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L’Encéphale (2007) 33 Cahier 2, XXX–XXX
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
2ème SESSION
A la recherche du self : théorie et pratique de
la mémoire autobiographique dans la maladie
d’Alzheimer
P. Piolino
CNRS FRE 2987, Laboratoire de Psychologie et Neurosciences Cognitives, groupe de recherche Mémoire et Apprentissage,
Université Paris Descartes,
France ET Inserm-EPHE-Université de Caen-Basse Normandie, Unité E0218, Laboratoire de Neuropsychologie,
CHU Côte de Nacre, Caen, France.
Philosophes et psychologues ont longtemps débattus la na-
ture de la conscience de soi (self) et souligner sa relation
avec la mémoire. Parmi eux, William James fut l’un des
premiers à défi nir la conscience de soi par ses liens avec la
mémoire autobiographique : aussi loin que cette conscien-
ce peut remonter vers le passé, aussi loin s’étend l’identité
personnelle. C’est le souvenir des expériences vécues, en-
veloppé de « chaleur » et d’ « intimité », qui fonde l’iden-
tité du sujet. Depuis une vingtaine d’années plusieurs mo-
dèles théoriques en psychologie cognitive se sont intéressés
à défi nir les liens entre Self et mémoire autobiographique.
Plus récemment, les études en neuropsychologie se sont
penchées sur les troubles du self et de la mémoire auto-
biographique dans diverses étiologies et lésions cérébrales,
tant sur le plan de la séméiologie que sur celui des subs-
trats neuronaux [31]. La maladie d’Alzheimer, qui est la
plus fréquente des démences, pose de manière exemplaire
la question du lien entre l’atteinte du self et de la mé-
moire autobiographique. L’objet de cette présentation est
d’évoquer dans un premier temps des notions théoriques et
pratiques sur la mémoire autobiographique, un des aspects
essentiel du self, puis dans un second temps de présenter
les résultats des recherches en neuropsychologie sur la mé-
moire autobiographique dans le vieillissement normal et la
maladie d’Alzheimer.
Défi nition et modèles structuro-fonctionnels
de la mémoire autobiographique
La mémoire autobiographique est souvent considérée
comme la mémoire du self. Elle nous permet de répondre
à la vaste question, « qui suis-je » ? Toutefois, le self pré-
sente un aspect multidimensionnel qui dépasse les aspects
purement mnésiques. Beaucoup de types de processus sont
englobés dans le terme « self ». De fait, suivant les auteurs,
les défi nitions en sont très diverses [12]. Certaines concep-
tions du self soulignent les diverses connaissances que le
sujet a de lui-même sur différents aspects de son iden-
tité (physique, social, comportemental, ou émotionnel…),
d’autres la notion de conscience phénoménologique de soi
ou de métacognition. Certains chercheurs comme Northoff
et Bermpohl [24] utilisent le terme self pour désigner un
ensemble de processus cognitifs de référence à soi mis en
jeu dans diverses activités cérébrales comme la conscience,
la perception ou encore la mémoire autobiographique. Ces
processus, de façon globale, sous-tendraient l’implication
commune d’un réseau cérébral médian impliquant à la fois
le cortex préfrontal, le cortex cingulaire et le précunéus.
Ainsi, la mémoire autobiographique n’est qu’un des aspects
du self, quoique son aspect essentiel d’après Conway et
Pleydell-Pearce [8].Qu’est-ce que la mémoire autobiogra-
E-mail : pascale.piolino@univ-paris5.fr
L’auteur n’a pas déclaré de confl its d’intérêts
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phique ? Nous en avons tous une idée. Souvent, dans les
esprits, la mémoire autobiographique, c’est la « mémoire »
par excellence. Celle qui nous permet de conserver du pas-
sé des images chargées d’émotion, des souvenirs de fêtes
et de vacances en famille, et de chaque moment clé de
notre vie. Parmi les fonctions attribuées à la mémoire auto-
biographique, la construction de l’identité personnelle et
la poursuite des buts du sujet occupent une place prépon-
dérante. De plus, la mémoire autobiographique cimente
les interactions familiales et sociales [3]. Ainsi, les patients
atteints de diffi cultés importantes de mémoire autobiogra-
phique ont dans la vie quotidienne des troubles d’identité
et des troubles du comportement. Les modèles cognitifs
proposent des défi nitions beaucoup plus strictes de la mé-
moire autobiographique en resituant cette dernière dans
les modèles de la mémoire humaine. La mémoire autobio-
graphique est alors défi nie comme un système mnésique
servant à encoder, stocker et récupérer un ensemble de
représentations dont le « self » est le sujet central. C’est
une mémoire à très long terme qui possède un rôle majeur
dans la construction et le maintien de notre identité. Au
sein des modèles contemporains de la mémoire humaine,
on a souvent associé la mémoire autobiographique à la mé-
moire épisodique. La mémoire épisodique est une mémoire
à long terme, déclarative, qui permet l’acquisition et la
rétention des événements personnellement vécus et situés
dans un contexte spatio-temporel précis ; et surtout – c’est
un point majeur dans la défi nition actualisée - dont la récu-
pération s’accompagne d’un rappel conscient du contexte
d’encodage [39]. Ainsi pour répondre au caractère d’épi-
sodicité, la récupération de l’événement doit impliquer un
voyage mental temporel au cours duquel l’événement est
revécu avec les détails phénoménologiques qui ont parti-
cipé à l’étape de l’encodage. Elle est principalement sous-
tendue par le cortex préfrontal et le lobe temporal mé-
dian. A cette mémoire s’oppose la mémoire sémantique qui
est une mémoire des mots, des concepts, des idées, et plus
largement de toute information, pourrait-on dire, dès lors
que la récupération de celle-ci s’effectue de manière indé-
pendante au contexte d’encodage. Tulving [39] a proposé
d’opposer deux états de conscience en lien avec ces deux
types de mémoire : la conscience autonoétique qui s’ac-
compagne d’un sentiment de reviviscence ; la conscience
noétique qui autorise uniquement un sentiment de fami-
liarité. Le self est l’une des trois caractéristiques, avec le
temps subjectif et la conscience autonoétique, qui défi -
nit la mémoire épisodique comme mémoire des souvenirs
autobiographiques inscrits dans un contexte spatiotempo-
rel précis. Le self refl ète l’implication du sujet dans l’évé-
nement et sert de base à la prise de conscience de sa pro-
pre identité. Les processus de stockage et de récupération
liés au self sont considérés indépendants de la mémoire
sémantique qui stocke des connaissances générales ou per-
sonnelles décontextualisées. En somme, la notion de self
chez Tulving est celle d’un self phénoménologique lié à la
capacité de reviviscence des souvenirs autobiographiques
émaillés de détails phénoménologiques et spatiotemporels.
Toutefois, la mémoire autobiographique comprend aussi
une part importante de mémoire sémantique. Celle-ci peut
être préservée chez les patients cérébrolésés tandis que
la part épisodique est souvent atteinte. Tulving lui-même,
à partir de l’étude de la mémoire autobiographique d’un
patient ayant un syndrome amnésique [40], remarque que
ce dernier demeure capable d’accéder à certains types de
connaissances sémantiques personnelles (les noms de per-
sonnes de l’entourage, les adresses, les événements habi-
tuels…) alors qu’il se montre dans l’incapacité d’accéder
au souvenir du moindre événement particulier de son exis-
tence qui possède une quelconque spécifi cité spatiotempo-
relle et intensité émotionnelle. Ceci donnait à la mémoire
autobiographique de ce patient une teinte assez particuliè-
re, comme si la mémoire de son passé était impersonnelle.
