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adsp n° 38 mars 2002 27
La mortalité
attribuable
aux infections
hospitalières
L
es infections nosocomiales augmentent la mor-
bidité et la mortalité dans les établissements
de santé. Elles entraînent un surcoût fi nancier
essentiellement dû à l’accroissement de la durée des
séjours et des traitements antibiotiques. Évaluer le
risque nosocomial et sa gravité, et en informer les
usagers sont une nécessité dans un pays développé
qui souhaite améliorer la qualité des soins.
Selon l’étude américaine Senic (Study on the Effi cacy
of Nosocomial Infection Control) réalisée dans les
années soixante-dix, le taux de létalité des infections
nosocomiales serait de 3,6 %, dont 0,9 % conduiraient
directement au décès et 2,7 % y contribueraient. Ainsi, on
estime à 80 000 par an le nombre de décès attribuables
à l’infection nosocomiale aux États-Unis, plaçant ces
infections au rang des dix principales causes de décès
dans les hôpitaux de court séjour.
En France, nous ne disposons pas actuellement de
données globales fi ables sur la mortalité attribuable
aux infections nosocomiales.
L’infection nosocomiale parmi les premières causes
de décès à l’hôpital
Toutes les études montrent une relation entre les
infections nosocomiales et la mortalité. Cependant,
l’évaluation de la part de mortalité attribuable à l’in-
fection nosocomiale chez les patients infectés varie
selon les études. On distingue plusieurs catégories
d’études selon les sources de données et les méthodes
utilisées pour apprécier la mortalité attribuable aux
infections nosocomiales :
● les études cliniques par examen des dossiers
des patients décédés. L’appréciation de la mortalité
attribuable aux infections nosocomiales est faite par
un ou plusieurs cliniciens ;
● les études cliniques comparatives. Ces études
estiment la mortalité attribuable en prenant en compte
d’autres facteurs de risque de décès que les infections
nosocomiales par appariement ou ajustement ;
● les études faites à partir des statistiques hospi-
talières.
Les études cliniques avec revue de cas de décès
Quelques études permettent d’estimer un taux de
mortalité par rapport aux autres causes de décès. En
Allemagne, une analyse rétrospective de 1 000 rapports
d’autopsie montre que, dans 7,4 % des décès, une
infection nosocomiale était directement en cause et,
dans 6,3 %, elle avait contribué au décès, soit un total
de 13,7 % des décès [27]. Aux États-Unis, la revue de
200 dossiers de patients décédés à l’hôpital a retrouvé
la présence d’une infection nosocomiale dans 31,5 %
Que sont les infections liées aux soins ?
tableau 1
Mortalité hospitalière associée aux infections nosocomiales estimée à partir des patients décédés
Auteurs Pays Nombre de
décès
% infectés % décès
imputables*
Daschner 1978 [27] Allemagne 1 000 13,7 7,4
Gross 1980 [39] États-Unis 200 31,5 20,1
C-Clin Nord 2002 France 1 945 26,6 15,7
* Imputabilité possible ou certaine
tableau 2
Mortalité hospitalière liée aux infections nosocomiales selon le type d’infection
Site d’infection Référence Pays Population Mortalité
brute
Mortalité
attribuable
Urinaire Fagon 1996 [32] France 1 978 patients
de réanimation
34 % Non signifi catif
Respiratoire Jarvis 1996 [41] États-Unis NC 20–71 % 7–30 %
Bactériémie Jarvis 1996 [41] États-Unis NC 16,5–35 %
Site opératoire Astagneau 2001 [4] France 38 973 opérés 6 % 2 %
Pascal Astagneau
Médecin
coordonnateur
du C-Clin Paris Nord
Agnès Lepoutre
Médecin
épidémiologiste, InVS
28 adsp n° 38 mars 2002
Les infections liées aux soins médicaux
des décès. Dans 20,1 % des cas, l’infection noso-
comiale avait contribué directement ou indirectement
au décès [39].
En France, une étude multicentrique prospective
menée par le C-Clin Paris Nord chez 1 945 patients
décédés a montré que 26 % avaient une infection
nosocomiale, dont la moitié aurait contribué de façon
certaine ou possible au décès (rapport C-Clin Paris Nord,
2002). Une autre étude menée en région Ouest sur 200
dossiers de patients décédés a montré que 30 % des
patients décédés avaient une infection nosocomiale,
mais 6 % des décès seraient imputables à l’infection
nosocomiale. S’il est diffi cile d’extrapoler ces résultats
régionaux à l’ensemble des établissements de santé
français, on peut donner une première estimation du
nombre de décès imputables à l’infection nosocomiale :
entre 7 000 et 20 000 par an en France.
