosophique. C’est donc
dire qu’après un certain temps, tous ont mis de côté le matériel plus proprement
destiné à la PPE. Quelques rapports expliquent ce choix par les difficultés en
lecture éprouvées par certains élèves lesquelles sont généralement plus
grandes auprès des élèves issus de milieux défavorisés —, alors que les autres ne
contiennent aucune explication ou justification à cet égard.
L’entretien fournit cependant quelques précisions sur ce processus repéré
à l’intérieur des rapports. En effet, un étudiant ayant réalisé son stage en
maternelle nous a indiqué avoir eu des doutes quant au fait que les textes
utilisés, en l’occurrence l’Hôpital des poupées ainsi que les Contes d’Audrey-Anne,
étaient adaptés pour ses élèves, un questionnement qui fut partagé, selon ses
dires, par son superviseur de stage. Ils trouvèrent les histoires
vraisemblablement trop complexes pour leurs élèves, ce qui n’est
vraisemblablement pas sans lien avec le manque de stimulation en littératie en
milieu à risque. À cet égard, il souligne que le recours à une question
prédéterminée s’est avéré être la stratégie la plus efficace pour engager les
enfants dans un processus de discussion, car cette stratégie lui semble plus claire
pour eux. De surcroît, ce participant indique que les questions engageant
davantage l’expérience personnelle des élèves étaient celles qui avaient le plus
d’impact sur leur niveau de participation. L’étudiant demeure conscient que
selon certains modèles, ce retour à l’expérience personnelle n’est pas considéré
souhaitable en PPE. Seulement, il explique ce choix et l’efficacité qu’il a observée
de cette stratégie par l’hypothèse que le recours à ce type de questions, centrées
sur les élèves, sied peut-être davantage aux cultures de l’instant présent et de
l’environnement immédiat, associées au MR. Cela pourrait également être lié au
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
314
fait que d’ordinaire, ces histoires ne prennent pas appui sur la réalité de ces
milieux, notamment ruraux.
3.1.3 Gestion du droit de parole
Les données obtenues par le biais des rapports montrent une
préoccupation marquée pour la gestion des échanges, principalement en ce qui a
trait à la prise de parole et aux règles à respecter afin de favoriser un dialogue entre
les élèves. Nous avons vu qu’afin de mettre en place les différentes règles à
respecter, tous les stagiaires ont eu recours à des explications selon une approche
de type «top-down». Quant à la gestion du droit de parole, celle-ci a souvent été
réalisée par l’utilisation d’un artéfact (p. Ex. Bâton de la parole). En ce sens, nos
analyses indiquent que ce sont généralement les stagiaires travaillant avec des
élèves plus jeunes (1er cycle) qui y ont eu recours. Par ailleurs, elles indiquent
également que ceux et celles ayant utilisé un tel artéfact font beaucoup moins
mention que les autres stagiaires de difficultés rencontrées quant à la gestion des
tours de parole. C’est comme si l’artéfact constituait un élément facilitateur, mais
qu’il n’était considéré que comme un outil convenant aux enfants plus jeunes.
3.2 Apprentissages perçus…
Les rapports ainsi que les entretiens contiennent des informations
intéressantes à l’égard des conceptions que les stagiaires ont quant aux
apprentissages effectués (ou non) par les élèves lors des CRP. Afin d’articuler
leur présentation, nous avons divisé, à la lumière des données disponibles, la
catégorie «apprentissages» en trois sous-catégories, à savoir : 1) cognitif; 2) social
et affectif; 3) transfert. Mais avant d’exposer les données associées à chacune de
ces sous-catégories, nous aimerions relever que les propos tenus lors de
l’entretien témoignent du fait que la plupart des participants se disent déçus des
apprentissages que les élèves auraient effectués dans le cadre des CRP. De fait, il
ressort de l’analyse que bon nombre s’attendait à plus de résultats, et ce, en
moins de temps… Notons à cet égard que les participants n’avaient comme
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
315
comparatif, pour l’essentiel, que l’expérience de CRP entre étudiants
universitaires lors du cours, les échanges gagnaient en complexité
rapidement. Certains soutiennent néanmoins que cette approche permet aux
élèves de se donner une structure pour communiquer, écouter et apprendre à
réfléchir, ce à quoi ils ne sont pas souvent invités en classe. En ce sens, ils sont
d’avis que les apprentissages en CRP doivent être envisagés selon une
perspective à long terme.