L’observation de Tulving est une observation importante.
En effet, que nous suggère-t-elle ? Cette observation nous
suggère qu’avoir une mémoire autobiographique fonction-
nelle, nous conférant un sentiment d’identité et de cohé-
rence satisfaisants impose à la fois une préservation des
aspects sémantiques (en leur absence, il existe une perte
totale de l’identité à la manière de certains patients qui
ont perdu toute la mémoire de leur passé) mais aussi la ca-
pacité à revivre certains épisodes du passé qui ont pu être
importants pour nous, qui possèdent une coloration émo-
tionnelle, et enfi n à voyager mentalement vers le temps
subjectif. Certains modèles de mémoire reprennent cette
idée d’une coexistence au sein de la mémoire autobiogra-
phique d’aspects épisodiques et d’aspects sémantiques [8].
Notamment, le modèle de la mémoire du self de Conway
[7] est un modèle de reconstruction du souvenir autobiogra-
phique s’appuyant sur l’interaction entre trois systèmes :
le self de travail (« working self »), le self à long terme,
et le système de mémoire épisodique, qui permet de ren-
dre compte d’une organisation structurale hiérarchique de
la mémoire autobiographique et de son fonctionnement
(Fig. 1). Le self de Conway répond à une défi nition structuro
fonctionnelle assez différente de celle de Tulving puisque
les aspects conceptuels du self sont mis en avant et moins
les aspects phénoménologiques. Conway défi nit en effet le
self à long terme comme une véritable représentation sé-
mantique de nous-mêmes, une structure de connaissances
servant à organiser les souvenirs que nous avons de nos ex-
périences personnelles, un modèle d’intégrité et de cohé-
rence de notre propre soi. Le self de travail est constitué
par un ensemble complexe de processus de contrôle dirigés
par les buts actuels du sujet, ses désirs, et ses croyances.
Le self de travail peut être considéré comme un ensem-
ble de processus exécutifs liés aux lobes frontaux et au
Système Attentionnel Superviseur du modèle de Normann
et Shallice ou à l’administrateur central de la mémoire de
travail de Baddeley. Il contraint à la fois l’encodage et la
construction des souvenirs sur la base de deux principes : la
correspondance et la cohérence [6]. D’une part, il permet
d’encoder les expériences vécues correspondant aux buts
activés et, d’autre part, il maintient une représentation
stable et cohérente de l’interaction du self avec le monde,
permettant ainsi un sentiment continu d’identité. En vertu
de ces principes, les buts du self de travail infl uencent la
construction des souvenirs en modulant l’accessibilité de
certaines représentations.
P. Piolino
35
Le self à long terme est une structure de connaissances
sémantiques personnelles à différents niveaux d’abstrac-
tion qui comprend le self conceptuel et la base des connais-
sances autobiographiques. Le self conceptuel regroupe les
connaissances sémantiques personnelles les plus abstraites
qui spécifi ent les scripts personnels, les catégories d’ap-
partenance et les schémas socialement établis, les images
de soi possibles ou désirées, et génèrent ainsi les attitudes,
les valeurs, les croyances. Il peut être décrit sous forme de
règles orientant les contenus de la base de connaissances
autobiographiques. Celle-ci abrite des connaissances géné-
rales organisées de façon hiérarchiques en trois niveaux
d’abstraction emboîtés (schémas de vie, périodes de vie,
évènements généraux) et constitue la principale voie d’ac-
cès aux souvenirs épisodiques autobiographiques. Les sché-
mas de vie renvoient à des informations très générales sur
l’histoire globale de l’individu (e.g. le travail, la famille…).
Ils s’appuient notamment sur des conventions sociocogniti-
ves à propos de l’ordre et des thèmes dominants du schéma
de vie classique de la culture d’appartenance de l’individu.
Les périodes de vie sont associées à des connaissances sur
des buts et des activités liées à de longues durées (e.g.
lieux et personnes liés la période scolaire). Enfi n, les évè-
nements généraux correspondent à des connaissances liés
temporellement ou organisés autour d’un thème commun
sur des évènements répétés (e.g. « les cours de sport ») ou
étendus d’une durée supérieure à 24 heures (e.g. « le voya-
ge linguistique à Nuremberg ») et se mesurent en jours,
semaines ou mois. Le système de mémoire épisodique sous-
tend le niveau de spécifi cité le plus élevé (e.g. « la cueillet-
te des cèpes avec Gunther et Jeannette dans la forêt noir »)
et stocke des informations de brève durée (quelques secon-
des, minutes ou quelques heures au maximum). Il permet
de retenir des informations sur les activités reliées aux buts
actuels (présent psychologique) et contient donc des dé-
tails sensoriels, perceptifs, cognitifs et affectifs liés à
l’évènement et organisés selon un ordre chronologique. Il
implique l’imagerie mentale et une expérience de revivis-
cence du passé qui s’apparente à la conscience autonoéti-
que de Tulving. La nature épisodique d’un souvenir dépend
de l’accès à ce niveau de détails, sans quoi les souvenirs
restent génériques (sous-spécifi és). Un accès direct au sou-
venir spécifi que est possible dans certains cas où l’existen-
ce d’indices perceptivo-sensoriels très proches de la situa-
tion d’encodage conduit immédiatement à la reviviscence
de l’événement autobiographique en dispensant des diffé-
rentes étapes de la recontextualisation. Tout le monde
connaît l’épisode de la « madeleine de Proust ». Dans la
majorité des cas cependant, les souvenirs autobiographi-
ques épisodiques sont des constructions mentales transitoi-
res établies par le self de travail défi ni par l’installation
d’un but, sa valence, et l’allocation de ressources exécuti-
ves. Ces processus favorisent préférentiellement l’accès
indirect aux souvenirs épisodiques par l’intermédiaire de
l’activation de connaissances sémantiques pertinentes à
l’action en cours (présent psychologique) afi n de permettre
la résolution de l’activité pour atteindre des buts actuels et
actifs. Ainsi, le système de mémoire du self facilite l’accès
aux représentations supportant le soi et les buts actuels ou
distord, voire inhibe, les représentations en désaccord avec
le soi et ses buts afi n d’éviter un état de dissonance et les
affects négatifs qui en résulteraient. Il existe un phéno-
mène de rétroaction entre le type de souvenir auquel on
accède et le self : autrement dit, les souvenirs auxquels on
accède confortent notre modèle de soi. Lorsque des pa-
tients, en situation pathologique, accèdent à des souvenirs
de mauvaise qualité, ou privilégient des souvenirs avec une
valence négative comme cela est le cas dans la dépression,
ils confortent une image négative d’eux-mêmes. Le cycle
de récupération de souvenirs négatifs se voit renforcé alors
que l’accès aux souvenirs à valence positive se fait de plus
en plus rare et à un niveau plus générique [19]. La mémoire
autobiographique est donc une mémoire mouvante se re-
construisant en permanence, tout à fait différente d’une
mémoire cristallisée. Ainsi, lorsqu’un sujet âgé ou un pa-
tient va rapporter inlassablement le même souvenir, il ne
s’agit pas à proprement parler d’un souvenir autobiogra-
phique, mais plutôt d’un schéma, d’un script qui caracté-
rise son passé mais n’a pas le caractère d’une reviviscence
épisodique. La distribution temporelle est un autre des as-
pects intéressants de la mémoire autobiographique.