Les études cliniques comparatives
Les pathologies responsables de décès sont souvent
multiples et intriquées chez un même patient, rendant
diffi cile l’interprétation de l’imputabilité d’un facteur
particulier. L’infection nosocomiale survient en général
chez des patients fragilisés, souvent âgés, qui sont
porteurs d’une ou plusieurs autres pathologies poten-
tiellement causes de décès à plus ou moins court terme
(maladie cardiovasculaire, cancer, immunodépression,…).
Il est donc diffi cile de déterminer le rôle exact que joue
l’infection nosocomiale dans l’issue fatale du patient,
l’infection n’étant parfois que l’une des nombreuses
complications médicales contribuant au décès.
La mortalité attribuable aux décès peut être estimée
en comparant la prévalence ou l’incidence de l’infection
nosocomiale chez les patients décédés et non décédés,
après ajustement sur des facteurs de gravité ou des
scores pronostics de décès. La mortalité attribuable peut
aussi être estimée en comparant des patients infectés
à des patients non infectés apparié sur des facteurs de
gravité ou des scores pronostics de décès.
Des études ont montré que la mortalité chez les
patients ayant contracté une infection nosocomiale,
quel que soit son type, était trois à dix fois supérieure
à celle des patients sans infection nosocomiale. Une
étude cas témoins appariée sur les facteurs de risque
tels que l’âge et la gravité de la pathologie sous-jacente
a montré que la fraction de décès attribuable à l’infection
nosocomiale était estimée à 21,3 %. Une étude de
cohorte exposés–non exposés appariée menée dans un
service de réanimation français retrouvait une mortalité
attribuable à l’infection nosocomiale de 44 %.
Les statistiques hospitalières
Une étude française effectuée à partir des données du
programme médicalisé du système d’information (PMSI)
entre 1989 et 1993 montre des écarts importants de
mortalité entre les patients ayant une infection noso-
comiale (14,4 %) et ceux sans infection nosocomiale
(2,1 %). Cependant, l’information fournie par le PMSI
ou tout autre système d’information hospitalier à visée
médico-économique reste discutable car le diagnostic
d’infection nosocomiale y est rarement noté. L’étude
américaine SENIC a montré que la classifi cation utilisée
pour planifi er les dépenses hospitalières ne prenait en
compte que 5 à 18 % des infections nosocomiales.
La classifi cation internationale des maladies (CIM) de
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 10
e
révision
(ou CIM10), qui peut être utilisée dans ces systèmes
d’information, ne comprend pas de défi nitions précises
des infections nosocomiales mais seulement des affec-
tions iatrogènes (CIM10).
D’autres études effectuées à partir des certifi cats de
décès ont montré un excès de mortalité par infection
nosocomiale. Une étude anglaise analysant les certi-
fi cats de décès du National Centre for Health Statistics
(NCHS) a retrouvé un taux de mortalité global associé aux
infections nosocomiales de 3,8 pour 100 000 personnes-
année. En France, les certifi cats de décès ne constituent
pas une source de données fi able pour les infections
nosocomiales. En effet, la certifi cation des causes de
décès est établie selon le formulaire recommandé par
l’OMS où fi gure une cause immédiate de décès, une
cause principale (ou initiale) et un ou plusieurs états
pathologiques associés ayant contribué au décès. Une
étude américaine a montré que les données basées
sur le certifi cat de décès sous-estimaient de 24 % les
décès associés à une infection nosocomiale.
La mortalité attribuable aux infections nosocomiales
est variable selon le type d’infection et les conditions
d’hospitalisation
La mortalité attribuable aux infections nosocomiales
est la plus élevée pour les pneumopathies, de 7 % pour
l’ensemble des patients à 30 % pour les patients hos-
pitalisés en réanimation. La létalité par pneumopathie
est particulièrement élevée chez les patients ventilés
en réanimation [41]. Les pneumopathies contribueraient
directement au décès dans un tiers à deux tiers des
cas selon les études.
Les bactériémies/septicémies sont responsables avec
les pneumopathies d’une mortalité importante variant
de 16 % à 35 % selon les études [41]. Les deux tiers
de ces infections contribueraient directement au décès.
adsp n° 38 mars 2002 29
Que sont les infections liées aux soins ?
La porte d’entrée principale de ces infections sont les
cathéters veineux périphériques ou centraux. Les données
du réseau de surveillance REACAT montrent que 35 %
des patients ayant une infection sur cathéter veineux
central décèdent et que ces infections représenteraient
6 % des décès en réanimation (rapport Reacat C-Clin
Paris Nord, 2000).
Les infections du site opératoire (ISO) sont moins
souvent associées au décès, le taux létalité étant estimé
entre 2,5 % et 6 % selon les études [4]. L’étude fran-
çaise Inciso a montré qu’un tiers des décès survenant
chez les patients avec une infection du site opératoire
était attribuable à l’infection. La létalité est par ailleurs
plus élevée pour les infections profondes que pour les
infections superfi cielles. Une étude danoise a comparé la
survie à 3-5 ans de patients ayant une infection du site
opératoire à celle de témoins appariés sur l’âge, le sexe
et le type d’intervention ne montrait pas de différence
dans la survie à 3 ou 5 ans entre les patients ayant
une infection du site opératoire et celle des patients
pris comme témoins. La survie des patients ayant une
infection profonde du site opératoire était par contre
signifi cativement inférieure à celle de leurs témoins.