3.2.1 Développement cognitif des élèves en CRP
En ce qui a trait au développement cognitif, notons d’abord que cinq
stagiaires, parmi lesquels se retrouvent tous ceux enseignant à la maternelle,
soutiennent que les échanges étaient principalement de type anecdotique, en ce
sens ils sont demeurés centrés sur les expériences personnelles des élèves et
que les interventions étaient rarement reliées à celles des autres. Cette perception
n’est peut-être pas étrangère à l’une des principales stratégies utilisées par les
stagiaires œuvrant en maternelle, à savoir le recours à des questions
prédéterminées se rapportant notamment aux expériences personnelles des
enfants. Notons également que parmi ces stagiaires, deux sont d’avis que les
élèves sont incapables de fournir des raisons.
Par ailleurs, trois autres stagiaires disent observer que les élèves formulent
des hypothèses et fournissent des exemples, mais que ces habiletés ne servent
pas toujours de support à la discussion. Néanmoins, parmi ces trois stagiaires,
deux d’entre eux affirment que les élèves sont parfois capables de fournir des
raisons. Notons finalement qu’un seul stagiaire, de deuxième cycle (3e et 4e
années) et n’ayant pas réalisé d’activités préparatoires, indique que les élèves
parviennent à réfuter certaines idées émises par les autres, qu’ils s’appuient sur
des critères et qu’ils ont amélioré leur capacité à réfléchir, à raisonner et à
dialoguer.
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
316
Lors des entretiens, deux stagiaires (3e et 4e années) ont néanmoins
indiqué que la CRP avait aidé les élèves à se défaire de la culture scolaire avec
laquelle ils sont généralement en contact, c’est-à-dire d’une culture de la
question-réponse-attendue. Selon eux, les élèves éprouvaient beaucoup de
difficultés, au départ, à répondre à la question «pourquoi», donc à justifier leurs
opinions. Seulement, toujours selon eux, plus les élèves gagnaient en pratiques
philosophiques, plus ils devenaient autonomes face au questionnement, ce qui
les aidait à progresser davantage dans la discussion par eux-mêmes. Par contre,
il convient de souligner d’une part que très peu de stagiaires partageaient cet
avis et d’autre part, que ces derniers enseignaient à des élèves de deuxième cycle
et non à des élèves de la maternelle ou de première année.
3.2.2 Développement social et affectif
Au plan des apprentissages socio-affectifs, bien que les rapports
contiennent peu d’information, il a été possible de relever qu’aux yeux de deux
stagiaires, les élèves n’ont que très peu progressé quant au comportement à
adopter en CRP, et ce, malgré que leur participation ait été jugée bonne. Le seul
stagiaire ayant mentionné que les élèves de sa classe éprouvaient de la difficulté
à échanger lorsque leurs points de vue différaient de ceux des autres enseignait à
des élèves du troisième cycle (5e et 6e années). Notons par contre que deux
stagiaires disent avoir remarqué que les élèves ont amélioré leur capacité
d’écoute, alors qu’un autre souligne que son groupe a éprouvé une certaine fierté
à faire de la philo — ce qui tend à appuyer les hypothèses selon lesquelles la PPE
contribue à améliorer le rapport des enfants face à l’école. Ces stagiaires ont
mentionné ces observations à la fois à l’intérieur de leur rapport et lors des
entretiens.