Plusieurs souvenirs épisodiques seraient formés chaque
Souvenirs autobiographiques
Le Self à Long terme
Système
de Mémoire
Episodique
Connaissances
Autobiographiques
de Base
Le Self
Conceptuel Self de travail
Fonctions
exécutives
Shéma
Historique
Personnel
Périodes
de vie
Evénements
Généraux
Script personnel
Self possible
La croyance
Image
sensorielle
A la recherche du self : théorie et pratique
Figure 1 Schéma du modèle de la mémoire du self (adapté de 7).
36
jour, mais tous ne résisteraient pas au passage du temps,
seuls les plus pertinents (en fonction des buts actuels de
l’individu) étant retenus. Dès lors qu’ils sont sans impor-
tance et sans caractère émotionnel particulier, la plupart
de nos expériences vécues sont oubliées au même titre
qu’une liste d’items apprise en situation de test. De plus,
dans la vie quotidienne, la fréquence de répétition des
événements similaires détermine une transition de la mé-
moire épisodique vers la mémoire sémantique par un pro-
cessus de sémantisation [5] : la capacité de rappel des cir-
constances épisodiques de chaque événement s’efface au
profi t du rappel des caractéristiques communes. Ainsi pour
une grande part, la mémoire sémantique personnelle est
issue d’un processus d’abstraction à partir de souvenirs
épisodiques et de ce fait, les processus de stockage (com-
me les processus de récupération) des représentations
mnésiques épisodique ou sémantique sont nettement moins
indépendants que ne le suggère le modèle de Tulving.
Certains événements spécifi ques vont être conservés dans
les détails tout au long de la vie car ils sont marquants dans
la constitution de notre self et représentent un change-
ment de but. Ces souvenirs épisodiques défi nissant le soi
(Self-Defi ning Memories, [6]) sont caractérisés par la den-
sité des images mentales et des affects, le haut niveau de
répétition du souvenir, le lien avec des souvenirs qui parta-
gent le même thème central pour l’individu, et l’accessibi-
lité. Concernant les souvenirs autobiographiques épisodi-
ques, la distribution temporelle observée avec la méthode
des mots-indices (voir infra) comporte trois phases distinc-
tes [35] : la fonction de rétention, l’amnésie infantile et, à
partir de la quarantaine, le pic de réminiscence (Fig. 2). La
fonction de rétention concerne les souvenirs des vingt der-
nières années et correspond à une courbe d’oubli classique
au cours du temps avec un effet de récence marqué.
L’amnésie infantile caractérise la pauvreté du rappel des
événements vécus avant l’âge de 4-5 ans, avec une absence
presque totale de souvenirs des trois premières années de
vie [33]. Le pic de réminiscence correspond à la supériorité
du rappel des souvenirs encodés à l’adolescence et à l’âge
de jeune adulte (entre 10 et 30 ans) par rapport aux autres
périodes du passé. Ce phénomène observé dans les souve-
nirs anciens a beaucoup intrigué les chercheurs. Quelle ex-
plication en donner ? L’explication du phénomène n’est pas
consensuelle. Certains auteurs invoquent un mécanisme
d’encodage spécifi que et, d’autres, un mécanisme particu-
lier de récupération puisque cette période de vie fournit
des indices de rappel particulièrement effi caces (« le jour
du mariage »). Mais l’explication la plus probable est celle
liée au Self. Cette période de vie déterminante pour la
construction et le maintien du sentiment d’identité dépen-
drait de l’infl uence des intérêts et des buts personnels les
plus stables qui continueraient d’exercer une infl uence
tout au long de la vie [6]. En revanche, la distribution tem-
porelle des connaissances sémantiques personnelles est
marquée par la même courbe d’oubli, puis l’installation un
plateau, ce qui signifi e qu’à partir d’un certain moment (5
à 10 ans après l’encodage), dès lors qu’une information est
conservée, elle le sera toujours. Certaines recherches se
sont intéressées à déterminer le substratum neuronal de la
mémoire autobiographique. Les activations cérébrales sont
enregistrées en tomographie par émission de positons (TEP)
ou en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle
(IRMf) lorsque des sujets sains évoquent mentalement des
souvenirs personnels à partir d’indices (des mots, phrases
ou photographies) ou bien les reconnaissent. Ces études de
neuroimagerie fonctionnelle mettent en évidence l’impli-
cation d’un vaste réseau cérébral frontal, temporal, et
postérieur. Les régions frontotemporales notamment gau-
ches semblent impliquées dans les processus contrôlés de
reconstruction du souvenir et les régions plus postérieures
dans la production des images mentales associées aux sou-
venirs (pour revue, 27). Les études en électrophysiologie
(EEG) fournissent des données complémentaires en préci-
sant le décours temporel des réponses cérébrales dans ce
vaste réseau. Les travaux de Conway et al. [7] ont montré
que les changements de potentiels corticaux ont lieu dans
le réseau frontal gauche lors de la phase d’initiation d’ac-
cès au souvenir, puis dans les réseaux plus postérieurs lors
de la phase de reconstruction par les connaissances géné-
rales (lobe temporal gauche) et la phase de reviviscence
des détails spécifi ques (régions bilatérales temporales et
postérieures). Plus spécialement, le rôle de l’hippocampe
dans le travail de reconstruction de souvenirs anciens fait
actuellement débat. Certains auteurs postulent que l’hip-
Figure 2 Distribution temporelle des souvenirs autobiographiques épisodiques chez un sujet âgé de 50 ans (d’après 36).
0 10 20 30 40 50
·
·
·
·
·
Durée de rétention (ans)
(1) La fonction de rétention:
déclin du nombre de souvenirs au cours du temps
(2) Le pic de réminiscence:
grand nombre des souvenirs encodés entre l'âge de 10 et 30 ans
(3) L'amnésie infantile:
quasi absence de souvenirs encodés avant l'âge de 3 - 4 ans
0 10 20 30 40 50
3
·
·
·
·
·
2
1
%
P. Piolino
37
pocampe interviendrait dans l’encodage et la récupération
des souvenirs récents (durant quelques années) mais ne se-
rait plus sollicité dans la récupération des souvenirs anciens
[2]. D’autres pensent que l’intervention de l’hippocampe
est indispensable dans la récupération de souvenirs auto-
biographiques, peu importante leur ancienneté, pourvu
qu’ils soient épisodiques [22]. Dans l’ensemble, les résul-
tats des études confortent ce dernier modèle. Cependant,
ces recherches présentent souvent des limites méthodolo-
giques puisque les sujets rappellent ou reconnaissent des
événements personnels anciens qu’ils ont évoqués peu de
temps avant l’enregistrement en TEP ou IRMf, ce qui gé-
nère une réactivation des traces mnésiques anciennes dans
le système hippocampique. Pour pallier ce biais méthodo-
logique, nous avons réalisé dans le laboratoire de neurop-
sychologie et neuroimagerie fonctionnelle de l’Inserm à
Caen des études où les sujets devaient évoquer des souve-
nirs autobiographiques récents et anciens, non réactuali-
sés, à partir d’indices personnalisés [28, 41]. Par ailleurs, la
nature épisodique de chaque souvenir était strictement
contrôlée. Chez des femmes âgés de 60 à 75 ans, nous
avons pu tester les souvenirs de cinq périodes d’encodage
recouvrant l’ensemble de leur vie (0/17 ans, 18/30 ans,
plus de 30 ans, cinq dernières années, 12 derniers mois) à
partir d’indices (« la visite de la tour de Pise ») recueillis à
l’aide de leur conjoint. Toutes périodes confondues (ana-
lyse de conjonction), les résultats ont montré l’activation
en IRMf d’un réseau cérébral commun impliquant principa-
lement des régions frontales gauches, et d’autres régions
jouant un rôle dans l’imagerie mentale comme le précu-
néus et dans la récupération en mémoire épisodique com-
me le cingulaire postérieur. Donnée plus intéressante,
quelle que soit la période de vie explorée, nous avons dé-
montré une activation hippocampique (d’autant plus bila-
térale que les périodes de vies étaient plus riches au niveau
de la reviviscence des détails phénoménologiques et
contextuels) en accord avec l’hypothèse du rôle permanent
de l’hippocampe dans les souvenirs autobiographiques.