Les infections urinaires sont les plus fréquentes
des infections nosocomiales, mais très peu souvent
associées au décès [32].
La mortalité avec infection nosocomiale varie en
fonction du lieu d’hospitalisation. La majorité des décès
associés à une infection nosocomiale sont constatés
en réanimation, unités de soins intensifs et services
de gériatrie.
Les micro-organismes les plus souvent associés
aux décès avec une infection nosocomiale sont ceux
retrouvés d’une façon générale dans les infections
nosocomiales graves telles que les pneumopathies
ou les bactériémies. Les micro-organismes les plus
fréquents sont Staphylococcus aureus, Pseudomonas
aeruginosa, Escherichia coli et les levures. Il semble
que, pour les bactériémies, il existe une surmortalité
chez les patients porteurs de S. aureus résistant à la
méthicilline par rapport aux souches sensibles (rapport
bactériémie C-Clin Paris Nord, 1998).
Prévention des décès liés aux infections
nosocomiales
Bien qu’il soit très diffi cile d’évaluer avec précision le
poids réel des infections nosocomiales dans les causes
de décès à l’hôpital chez les patients infectés, ces
infections restent une cause majeure de décès hospi-
taliers. La réduction de la mortalité liée aux infections
nosocomiales comprend d’une part la prévention des
infections nosocomiales, et d’autre part le diagnostic
et la prise en charge adaptés et précoces du patient
infecté. La réduction du risque passe par une amélioration
de la qualité des soins, tout particulièrement pour les
infections liées à des dispositifs ou des gestes invasifs
potentiellement pourvoyeurs d’infections graves.
Le coût des infections
liées aux soins
L’
impact médico-économique des infections noso-
comiales a été souligné par les responsables
de programmes nationaux et locaux de lutte
contre l’infection. Un premier aspect médico-écono-
mique concerne le coût de l’infection. Le coût global
des infections dans les pays de l’OCDE a été estimé être
de l’ordre de 760 millions d’euros par an en moyenne
pour les pays européens [9, 49, 79] et de 4,2 milliards
d’euros aux États-Unis en 1976. Le coût médical par
infection et par patient est estimé de manière globale
à 2 000 euros aux États-Unis et entre 610 et 1 370
euros en Europe.
Un second aspect est celui du coût des programmes
de prévention, qui doit être pondéré par l’effi cacité de
celle-ci et comparé avec le coût des infections. Les coûts
des programmes de prévention ont été estimés par le
CDC en 1985 à 60 000 euros pour un hôpital de 250
lits, soit à environ 250 millions pour l’ensemble des
États-Unis. À Hong Kong, French et Cheng ont estimé le
coût de la mise en place d’un programme de prévention
dans un hôpital universitaire de 1 400 lits à 90 315
euros par an. Une réduction de 9 % à 6 % du taux d’in-
fection obtenue par la mise en place du programme
permettait d’éviter une dépense de 8 millions d’euros,
dont 7,6 pour la seule augmentation de durée de séjour
et 0,4 million d’euros pour l’antibiothérapie. Aux États-
Unis, il a été estimé qu’une réduction de 6 % du taux
d’infection égalise les coûts de la prévention et les coûts
des infections évitées. En d’autres termes, d’un point de
vue strictement économique, il suffi t qu’un programme
coûtant 60 000 euros pour 250 lits réduise, en valeur
Isabelle
Durand-Zaleski
Professeur de
médecine, Hôpital
Henri Mondor, AP-HP
Carine Chaix
Chef de clinique,
Hôpital Henri Mondor,
AP-HP, Paris
Christian
Brun-Buisson
Professeur de
médecine, Hôpital
Henri Mondor, AP-HP,
Paris
N
ous avons réalisé
une revue de la litté-
rature à partir des bases
de données suivantes :
Medline (1992-2001),
et bases disponibles
localement (CCLIN et
dossiers personnels).
Les mots clés : sta-
phylococcal infections,
nosocomial infections,
economics, cost-benefi t
analysis, bacteria, cross
infection, pneumonia,
surgical wound infection,
Staphylococcus aureus,
intensive care units, hos-
pital-acquired infection,
ont été utilisés pour
la recherche des réfé-
rences. Les langues
retenues étaient le
français et l’anglais.
Les bases de données
locales et la revue systé-
matique des références
citées dans les articles
ont permis de retrouver
des articles qui n’étaient
pas indexés à la rubique
« cost » sur Medline.
Matériel et méthodes