3.2.3 Transfert
Cinq stagiaires ont relevé, à l’intérieur de leur rapport, des éléments
touchant le transfert des apprentissages effectués en CRP. Parmi ces cinq, un
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
317
d’entre eux affirme n’avoir remarqué aucun transfert, alors que les quatre autres
disent avoir repéré que des élèves utilisaient certains acquis lors de différentes
situations de la vie scolaire, principalement en ce qui a trait à leurs capacités à se
centrer sur eux-mêmes et à se calmer. D’ailleurs, certains stagiaires affirment voir
en la CRP un excellent potentiel eu égard au développement d’habiletés à gérer
des conflits. À ce sujet, notons que lors de l’entretien, ce stagiaire dit avoir relevé
que plus les élèves gagnaient en expériences philosophiques, moins les conseils
de coopération étaient menés autour de conflits et d’attaques personnelles. Bien
qu’il se garde de poser une relation causale entre les deux phénomènes, il
remarque une corrélation et émet l’hypothèse que les CRP ont peut-être
contribué à fournir aux enfants des outils leur permettant d’exprimer leurs
points de vue dans la non violence.
Dans l’ensemble, il ressort que les transferts observés se rapportent
davantage à des situations de la vie courante qu’à diverses matières scolaires
inscrites au programme ou activités académiques proprement dites. Cette
donnée va tout à fait dans le sens de celles relevées lors d’études antérieures
autour de questions similaires (Gagnon, Couture, & Yergeau, 2011; Gagnon,
2008).
3.3 Relation école-famille
Rappelons d’entrée de jeu que la présence de cette catégorie est
proprement contextuelle dans la mesure elle relève du fait que les activités
des stagiaires impliqués dans l’étude s’inscrivaient en bonne partie à l’intérieur
d’un des projets de collaboration école-famille menés par l’équipe. Partant, les
stagiaires ayant choisi d’expérimenter la PPE avaient été mis au défi de mettre en
place des stratégies permettant de joindre, autant que faire se peut, la pratique
du dialogue philosophique et la collaboration école-famille. Des éléments sont
donc ressortis à cet égard.
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
318
Les données obtenues font rapidement voir que les initiatives visant à
structurer une collaboration école-famille à partir de la PPE furent somme toute
peu nombreuses, quatre stagiaires seulement ayant proposé quelque chose en ce
sens. Certains expliquent cette absence par un manque de temps, alors que
d’autres soulèvent qu’il n’est pas simple, dans ce contexte, de trouver des
avenues permettant ce type de collaboration. À cet égard, les initiatives
présentées se rapportent principalement à deux types de collaboration (selon la
typologie d’Epstein, 2001), à savoir la communication et l’apprentissage à
domicile. En effet, afin de tisser un lien entre la PPE et la famille, les quatre
stagiaires ont informé par écrit les parents du fait que leur enfant participerait à
des CRP en classe. Par ailleurs, trois d’entre eux ont tenté, par le recours à un
journal philosophique, d’impliquer les parents en les invitant à poursuivre à la
maison la discussion menée en CRP. Seulement, à la lumière des données
obtenues — la plupart des stagiaires n’ayant pas assuré un suivi auprès des
élèves et des parents —, il n’est malheureusement pas possible de savoir si et
comment ces échanges ont eu lieu.
3.4 Impacts de la PPE sur la formation initiale à l’enseignement
Lorsqu’ils ont été questionnés sur les apports de la CRP, bon nombre des
réponses fournies par les étudiants portaient sur le fait que le cours de PPE suivi
sur le campus les a aidés à être en mesure de mieux suivre et alimenter les
raisonnements des élèves, sans nécessairement leur donner des réponses — ce
qu’ils considèrent comme une propension forte chez les enseignants. Ils diront
également que les CRP vécues à l’université leur ont permis de développer
davantage leur pensée critique et de resserrer les liens qu’ils avaient avec leurs
collègues en leur donnant des outils pour approfondir leurs discussions et
trouver des solutions. À leurs yeux, il s’agit d’apports importants à leur
formation, bien davantage, selon quelques-uns, que certains des apprentissages
effectués dans le cadre d’autres cours obligatoires inscrits au programme.