L’implication de ce large réseau rend compte des différen-
tes origines cérébrales possibles des troubles de la mémoire
autobiographique : hypométabolismes fonctionnels et lé-
sions cérébrales de topographie variable voire dyscon-
nexions cérébrales, notamment fronto-temporales. D’après
le modèle de Conway, le travail de reconstruction du sou-
venir dans sa pleine spécifi cité peut s’arrêter au cours
d’une étape intermédiaire, pour différentes raisons. Les
sujets ne vont alors évoquer que des souvenirs très géné-
raux sans pouvoir accéder aux détails spécifi ques et phéno-
ménologiques. C’est le cas dans de nombreuses pathologies
neurologiques ou psychiatriques comme la maladie d’Alzhei-
mer ou la dépression. Différentes causes peuvent rendre
compte de cette incapacité à effectuer un travail de re-
construction parmi lesquelles un trouble de la mémoire de
travail (altération de la fonctionnalité liée à un dysfonc-
tionnement frontal), un défi cit de la mémoire sémantique
(liée à un dysfonctionnement temporal entravant l’accès
aux détails spécifi ques) et un défi cit de la mémoire épiso-
dique (liés à un dysfonctionnement hippocampique ou des
régions impliquées dans l’émotion et l’imagerie mentale
entravant la reviviscence des détails phénoménologiques
et contextuels). Un même défi cit constaté lors d’épreuves
psychométriques (accès à des souvenirs généraux et non
spécifi ques) peut alors répondre à une grande variété de
mécanismes neurocognitifs (eg . « la démence frontotem-
porale, [21, 25] »).
Méthodes d’évaluation de la mémoire
autobiographique
Évoquons maintenant les méthodes d’évaluation de la mé-
moire autobiographique. Les tests dont dispose le clinicien
sont relativement assez nombreux, de ceux portant sur
des mots indices aux fl uences verbales autobiographiques
ou aux questionnaires (pour revue, [31]). La méthode des
mots-indices élaborée par Crovitz et Schiffman [9], à partir
de la méthode développée par Galton en 1883, consiste à
présenter successivement des mots (bébé, chat…) et à de-
mander au sujet d’évoquer le premier souvenir personnel
qui lui vient à l’esprit, puis de le dater (pour une version
récente de ce test, voir [16]). L’épreuve de fl uence ver-
bale autobiographique proposée à l’origine par Dritschel
et al. [11] consiste à énumérer en un temps donné (par
exemple 60 secondes) deux catégories d’informations
autobiographiques, l’une sémantique (noms de personnes
de l’entourage) et l’autre épisodique (événements person-
nels) provenant de plusieurs périodes (pour une version de
fl uences autobiographiques en 2 minutes avec des normes
françaises, voir [31]). Dans la catégorie des questionnai-
res, le questionnaire AMI de Kopelman et al. [18] est le
plus utilisé. Il porte d’une part sur le rappel d’informations
sémantiques personnelles (noms de personnes, adresses…)
et d’autre part sur le rappel de souvenirs d’événements
autobiographiques spécifi ques provenant de trois pério-
des distinctes : l’enfance et l’adolescence, l’âge de jeune
adulte, le passé récent. Le Test Épisodique de Mémoire
du Passé autobiographique (TEMPau, [26, 27, 31, 32]) est
un autre questionnaire qui proposent des critères parti-
culièrement stricts pour évaluer la nature épisodique des
souvenirs autobiographiques. Il permet de distinguer les
aspects sémantiques des aspects épisodiques qui sont les
seuls caractérisés par la capacité à revivre mentalement
des événements spécifi ques avec des détails phénoménolo-
giques et contextuels. Pour cinq périodes de vie (0/17 ans,
18/30 ans, plus de 30 ans, cinq dernières années, 12 der-
niers mois), le sujet doit évoquer un événement spécifi -
que (unique, inférieur à 24 heures, situé dans le temps et
l’espace et détaillé) pour chacun des 4 thèmes de rappel
proposés (une rencontre, un événement professionnel, fa-
milial et un déplacement). Pour la période récente, 8 thè-
mes sont proposés au lieu de 4 permettant de tester la res-
titution des événements vécus en fonction de l’intervalle
de rétention. L’organisation générale du test (périodes tes-
tées, thèmes explorés, exemples d’indices) et des normes
sont présentées dans les (Tableaux 1 et 2). Chaque souvenir
évoqué est contrôlé lors d’un retest proposé au sujet 15
jours après le test et auprès de la famille, puis coté sur une
grille d’épisodicité en 5 points (de 0 à 4 points). Pour cha-
A la recherche du self : théorie et pratique
38
Tableau 1 Organisation générale du Test Episodique de la Mémoire du Passé autobiographique (TEMPau) : périodes
testées, thèmes explorés et exemples d’indice et grille de cotation
PÉRIODES
D’ENCODAGE
THÈMES
ENFANCE et
ADOLESCENCE
(0-17 ans)
« Quand vous
étiez petit,
adolescent. »
JEUNE ADULTE
(18-30 ans)
« Lorsque vous
étiez jeune marié,
jeune adulte. »
ADULTE PLUS AGÉ
(au delà de 30 ans)
« Quand vos
enfants sont
devenus grands. »
LES 5 DERNIÈRES
ANNÉES
« Depuis ces
dernières années. »
Période récente
(les 12 derniers
mois)
« Depuis ces
derniers mois. »
Une rencontre Un jour avec
un camarade
Un jour avec
votre conjoint
Un jour avec
un ami
Le jour d’une
nouvelle rencontre
Liste des 8 thèmes
1. L’été dernier
2. Noël
ou jour de l’An
3. Le mois dernier
4. La semaine
dernière
5. Le dernier
week-end
6. Avant-hier
7. Hier
8. Aujourd’hui
Un événement
scolaire ou
professionnel
Un jour avec
un professeur
Un jour sur le
premier lieu de
travail
Un jour avec
un collègue
Le jour de votre
départ à la retraite
Un déplacement Un jour pendant
les vacances
Un jour lors du
voyage de noce
Un jour lors
d’un voyage
Un jour lors d’un
voyage
Un événement
familial
Le jour d’une
fête en famille
Le jour d’une
naissance
Le jour d’un
mariage
Le jour d’une
visite
Grille de cotation
du souvenir
4. Evénement spécifi que situé dans un contexte spatiotemporel détaillé
3. Evénement spécifi que situé dans un contexte spatiotemporel non détaillé
2. Evénement générique ou spécifi que sans contexte spatiotemporel
1. Description vague sans contexte spatiotemporel
0. Absence de réponse ou information générale
Tableau 2 Résultats -m (σ) - au Test Episodique de la Mémoire du Passé autobiographique (TEMPau) chez 224 sujets
(48% d’hommes) ayant effectué au minimum 8 années d’étude
20-35 ans
n=77
40-49 ans
n=22
50-59 ans
n=34
60-69 ans
n=56
70-79 ans
n=35
Période 0-17 ans
Score global 14.17 (1.41) 14.36 (1.46) 13.18 (2.41) 13.00 (2.37) 12.91 (1.99)
Score épisodique 10.02 (4.23) 10.91 (3.94) 8.71 (5.25) 8.21 (5.36) 7.66 (3.41)
Période 18-30 ans ( * n = 34)
Score global 13.94 (1.84)* 14.09 (1.97) 14.00 (1.87) 13.42 (2.61) 12.23 (2.82)
Score épisodique 10.58 (3.66)* 10.91 (4.64) 10.35 (4.19) 9.31 (4.62) 7.63 (4.33)