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
319
4. Limites de la recherche et discussion des résultats
Dans la mesure cette étude est de nature exploratoire, elle comprend
nécessairement quelques limites qui imposent une certaine prudence quant à
l’interprétation des résultats. Entre autres limites, notons l’absence
d’accompagnement et d’observation en classe qui, combinée au fait que les
stagiaires n’étaient pas invités comme tel à effectuer des analyses du discours à
partir d’une grille commune, implique que nous avons composer
essentiellement avec leurs perceptions. Or, ces perceptions demeurent liées à la
compréhension qu’ils ont de la CRP, laquelle n’a pris forme que lors de leur
dernière année de formation, la session précédant leur stage IV. Ainsi, nous ne
pouvons nous prononcer sur les apprentissages effectués ou non par les enfants.
Tout au plus, nous avons accès aux démarches d’implantation mises de l’avant
par les stagiaires (volet descriptif du rapport) ainsi qu’aux manières dont ils
conçoivent la PPE dans un contexte de stages (volet évaluatif). Ces données
demeurent néanmoins intéressantes dans la mesure elles peuvent nous
permettre d’avoir une meilleure idée des façons de faire et de voir des étudiants
en enseignement, et, du coup, d’alimenter les réflexions eu égard à des initiatives
de ce type dans le cadre de la formation initiale en enseignement.
À ce sujet, les données recueillies font ressortir différentes tendances, dont
il pourrait être opportun de discuter. Parmi ces tendances, il nous est apparu que
les activités préparatoires semblent avoir occupé beaucoup de temps chez bon
nombre de stagiaires. De plus, les données indiquent que les stagiaires ayant eu
recours à ce type d’activités sont ceux qui relèvent le moins d’apprentissages
chez les élèves; ils sont également ceux qui partagent le sentiment que les
échanges sont demeurés au stade anecdotique et que les élèves persistent à avoir
de la difficulté à justifier leurs points de vue. Ainsi, se pose la question de savoir
si et dans quelle mesure ces éléments peuvent être reliés entre eux, ce qui, par
même, nous permettrait de déterminer plus avant quels sont les apports de ces
activités préparatoires pour les CRP ainsi que les apports de l’un et de l’autre
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
320
dans les apprentissages des élèves. Tout cela afin de poser les bases à une
réflexion visant à préciser le dosage de telles activités dans une perspective
d’implantation.
Bien plus, par un acte de subsomption, ces données touchant l’utilisation
marquée d’activités préparatoires nous conduisent à soulever des interrogations
quant aux modèles d’enseignement et d’apprentissage partagés par les étudiants
au crépuscule de leur formation initiale. Cette orientation vers les modèles
implicites ne s’appuie cependant pas uniquement sur le recours aux activités
préparatoires, mais également, de manière concomitante, sur une propension
évidente chez les stagiaires à recourir au mode explicatif, ceux-ci ressentant le
besoin de clarifier et d’expliciter en amont la démarche qui sera vécue par les
élèves ainsi qu’à établir eux-mêmes les règles de conduite à respecter afin
d’assurer la bonne marche des CRP. Partant, il semble ressortir une tendance
assez lourde à recourir à un modèle de type «top-down» visant à préparer
d’abord les élèves, selon une logique que nous pourrions qualifier «d’un
préalable à l’autre», plutôt que de les inviter à se plonger dans une CRP et à la
comprendre en l’expérimentant. Dit autrement, les données recueillies, avec les
limites qu’elles contiennent, nous ont conduits à identifier des caractéristiques
relevant bien davantage d’un modèle de type cognitiviste (Tardif, 1992) que de
type pragmatiste (Dewey, 1933), en témoigne le fait qu’aucun stagiaire n’a pris
soin d’établir avec les élèves (notamment sur la base des expériences vécues en
CRP) les règles de conduites, alors qu’il s’agit pourtant d’une pratique courante
en PPE. Certains des propos tenus par les participants lors des entretiens
trahissent également la présence implicite de ce type de modèle, notamment
lorsqu’ils décrivent leurs stratégies par les recours à des concepts tels que
«pratiques guidées» et «pratiques autonomes». Il demeure néanmoins possible
de risquer quelques hypothèses explicatives en regard de cette situation, entre