Période > 30 ans
Score global 13.18 (2.82) 13.63 (2.38) 12.73 (2.70) 12.06 (2.94)
Score épisodique 9.82 (4.51) 9 .41 (4.39) 8.43 (5.02) 7.31 (4.49)
Période 5 dernières années
Score global 14.45 (1.29) 13.36 (2.36) 13.35 (2.38) 12.09 (3.03) 8.48 (3.96)
Score épisodique 10.39 (4.60) 10.18 (5.01) 9.41 (4.39) 7.71 (4.56) 4.57 (3.64)
Période récente, 12 derniers mois
Score global 14.71 (1.39) 14.45 (1.45) 14.21 (1.73) 13.36 (2.11) 11.23 (2.55)
Score épisodique 11.97 (2.91) 11.09 (4.56) 10.59 (4.28) 9.07 (4.11) 6.43 (4.28)
P. Piolino
39
que période, un score global de mémoire autobiographi-
que qui comptabilise les points attribués à chaque souvenir
quelle que soit sa nature plus ou moins sémantique (score
maximum sur 16 points) et un score strictement épisodique
(score maximum sur 16 points) qui ne comptabilise que les
points attribués aux souvenirs présentant tous les critères
d’épisodicité (cotés 4 points). Les scores de la période « 12
derniers mois » sont divisés par deux. Le test ainsi décrit
correspond à sa version clinique et dure une heure lorsque
les 5 périodes sont testées. Toutefois, ce test est le premier
test standardisé de mémoire autobiographique qui permet
aussi d’évaluer l’état de conscience (paradigme « je me
souviens/je sais », Tulving, [38]) et la perspective du self
(paradigme « acteur/spectateur », Nigro et Neisser, [23])
pour chaque souvenir évoqué par le sujet. Le paradigme
« je me souviens/je sais » (i.e., remember/know) consiste
à demander au sujet de préciser s’il sait seulement ou s’il
se souvient aussi avoir vécu l’événement autobiographique
rappelé. Les réponses « je me souviens » sont l’expression
directe de la mémoire épisodique lorsqu’elles sont asso-
ciées à la reconstruction consciente de la scène dans la-
quelle les événements ont été vécus, et par conséquent,
à la reviviscence qui implique le self subjectif et le situe
dans un contexte spatio-temporel. Les réponses « je sais »
sont l’expression d’un processus plus automatique, un sen-
timent de familiarité, qui n’implique que la mémoire sé-
mantique et pas le self subjectif. Pour plus de sensibilité,
ce paradigme est proposé distinctement pour le factuel, le
spatial et le temporel, au lieu d’être proposé globalement
pour l’événement. Le paradigme « acteur/spectateur »
(i.e., fi eld/observer) permet d’évaluer la perspective du
Self dans le rappel de souvenirs en caractérisant le point de
vue associé à la représentation mentale correspondante.
Lors de l’évocation d’un souvenir, le sujet doit préciser s’il
voit la scène de ses propres yeux, comme s’il revivait l’évé-
nement en tant que sujet/acteur, ou s’il se voit lui-même
dans la scène et joue alors le rôle de spectateur. Ce para-
digme ne recouvre pas strictement les notions de mémoire
épisodique et de mémoire sémantique car d’autres facteurs
peuvent infl uer sur le point de vue comme l’émotion. Par
exemple, la perspective d’acteur accompagne plus souvent
le souvenir lorsqu’il est associé au self actuel et à une va-
lence positive et lorsque le sujet revit le contenu émotion-
nel au lieu des circonstances de l’événement. Toutefois, la
reviviscence qui implique le self subjectif s’accompagne le
plus souvent de réponses « je me souviens » et d’une pers-
pective d’acteur. A partir de ce test original, de nombreu-
ses versions ont été adaptées en fonction de l’âge des su-
jets, de l’enfant au sujet âgé, et à différentes pathologies
neurologiques ou psychiatriques (ictus amnésique, dépres-
sion, schizophrénie…). Enfi n, certains auto-questionnaires
sont utilisés en neuropsychologie pour permettre d’obtenir
des mesures standardisées quantitatives et qualitatives de
la représentation de soi [1] tels que des échelles d’estime
de soi (e.g. Twenty Statement Test) ou des échelles de self
multidimensionnel (e.g. Tennessee Self Concept Scale) éva-
luant la consistance et la valence des représentations de
soi.
Vieillissement normal et mémoire
autobiographique
Les sujets âgés ont souvent l’impression que leur mémoire
autobiographique ancienne est nettement meilleure que
leur mémoire récente. Or, des études récentes montrent
qu’il s’agit le plus souvent d’une erreur d’appréciation. Peu
de recherches ont examiné les effets de l’âge sur les deux
composantes, épisodique et sémantique, de la mémoire
autobiographique. Cependant les études réalisées avec un
matériel classique (liste d’items) de laboratoire suggèrent
que la mémoire épisodique, qui est l’une des mémoires
les plus affectées dans le vieillissement, serait également
atteinte avec du matériel autobiographique. En adminis-
trant un questionnaire autobiographique semi-structuré
à 52 sujets âgés de 40 à 79 ans testant 6 à 9 décennies
de vie en fonction de l’âge des sujets, nous avons montré
que les capacités de rappel d’événements spécifi ques et
détaillés (composante épisodique) diminuaient avec l’âge
tandis que les connaissances sémantiques personnelles
étaient préservées [30]. Toutefois, quel que soit l’âge des
sujets, les souvenirs récents (« effet de récence ») étaient
plus épisodiques que les souvenirs anciens à l’exception des
souvenirs du pic de réminiscence (voir supra). Ainsi, dans le
vieillissement normal, l’effet de récence semble conservé
et le pic de réminiscence devient de plus en plus ancien,
mais il coïncide toujours aux événements encodés entre 10
et 30 ans. Ces résultats confortés par les données collec-
tées par Levine et al. [20] ont été récemment précisés en
utilisant le TEMPau administré à 180 sujets âgés de 21 à 80
ans répartis en 3 groupes d’âge (jeunes, âgés, très âgés).
Cette étude [27] a montré que le sentiment de reviviscence
(« se souvenir ») du passé autobiographique diminue avec
l’âge alors que le sentiment de familiarité (« savoir ») aug-
mente. Les sujets âgés sont aussi davantage spectateurs de
leurs souvenirs qu’acteurs. Toutefois, les capacités de re-
viviscence sont relativement mieux préservées concernant
les périodes les plus anciennes qui recouvrent en partie le
pic de réminiscence (e.g. la période 18-30 ans). Chez les
sujets âgés, le nombre plus élevé de réponses « je sais »
ou de perspectives « spectateurs » pourrait témoigner non
seulement de la sémantisation de leurs souvenirs, mais
aussi d’une diffi culté à utiliser les structures du self ac-
tuel. Néanmoins, même chez les sujets très âgés quelques
souvenirs épisodiques persistent. Leurs caractéristiques
sont semblables aux souvenirs des autres groupes d’âge et
correspondent aux souvenirs défi nissant le self (i.e., den-
sité des images mentales et des affects et accessibilité).