autres le fait que les modèles inspirés du learning by doing ne sont que peu
privilégiés dans le cadre de la formation initiale, du moins les modèles dont les
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
321
apprentissages s’appuient d’abord et avant tout sur l’expérience et sur la prise en
charge de la complexité, des modèles qui sont plus près, à nos yeux, de celui
promu en PPE. De fait, la plupart des modèles de planification (du moins dans
notre université) situent l’expérience de la complexité après différentes phases
visant à clarifier, à expliquer, à modéliser et à expérimenter par tranches diverses
composantes associées à une situation, ce qui s’inscrit davantage dans l’ordre
d’un enseignement de type stratégique ou encore «rationaliste», au sens de
l’élémentation et de la décomposition d’un problème complexe en une série de
problèmes simples. Cette propension témoigne également d’une vision du
développement des compétences selon laquelle c’est notamment par la maîtrise
isolée de certaines compétences (ou habiletés) que l’élève développera
progressivement leurs composantes. Ce développement est considéré préalable à
une mobilisation et une combinaison de ressources en situations-problèmes-
complexes. Pour peu qu’elle soit viable, une hypothèse de cette nature soulève
des interrogations quant à la formation initiale offerte aux étudiants en
enseignement et sur les conceptions dominantes qu’ils partagent eu égard aux
différentes théories de l’apprentissage. Elles permettent de voir également que
leur formation initiale non seulement ne les prépare pas adéquatement à animer
des dialogues philosophiques notamment dans un contexte de MR —, mais
également et surtout que les modèles privilégiés sont résistants car même avec
une formation de 45 heures en PPE, ceux-ci demeurent bien vivants dans leur
mise en place des CRP.
Un autre élément nous semble contribuer à interroger la formation initiale,
à savoir les critères pris en compte par les stagiaires afin de porter un regard
évaluatif sur leur expérimentation de la PPE. En effet, hormis cinq rapports où il
est brièvement fait allusion aux habiletés des élèves à formuler des hypothèses, à
donner des raisons ou à fournir des exemples, l’essentiel de l’attention était
dirigé vers les habiletés sociales en proportion, très peu de réflexions ont été
menées au sujet des habiletés de pensée. L’analyse des dix rapports confirme
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
322
qu’il y a un contraste marqué entre le regard porté sur les habiletés sociales et
celui porté sur les habiletés intellectuelles. Il ne serait donc pas déraisonnable de
supposer que ces éléments ne font que peu partie de la «grille d’analyse» des
finissants, et que s’il en est ainsi, la formation initiale gagnerait à y jouer un rôle
plus déterminant. De fait, si les habiletés intellectuelles ne figurent pas (ou peu)
au palmarès des critères d’observation des enseignants, ces derniers risquent de
ne pas contribuer à leur développement chez les élèves. En ce sens, il pourrait
être précieux de se demander dans quelle mesure les programmes de formation
initiale en enseignement ne gagneraient pas à manifester un souci constant, qu’il
soit spécifique ou transversal, pour le développement de la pensée des élèves. Il
pourrait être intéressant également d’examiner dans quelle mesure la PPE
pourrait contribuer à la poursuite de cette visée. Considérant ce qui a été dit par
les participants touchant les apports de leur cours de PPE sur leur formation
universitaire, il pourrait être intéressant de se demander dans quelle mesure il ne
serait pas souhaitable non seulement qu’un tel cours intervienne plus tôt dans
leur formation, mais également dans quelle mesure il pourrait être pertinent d’en
faire un élément obligatoire dans la formation des étudiants et ce, afin qu’ils
puissent y référer dans le cadre de différentes didactiques avec lesquelles ils
devront composer.
Il nous apparaît également que lors d’expérimentation en stage, l’ajout
d’accompagnements réflexifs permettrait de raffiner le regard des étudiants. Ces
accompagnements contribueraient à enrichir leur «grille d’analyse» et de
comprendre en contexte les mouvements de pensée mis en œuvre par les enfants.
À cet égard, notons que lors des entretiens, deux tendances ont été décrites.