L’ensemble de ces résultats indique un changement délétè-
re lié à l’âge sur la mémoire autobiographique épisodique
et le self subjectif (conscience autonoétique). Ces diffi cul-
tés sont en partie dues à des dysfonctionnements exécutifs
présents dans le vieillissement normal. Les modifi cations
de la spécifi cité des souvenirs ainsi que de la conscience
autonoétique et de la perspective du self pourraient suggé-
rer qu’il existe un affaiblissement du sentiment d’identité
chez les sujets âgés. Or, ces défi cits liés à l’âge n’entament
généralement pas la représentation identitaire des sujets
A la recherche du self : théorie et pratique
40
âgés sains [12] contrairement à la maladie d’Alzheimer [1].
De plus, les sujets âgés ont tendance à évaluer les événe-
ments de leur vie plus positivement que les sujets jeunes
(biais de positivité), même lorsqu’ils évoquent des événe-
ments négatifs (e.g. un accident, un événement stressant)
[37] et à en tirer une signifi cation personnelle ou morale.
Cette capacité d’élaboration des souvenirs permettrait
d’infl uencer le self, et donc de renforcer ou transformer
les buts de vie, et de se construire une identité cohérente,
notamment par l’assimilation de nouvelles connaissances
et d’expériences négatives [45]. Au total, il semble que la
préservation des connaissances sémantiques personnelles,
du sentiment subjectif de reviviscence du passé lointain et
de quelques souvenirs épisodiques défi nissant le self, per-
mettent aux sujets âgés de voyager dans leur passé, leur
assurant ainsi un sentiment de continuité [44]. Le sujet âgé
sain ne serait pas atteint dans son identité personnelle tant
que son self attesterait de sa continuité malgré les décala-
ges qui peuvent exister entre les représentations du self et
les expériences vécus.
Maladie d’Alzheimer et mémoire
autobiographique : évaluation et prise en
charge en neuropsychologie
Chez les patients cérébrolésés, il est classique d’évaluer
de façon formelle l’amnésie antérograde (amnésie des in-
formations acquises depuis la survenue de la lésion céré-
brale) mais beaucoup plus rarement l’amnésie rétrograde
(amnésie des informations acquises avant la survenue de
la lésion cérébrale). Pourtant, certaines maladies neuro-
logiques perturbent tout particulièrement la composante
autobiographique de l’amnésie rétrograde et endomma-
gent ainsi les connaissances et/ou les souvenirs liés au self
qui contribuent à notre identité. Dans la maladie d’Alzhei-
mer notamment (pour revue, [34]), les patients présen-
tent des troubles de la conscience de soi puisqu’ils sont
anosognosiques et une amnésie rétrograde qui s’étend en
fonction des stades de la démence. Au fur et à mesure de
la progression de la maladie, les souvenirs du passé sem-
blent s’effacer en commençant par les plus récents pour
remonter vers le passé le plus lointain selon le fameux
gradient temporel décrit par Ribot (1881). Le profi l de
l’amnésie rétrograde peut prendre également des formes
très différentes selon la nature des souvenirs testés et les
méthodes d’évaluations utilisées. L’étendue de l’amnésie
rétrograde autobiographique a été étudiée dans la maladie
d’Alzheimer à partir de la méthode des mots indices. Les
patients présentent une distribution temporelle des sou-
venirs semblable aux sujets âgés avec un effet de récence
et un pic de réminiscence bien qu’ils produisent globale-
ment un moins grand nombre de souvenirs spécifi ques. Avec
l’avancée de la maladie, un pic de réminiscence subsiste
mais concerne une période de vie plus ancienne que chez
les sujets âgés. Récemment, Fromholt et al. [14] ont com-
paré des récits de souvenirs autobiographiques de patients
atteints de la maladie d’Alzheimer à ceux de sujets sains
octogénaires et centenaires et de patients dépressifs. Les
résultats montrent que les souvenirs autobiographiques
des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, comme
ceux des sujets dépressifs et des centenaires, sont signi-
fi cativement moins nombreux, moins détaillés, moins bien
datés et moins positifs que les souvenirs des sujets âgés.
D’autres recherches ont comparé les défi cits de mémoire
autobiographique sémantique et épisodique dans la mala-
die d’Alzheimer débutante et modérée avec des tâches de
fl uences verbales autobiographiques. Les résultats obtenus
sont contrastés. Certaines études montrent des performan-
ces nettement perturbées, quelles que soient l’information
et la période testées, même chez les patients les moins
atteints, et d’autres études trouvent une relative préser-
vation des performances aux tâches de fl uences verbales
sémantiques et épisodiques testant les périodes anciennes
selon un gradient temporel de Ribot. Avec le questionnaire
AMI de Kopelman, les études retrouvent généralement une
meilleure préservation de la période de l’enfance et de
l’adolescence au détriment des périodes plus récentes,
qu’il s’agisse de la sémantique personnelle ou des événe-
ments autobiographiques. D’autres questionnaires autobio-
graphiques ont permis de montrer des performances forte-
ment altérées sans gradient temporel ou bien avec gradient
temporel selon la sévérité de la maladie [36]. En fonction
de cette évolution, on assisterait à une « hiérarchie de
dégradation » : au stade débutant (MMS>20), le défi cit at-
teindrait la mémoire autobiographique récente, au stade
modéré (MMS 15-20), seules persisteraient les connaissan-
ces relativement anciennes et au stade sévère (MMS<15),
seules les connaissances de l’enfance résisteraient à l’am-
nésie. Cependant, ces études n’appliquent pas de critères
stricts d’épisodicité. Pour répondre à cette critique, nous
avons proposé le questionnaire TEMPau, dans une version
courte, à un groupe de 17 patients atteints de maladie
d’Alzheimer à un stade débutant de la démence [13] et,
dans sa version longue, à un groupe de 13 patients [26]. Les
résultats de l’étude portant sur 17 patients montrent que
les performances des patients Alzheimer sont inférieures à
celles d’un groupe de 18 sujets âgés contrôles pour le score
global de rappel autobiographique selon un gradient tem-
porel de Ribot. En revanche, l’atteinte est massive et sans
gradient pour les rappels strictement épisodiques. Ainsi,
80 % des souvenirs produits par les patients sont de nature
générique (cotés inférieurs à 4) contre 20 % de souvenirs
épisodiques. Des analyses complémentaires indiquent clai-
rement que la relative préservation du passé lointain dans
la maladie d’Alzheimer concerne majoritairement des sou-
venirs sémantisés et non strictement épisodiques. Ainsi,
le gradient de Ribot qui est fréquemment décrit dans la
littérature semble refl éter le gradient de sémantisation
des souvenirs [15] et également la relative préservation
de la mémoire sémantique comparée au défi cit massif de
mémoire épisodique chez les patients atteints de mala-
die d’Alzheimer au stade débutant. Les résultats de cor-
rélations cognitivo-métaboliques réalisées dans ce même
groupe de patients entre le score global de mémoire auto-
biographique du TEMPau et le métabolisme de glucose au
repos recueilli par tomographie par émission de positons
(TEP) corroborent cette interprétation. En effet, pour les
P. Piolino
41
souvenirs correspondant aux cinq années les plus récentes,
les corrélations sont principalement localisées dans la ré-
gion hippocampique droite et dans le cortex préfrontal droit
impliqués dans la récupération des souvenirs épisodiques.