D’abord, un contexte de stage dans lequel le titulaire de la classe connaissait la
PPE et partageait l’idée que celle-ci pouvait être bénéfique pour les élèves en
matière de formation sociale et intellectuelle. Ensuite, un contexte dans lequel le
titulaire ne connaissait pas la PPE ou ne partageait pas nécessairement l’idée que
celle-ci puisse contribuer de manière positive à la formation des enfants. Dans le
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
323
premier cas, les étudiants ont clairement indiqué qu’il s’agissait d’un élément
facilitateur qui a contribué à faire de la CRP une composante de la culture de la
classe. Dans le second, les propos vont plutôt dans le sens d’un frein se
traduisant, dans certaines situations, par le retrait pur et simple des ateliers de
philosophie. Cette situation met en scène au moins deux enjeux, à savoir celui de
la formation des enseignants associés à la pratique de la philosophie en
communauté de recherche afin de soutenir leur stagiaire, ainsi que celui de leur
perception quant à l’importance d’œuvrer au développement d’habiletés
intellectuelles et sociales des enfants. L’enjeu de la formation en est un
pratiquement de surface, puisqu’il relève de décisions institutionnelles et
pourrait être résolu assez simplement, dans la mesure la volonté des
directeurs de programmes s’y prête! L’enjeu de la perception quant à
l’importance de développer les habiletés intellectuelles et sociales des élèves par
la pratique du dialogue philosophique nous apparaît plus fondamental, en tant
qu’il relève également d’une culture pédagogique plus profondément ancrée
dans les mœurs des acteurs de la formation à l’enseignement et, par voie de
conséquence, des enseignants eux-mêmes. En ce sens, nous croyons qu’une
réflexion de fond gagnerait à être menée concernant la place de ce type de
formation dans les programmes, une réflexion qui ne pourra faire l’économie de
considérations liées aux fondements théoriques et philosophiques de l’éducation,
de même que d’un regard renouvelé sur la diversité des modèles de
développement de l’«intelligence».
5. Quelles perspectives?
Compte tenu des limites inhérentes à notre étude et de son caractère
exploratoire, il demeure des «taches noires» sur lesquelles il nous semble
opportun de diriger notre attention dans la poursuite de nos travaux. En ce sens,
nous souhaitons examiner plus systématiquement l’incidence des activités
préparatoires en relation avec les apprentissages effectués par des élèves
participant à davantage de CRP. Nous souhaitons également observer la pratique
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
324
de la PPE dans un milieu plus favorisé afin de comparer les interventions des
stagiaires. Il pourrait aussi être intéressant de procéder à des analyses
comparatives entre des données obtenues par le biais de rapports de stages et de
l’entretien, et celles issues d’observations non participantes ainsi que d’entretiens
d’explicitation. Une étude de cet ordre nous permettrait d’examiner plus avant
les conceptions des stagiaires quant aux habiletés intellectuelles développées.
Dans la même veine, nous aimerions mener des recherches plus approfondies
sur les incidences des cours de PPE dans la formation initiale en enseignement,
notamment lorsque ceux-ci sont offerts en début de parcours, ainsi que de cours
centrés sur la formation de la pensée des élèves.
Enviado em: 01/10/2012
Aprovado em: 08/12/2012
mathieu gagnon; nicole tremblay; catherine dumoulin;
pier-charles boily; étienne bouchard
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez. 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
325
RÉFÉRENCES
Azais, M., Connac, S., Lombard, C., Leon, C., Rongier, M., & Salze, C. (2003). Des
moments à visée philosophique avec des enfants en ZEP. France: Académie de
Montpellier.
Baxter Magolda, M. (2002). Epistemological reflection: The evolution of
epistemological assumptions from age 18 to 30. In B. K. Hofer & P. E. Pintrich
(Eds.), Personal epistemology: The psychology of beliefs about knowledge and
knowing (pp. 89 – 102). Mahwah, NJ: Lawrence.
Bissonnette, R., Richard, M., & Gauthier, C. (2005). Échec scolaire et réforme
éducative. Québec: Presses de l'Université Laval.
Daniel, M.-F. (2009). Les contes d’Audrey-Anne. Québec: Cornac.
Daniel, M.-F., Splitter, L., Slade, C., Lafortune, L., Pallascio, R., & Mongeau, P.
(2004). Dialogical critical thinking: Elements of definitions emerging in the
analysis of transcripts from pupils aged 10 to 12 years. Australian journal of
education, 48(3), 295–313.
Dewey, J. (1933). How we think. A restatement of the relation of reflective thinking to
the educative process. Boston: D.C. Heath.
Gagné, R. (1976). Les principes fondamentaux de l’apprentissage. Application à
l’enseignement. Trad. : Robert Brien et Raymond Paquin. Montréal : HRW.
Gagnon, M. (2008). La question des compétences transversales en éducation!: de
la métaphore du transfert à celle de la mobilisation. Revue Éducation et
Formation, e-2008, 25 – 35.
Gagnon, M. (à paraître). Enjeux de l'intégration de la pratique du dialogue
philosophique aux didactiques spécifiques: le cas de l'Éthique et Culture
Religieuse au Québec. Diotime: Revue Internationale de didactique de la
philosophie.
Gauthier, C., Bissonnette, S. et Richard, M. (2013). Enseignement explicite et réussite
des élèves. La gestion des apprentissages. Québec: ERPI.
Hofer, B. K., & Pintrich, P. R. (1997). The development of epistemological
theories: beliefs about knowledge and knowing and their relation to
learning. Review of Educational Research, 67(1), 88 – 140.
l’implantation de la philosophie pour enfants en classe : une étude exploratoire dans le cadre
d’un stage en enseignement
!
childhood & philosophy, rio de janeiro, v.8, n. 16, jul-dez 2012, pp. 291-325. issn 1984-5987!
326
Karsenti, T., & Savoie-Zajc, L. (2004). La recherche en éducation!: ses étapes, ses
approches. Sherbrooke: CRP.
Kuhn, D. (1999). A developmental model of crtitical thinking. Eduactional
Researcher, 28(2), 26 – 46.
Le Boterf, G. (1994). De la compétence. Essai sur un attracteur étrange. Paris: Les
Éditions d’Organisation.
Leleux, C. (2009). La discussion à visée philosophique pour développer le
jugement moral et citoyen. Revue française de pédagogie, 166, 71 – 87.
Lipman, M. (2003). Thinking in education. New York: Cambridge University Press.
L’Écuyer, R. (1990). Méthodologie de l’analyse développementale de contenu. Sillery:
PUQ.
Morin, E. (1986). La connaissance de la connaissance. Paris: Seuil.
MELS. (2001). Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement préscolaire
et primaire. Québec: Bibliothèque nationale du Québec.
MELS. (2007). Programme de formation de l’école québécoise. Éthique et culture
religieuse. Enseignement primaire. Québec: Bibliothèque nationale du Québec.
MEQ. (2003). Le plaisir de réussir se construit avec mon entourage. Québec:
Gouvernement du Québec.
Perrenoud, P. (2000). Construire des compétences. Nova Escola, Sept., 19–31.
Scallon, G. (2004). L’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences.
Saint-Laurent: Éditions du Renouveau Pégagogique.
Schommer, M. (1993). Epistemological development and academic performance
among secondary students. Journal of educational psychology, 85(3), 406 – 411.
Schommer-Aikins, M., Duell, O. K., & Barker, S. (2003). Epistemological beliefs
across domains using biglan’s classification of academic discipline. Research
in Higher Education, 44(3), 347–366.
Tardif, J. (1992). Pour un enseignement stratégique. Montréal: Logiques.
Van der Maren, J.-M. (2003). La recherche appliquée en pédagogie. Bruxelles: De
Boeck.
Article
Les enseignants débutant leur carrière dans les écoles accueillant une forte proportion d’élèves issus des milieux à risque (MR) seraient plus susceptibles d’abandonner la profession. La formation initiale qui leur est offerte ne leur permet possiblement pas de s’adapter au contexte d’enseignement en MR. Grâce à trois entrevues réalisées auprès de 21 futurs enseignants en stage et de leurs 21 enseignants associés, cette recherche a permis d’identifier trois défis de la formation initiale. Ainsi, il serait important pour les futurs enseignants : 1) d’acquérir une compréhension critique de leur cheminement culturel et des limites de ce dernier ; 2) d’intégrer leurs connaissances des particularités des MR dans leurs pratiques ; et 3) de réguler celles-ci au contexte de pauvreté.