En revanche, pour la période correspondant à l’enfance et
l’adolescence, les corrélations sont localisées uniquement
dans le cortex préfrontal gauche impliqués dans la récupé-
ration en mémoire sémantique ou autobiographique mais
pas dans la reviviscence des souvenirs épisodiques (voir su-
pra). Le désengagement des corrélations avec l’hippocam-
pe avec l’augmentation de l’intervalle de rétention est en
conformité avec les différentes théories de la consolidation
puisque les souvenirs anciens des patients sont sémantisés
et non épisodiques. La spécifi cité de ces résultats a été
confi rmée récemment. En effet, nous avons démontré dans
la démence frontotemporale que l’atteinte de la mémoire
autobiographique dépendait de défi cits exécutifs sous-ten-
dus par les régions préfrontales gauches, notamment orbi-
tofrontales, pour toutes les périodes de vie testées [25].
Les résultats de notre seconde étude dans la maladie
d’Alzheimer ont indiqué en plus que les réponses « je me
souviens » sont inférieures aux sujets âgés tandis que, les
réponses « je sais » sont supérieures quelle que soit la
période explorée. Les patients considèrent moins que les
témoins se souvenir d’un événement passé en voyageant
mentalement dans le temps et revivre l’événement vécu.
Leurs capacités d’évocation de détails phénoménologiques
(pensées, perceptions, émotions) et spatio-temporels (lo-
calisation, déroulement, heure) du contexte d’encodage
des événements vécus sont très défi citaires (Fig. 3). Ces
résultats confortent chez les patients Alzheimer débutant
la présence de troubles de mémoire autobiographique épi-
sodique et de conscience autonoétique et suggèrent qu’ils
peuvent néanmoins recourir à leur mémoire sémantique
personnelle et à leur conscience noétique pour restituer
des souvenirs autobiographiques anciens et récents comme
les patients atteints d’un syndrome amnésique [40].
Au total, les résultats de la littérature suggèrent que
le profi l de l’amnésie autobiographique chez les patients
Alzheimer dépend en partie du type de connaissances testées
(épisodiques ou sémantisées) et du stade d’évolution de la
maladie. L’étendue massive de l’amnésie autobiographique
épisodique dès le stade débutant de la maladie d’Alzhei-
mer serait compatible avec le modèle de consolidation qui
assigne un rôle permanent au lobe temporal interne dans la
récupération des souvenirs épisodiques. Toutefois, certains
souvenirs épisodiques anciens peuvent persister en début
de maladie d’Alzheimer. Cette persistance semble liée à
la valeur émotionnelle du souvenir, à son importance dans
la construction de l’identité et sa concordance avec le self
actuel du patient [7, 8] bien plus qu’à un intervalle de ré-
tention particulier. L’étendue et la nature du défi cit de mé-
moire autobiographique (épisodique et sémantique) affec-
tent la qualité des représentations du self. Addis et Tipett
[1] ont mis en évidence chez des patients Alzheimer débu-
tants une corrélation entre les performances à des tests de
mémoire autobiographique et à des échelles mesurant la
représentation du self. Comme de nombreux patients am-
nésiques, les patients en début de maladie d’Alzheimer sont
plus ou moins incapables d’évoquer le moindre événement
épisodique important de leur vie, pourtant ils connaissent
encore des connaissances générales sur eux-mêmes. Ainsi,
ces patients ne sont pas privés de toute leur mémoire auto-
biographique, ils peuvent encore répondre à leur manière
à la question « qui suis-je ? ». Pourtant, il semble que la
part défaillante les prive du sentiment de reviviscence et
de continuité, le passé devenant de ce fait de plus en plus
discontinu, désincarné et impersonnel au fur et à mesure
de la progression de la maladie : les patients gardent en-
core des connaissances générales sur leur self mais ils sont
incapables de donner le moindre exemple pour illustrer ce
qu’ils savent d’eux-mêmes. C’est l’étroite interaction en-
tre le self conceptuel (conscience noétique et mémoire sé-
mantique) et le self phénoménologique (conscience auto-
noétique et mémoire épisodique) qui fonde le sentiment
de cohérence du soi dans le temps en maintenant un lien
entre les connaissances de soi et la reviviscence d’expé-
riences vécues. A partir du moment où le défi cit atteint
de façon très importante aussi bien le versant épisodique
que sémantique de la mémoire autobiographique, la perte
d’identité devient massive. Quelques îlots de connaissan-
ces persistent encore parfois pour nourrir le présent psy-
chologique des patients en fonction des informations de la
période de vie accessible. Ils déterminent alors leur senti-
Figure 3 Capacité de reviviscence des détails épisodiques associés aux trois contenus - factuel, spatial, temporel - de la mémoire des
événements autobiographiques en fonction de 5 périodes de vie chez des patients atteints de maladie d’Alzheimer (MA) au stade léger à
modéré comparés à des sujets témoins
0
0,5
1
1,5
2
2,5
3
3,5
4
0-17 ans
18-30 ans
> 30 ans
5 dernières années
12 derniers mois
0-17 ans
18-30 ans
> 30 ans
5 dernières années
12 derniers mois
0-17 ans
18-30 ans
> 30 ans
5 dernières années
12 derniers mois
Témoins
MA
Quoi Ou Quand
A la recherche du self : théorie et pratique
42
ment d’identité actuel comme l’illustre cette observation
décrite par Delay [10] : « Noémie, âgée de 64 ans […] ne
peut évoquer aucun souvenir relatif à son passé […]. Si l’on
demande à Noémie son âge, elle répond je suis une petite
fi lle, j’ai 8 ans ». Contrairement au vieillissement normal,
le patient Alzheimer subit une « sénescence » de son self
car il devient incapable d’intégrer de nouvelles connais-
sances ou expériences et perd progressivement son stocke
de connaissances sémantiques personnelles. Cependant, il
existe une atteinte hétérogène des différentes dimensions
du self dans la maladie d’Alzheimer [15].
L’évaluation des troubles de mémoire autobiographique
fournit des données cliniques qui peuvent contribuer au
diagnostic, le profi l du gradient et la nature des troubles
étant différents selon les pathologies. Elle peut aussi orien-
ter vers le type de prise en charge proposé au patient. La
prise en charge de ces troubles est importante car l’amné-
sie autobiographique s’accompagne d’une perte d’identité
et de nombreux troubles du comportement qui représen-
tent une diffi culté majeure dans la vie quotidienne (fami-
liale, institutionnelle) [1]. Néanmoins, jusqu’à très récem-
ment, seule la psychologie clinique s’est intéressée au pas-
sé autobiographique à des fi n thérapeutiques. La mémoire
autobiographique constitue en effet la cible naturelle des
thérapies de la réminiscence. L’activité de réminiscence
ou revue de vie (« life review », Butler [4]) consiste au rap-
pel conscient des expériences passées et à un retour aux
confl its non résolus ; l’introspection sur son propre passé
aurait une fonction adaptative dans le présent en renfor-
çant l’identité et l’estime de soi ou en favorisant l’intégra-
tion dans un nouvel environnement. La relation réciproque
entre mémoire autobiographique et self a été utilisée par
les cliniciens comme moyen d’intervention thérapeutique
auprès des personnes âgées, dans la dépression des sujets
âgés, et la maladie d’Alzheimer (pour revue [17]). Certains
sujets âgés en fonction de leur vécu et de leur personnalité
privilégient un type d’introspection délétère pour le self
[42]. Ils ruminent négativement des événements passés au
lieu de pratiquer une activité de réminiscence intégrative
qui permet à l’individu de s’accepter et d’intégrer le pré-
sent et le passé afi n de trouver un sens et une cohérence à
sa vie. En ce qui concerne plus particulièrement la maladie
d’Alzheimer, la réminiscence semble avoir un effet visible
à la fois sur la sphère comportementale et cognitive agis-
sant sur la dépression, sur les interactions sociales, sur les
troubles du comportement (agitation, agressivité, nervo-
sité, exigence), sur la désorientation spatio-temporelle et
la capacité à rester engagé dans une activité présente et
à planifi er une activité future [43]. De nombreuses études
ont examiné les bénéfi ces des thérapies de la réminiscence
mais une analyse plus précise telle que celle proposée par
la revue Cochrane [46] montre les limitations méthodologi-
ques de la plupart de ces études. Les méthodes d’évaluation
standardisées de la mémoire autobiographique utilisées en
neuropsychologie pourraient constituer un support contrôlé
au travail de reconstruction de l’histoire personnelle afi n
d’améliorer l’orientation dans le temps, la chronologie des
événements, et optimiser les stratégies d’accès aux souve-
nirs spécifi ques.