Article
Full-text available
The critical thinking movement, it is suggested, has much to gain from conceptualizing its subject matter in a developmental framework. Most instructional programs designed to teach critical thinking do not draw on contemporary empirical research in cognitive development as a potential resource. The developmental model of critical thinking outlined here derives from contemporary empirical research on directions and processes of intellectual development in children and adolescents. It identifies three forms of second-order cognition (meta-knowing)—metacognitive, metastrategic, and epistemological—that constitute an essential part of what develops cognitively to make critical thinking possible.
Book
La recherche en éducation: étapes et approches constitue une introduction générale aux méthodes de recherche en éducation. Elle donne à l'étudiant-chercheur de même qu'au praticien, les moyens de mieux connaître, comprendre et analyser les différentes étapes et théories du processus de recherche en éducation. En situant dans leur contexte les formes de recherche le plus fréquemment rencontrées en éducation – la recherche quantitative, la recherche qualitative, la recherche-action, la recherche évaluative et l'étude de cas –, cet ouvrage amène le lecteur à prendre connaissance des voies de recherche qui s'offrent à lui et l'aide ainsi à procéder à des choix plus judicieux et cohérents avec ses objectifs. On y accorde une attention particulière aux préoccupations d'ordre épistémologique et éthique, inévitablement au cœur de toute démarche de recherche. Également, cette 3e édition, mise à jour, traite de nouveaux sujets, notamment l'usage des TIC et la recherche évaluative. Le chercheur trouvera dans ce livre des conseils sur toutes les étapes inhérentes au processus de recherche, de la planification à la diffusion des résultats. (https://books.google.com/books/about/La_recherche_en_%C3%A9ducation.html?id=Ze9iygAACAAJ) https://www.amazon.fr/recherche-%C3%A9ducation-Etapes-approches/dp/2761341368
Article
Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http: Le thème du dernier congrès de I \ ss< H i ; 11 i < > 11 québécoise des pro-fesseurs de français posait trois questions : « Pour qui enseigner le français? », « Pourquoi ensei-gner le français? » et « Comment enseigner le français ? ». En ac-ceptant de prononcer la confé-rence d'ouverture, Jacques Tar-dif choisissait de s'attarder ex-clusivement à la troisième ques-tion parce que, selon lui, elle constituait la pierre angulaire de nos actions pédagogiques et di-dactiques comme professeurs de français. Dans les écrits ainsi que dans les conclusions de recherches des dix dernières années, il y a de nouvelles données, de nouvelles pratiques, de-nouvelles avenues pour ce qui est de l'enseignement de la langue, tant à l'oral qu'à l'écrit. Ces nouvelles in-formations permettent à l'ensei-gnante et à l'enseignant de mieux définir leurs rôles, de mieux circons-crire leurs actions et de mieux plani-fier leurs interventions dans une optique de constmction du savoir par l'élève. À l'égard du langage oral et écrit, sept nouvelles connaissances psy-chopédagogiques ou, si vous préfé-rez, sept nouveaux principes sont issus des recherches des dix derniè-res années et des réflexions qu'elles ont suscitées. Il faut toutefois noter que plusieurs de ces principes sont qualifiés de nouveaux non pas tant parce qu'ils étaient inédits dans la réflexion pédagogique et didactique des années précédentes, mais parce qu'ils n'avaient pas la prépondérance et les rôles qui leur sont attribués maintenant.
Article
This contribution describes the methodology and the results of some research works aiming at assessing the growth of moral judgment and citizenship in 5-to-12-year-old students resorting to monthly “philosophy-oriented debates” (POD). The methodology presupposes refection on what moral is in its three different aspects (cognitive, conative and affective) and the place of judgment in that reflection according to Jean Piaget’s and Lawrence Kohlberg’s works. The experimenting presupposes setting up a POD following a protocol that the article very precisely described and which is slightly different from the “philosophy for children” devise.