Dans le cadre de la maladie d’Alzheimer cependant, la
prise en charge des troubles autobiographiques a princi-
palement pour objectif d’optimiser la sémantique person-
nelle mieux préservée que la mémoire autobiographique
épisodique. Nous avons élaboré un programme de réminis-
cence avec le soutien de la Fondation Médéric Alzheimer
inspiré des thérapies de la réminiscence avec une visée
plus cognitive puisque l’activité de réminiscence est narra-
tive ciblant une simple description du passé sans but inter-
prétatif. Ce programme vise la reconstruction du sentiment
d’identité et de continuité en réinstaurant une temporalité
par le renforcement des connaissances sémantiques per-
sonnelles et des capacités de reviviscence des souvenirs an-
ciens. En référence au modèle de Conway précédemment
décrit, le programme cible tout d’abord, les connaissances
sémantiques personnelles afi n de reconstituer les principa-
les informations générales (en fonctions des thèmes : noms
de personnes de l’entourage, dates importantes, adres-
ses…) recouvrant cinq différentes périodes de vie (celles du
TEMPau) et, dans un second temps, l’accès à des souvenirs
plus spécifi ques à partir de ces connaissances personnelles.
Le programme (REMau, [29]) s’appuie sur une procédure
d’indiçage multi-sensoriel (photos, chansons, objets, indi-
ces verbaux), la plupart des indices provenant de l’entou-
rage familial qui remplit un questionnaire détaillé sur la
vie du patient (informations et événements marquants). Le
type de prise en charge proposé se fonde principalement
sur une méthode de facilitation d’accès aux informations
par des effets d’amorçage dus à la répétition de l’indiçage
[40] et par le biais de stratégies de récupération. L’impact
cognitif et comportemental de ce programme réalisé sur 8
séances d’une heure (deux fois par semaine pendant quatre
semaines) a été testé à terme et à plus long terme chez
des patients atteints de maladie d’Alzheimer modérée
(MMSE > 18) sans histoire personnelle particulièrement dou-
loureuse et sans troubles du comportement majeurs. Dans
une étude préliminaire, neuf patients bénéfi ciant du pro-
gramme ont été comparés à neuf autres patients appariés
en niveau de sévérité de la maladie et vivant dans le même
cadre institutionnel auxquels étaient proposées des activi-
tés occupationnelles (travail sur l’actualité) à la place du
programme. Les deux groupes de patients (Réminiscence
et Témoins) ont été testés avant et après la passation du
programme (sessions 1 et 2) et à distance (session 3, 15
jours après) à l’aide du test TEMPau et d’une version sé-
mantique personnelle de ce test (inspirée de Piolino et al.,
[30]), et de l’échelle de dépression gériatrique, GDS [47].
En résumé, les résultats obtenus à la deuxième évaluation
du TEMPau et du test de sémantique personnelle indi-
quent que les patients du groupe Réminiscence ont béné-
fi cié du programme. En effet, les performances du groupe
Réminiscence étaient signifi cativement supérieures à cel-
les du groupe Témoins aux sessions 2 et 3. Leurs perfor-
mances étaient améliorées à la session 2 et 3 par rapport
à la session 1 contrairement au groupe Témoins qui gardait
des performances globalement inchangées (Fig. 4). Ces ef-
fets dépendaient cependant de la période de vie explorée
puisque l’amélioration observée au TEMPau dans le groupe
Réminiscence concernait la période 18-30 ans mais aussi la
P. Piolino
43
période la plus récente. Pour le test de sémantique person-
nelle, l’amélioration observée concernait les trois périodes
les plus anciennes (0-17 ans, 18-30 ans et plus de 30 ans).
Sur le plan comportemental, la réminiscence a eu un effet
positif sur les scores de dépression évalués avec la GDS aux
sessions 2 et 3.Ces premiers résultats sont encourageants
du point de vue cognitif et comportemental. Globalement,
même s’ils sont encore préliminaires, ils semblent montrer
que les patients à un stade modéré peuvent bénéfi cier fa-
vorablement de ce type de programme pour reconstruire
des aspects de la mémoire autobiographique qui contri-
buent au sentiment d’identité. En effet, l’impact signifi -
catif du programme concerne la sémantique personnelle
et la capacité d’évocation de souvenirs de la période de
vie 18-30 ans qui recouvre en partie le pic de réminiscence
(voir supra). Nous confi rmons l’impact positif de la rémi-
niscence décrit dans la littérature, mais l’intérêt de cette
étude est d’une part de le contrôler expérimentalement
et de préciser sur quel type de représentation mnésique il
intervient et, d’autre part, de fournir un cadre standardisé
aux neuropsychologues pour appliquer une prise en charge
des troubles de mémoire rétrograde. Un autre résultat par-
ticulièrement intéressant à approfondir est que la recons-
truction des connaissances du self opère positivement dans
la vie quotidienne des patients, ce qui semble améliorer
l’encodage. Toutefois, bien que les résultats montrent un
maintien relatif de l’impact positif 15 jours après la fi n du
programme, ils indiquent aussi une diminution des effets
ce qui suggère qu’il faut certainement prévoir de répéter
régulièrement ce type programme chez un même patient
et de l’ajuster avec la progression de la démence. Il serait
également important de vérifi er l’impact d’un tel program-
me de réminiscence chez les patients atteints de troubles
de mémoire autobiographique d’origine frontale/exécutive
comme chez des patients traumatisés crâniens et des pa-
tients atteints de démences frontotemporales. Dans de tels
cas, le programme pourrait permettre d’accéder de nou-
veau à des souvenirs épisodiques et d’intervenir de façon
plus effi cace sur les liens réciproques unissant la mémoire
autobiographique et le self.
Conclusion
L’objectif de cette présentation était de souligner l’impor-
tance de la mémoire autobiographique dans la construction
et le maintien du sentiment d’identité et de montrer que
les troubles de mémoire autobiographique sont importants
dans la maladie d’Alzheimer dès un stade débutant de la
démence. Ils affaiblissent graduellement la cohérence de
soi et le sentiment d’identité, mais les connaissances sé-
mantiques personnelles mieux préservées que les souvenirs
épisodiques en début de maladie peuvent servir de support
à une prise en charge des troubles. Ce domaine de la neu-
ropsychologie clinique peut favorablement bénéfi cier de
techniques standardisées basées sur l’organisation structuro
fonctionnelle de la mémoire autobiographique et du self.
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en fonction des sessions testées : comparaison d’un groupe de
patients pris en charge (Réminiscence) et d’un groupe de pa-
tients avec de activités occupationnelles (Témoins) avant (Session
1) et après le programme (Session 2) et à 15 jours (Session 3).
**, p<.01, ***, p<.001
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