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Encadrement garanti et précis de quantités d’intérêt dans
les simulations numériques par une méthode
non-intrusive adaptée aux codes de calcul
L. Chamoin1, P. Ladevèze1,2
1LMT-Cachan (ENS Cachan/CNRS/Université Paris 6/PRES UniverSud Paris)
61 avenue du Président Wilson, 94235 Cachan Cedex, France
{chamoin,ladeveze}@lmt.ens-cachan.fr
2Chaire de la Fondation EADS “Techniques Avancées en Calcul de Structures”
Résumé — Cet article décrit quelques avancées réalisées ces dernières années au LMT-Cachan
pour l’estimation robuste et pratique de l’erreur de discrétisation commise sur des quantités d’in-
térêt calculées par la Méthode des Éléments Finis. En considérant ici le cas des problèmes de
viscoélasticité linéaire, nous développons une procédure permettant d’obtenir des bornes d’erreur
à la fois garanties, de grande qualité, et raisonnablement coûteuses, tout en gardant un caractère
non-intrusif en vue de l’implémentation simple de cette procédure dans les codes de calcul.
Mots clés — vérification de modèle, erreur locale, bornes garanties, méthodes non-intrusives.
1 Introduction
L’estimation de l’erreur de discrétisation commise sur des quantités d’intérêt est un véritable
challenge pour la simulation numérique [1]. De nombreux travaux ont été menés dans ce sens
depuis une dizaine d’années, principalement pour les problèmes de statique linéaires résolus par
la Méthode des Éléments Finis (MEF) (voir [2, 3, 4] par exemple). Cependant, seulement certains
d’entre eux fournissent des bornes d’erreur véritablement garanties, ce qui est un inconvénient
majeur pour le calcul robuste. Une méthode générale permettant d’obtenir des bornes d’erreur
garanties pour une grande variété de problèmes en Mécanique repose sur le concept d’erreur en
relation de comportement, associé à la construction de champs admissibles [5]. Cette méthode a
récemment permis le calcul des premières bornes garanties en dynamique et en (visco-) plasticité
[6].Nous présentons dans cet article une démarche robuste et efficace de construction de bornes
garanties de l’erreur locale dans le cadre des problèmes de viscoélasticité linéaire. Cette démarche
utilise la notion d’erreur en relation de comportement (erreur en dissipation dans notre cas) ainsi
qu’une technique classique d’extraction faisant intervenir un problème adjoint. Un effort particu-
lier est porté à la méthode d’estimation d’erreur locale de façon à la rendre très précise tout en
restant raisonnablement coûteuse et aisée à implémenter dans les codes de calcul : nous utilisons
tout d’abord une technique simple et pratique pour la construction des champs admissibles à par-
tir de la solution éléments finis [7]; nous prenons également en compte les effets d’histoire qui
jouent un rôle majeur dans la qualité des bornes d’erreur pour les problèmes d’évolution [9]; nous
développons enfin une procédure non-intrusive pour la résolution du problème adjoint, basée sur
un enrichissement local par une méthode de partition d’unité (PUM), de façon à obtenir à moindre
coût des bornes d’erreur de grande qualité [10].
2 Modèle mathématique et solution numérique
2.1 Problème de référence
On considère une structure définie par un domaine Ω, de frontière ∂Ω, et soumise sur l’in-
tervalle de temps [0,T]aux sollicitations mécaniques extérieures suivantes : une force volumique
fd(t)dans Ω, une densité surfacique de force Fd(t)sur ∂2Ω, et un champ de déplacement ud
sur ∂1Ω=∂Ω−∂2Ω. On suppose que le comportement du matériau est décrit par le modèle de
viscoélasticité linéaire de Maxwell, pour lequel les relations de comportement s’écrivent :
ee=Λ(s) (équations d’état),˙ep=B(s) (lois d’évolution)(1)
Les variables internes généralisées eeet epreprésentent respectivement les parties élastique et
anélastique du champ de déformation, telles que e=ee+ep, tandis que la variable interne duale s
est reliée au tenseur des contraintes σ.Λet Bsont des opérateurs symétriques définis positifs.
Dans le cadre d’un chargement quasi-statique et sous l’hypothèse des petites perturbations, le
problème de référence consiste à trouver la solution (e,s)vérifiant les équations de liaison, les
équations d’équilibre, les conditions initiales, ainsi que les relations de comportement. La solution
exacte (eex,sex)de ce problème étant inaccessible en pratique, on utilise la MEF avec un schéma
en temps du premier ordre pour calculer une solution approchée (eh,sh)sur Ω×[0,T]. On définit
ainsi l’erreur globale de discrétisation :
εglob =|||eex −eh||| (2)
où ||| • ||| est une norme spatio-temporelle sur Ω×[0,T].
2.2 Construction de champs admissibles
Une caractéristique importante de la méthode d’estimation d’erreur que nous utilisons est le
calcul d’une solution dite admissible, notée (ˆeh,ˆsh)par la suite, qui doit vérifier toutes les équations
du problème de référence sauf les lois d’évolution. Lorsqu’on utilise une MEF en déplacement,
on choisit généralement ˆeh=eh, et le principal point technique est alors la construction de ˆsh(les
autres variables se déduisent par ˆee
h=Λ−1ˆshet ˆep
h=ˆeh−ˆee
h).
La démarche utilisée pour la construction de ˆsh(ou ˆ
σh) comprend deux étapes : dans un pre-
mier temps, on construit des densités d’effort équilibrées sur les bords des éléments du maillage
spatial Mh(Figure 1); dans un deuxième temps, des problèmes locaux non-coûteux sont résolus
sur chaque élément Ede façon à déterminer un champ de contrainte ˆ
σh|Een équilibre avec le
chargement extérieur et les densités d’effort calculées précédemment.
Le calcul des densités se base sur une relation énergétique, dite condition de prolongement,
entre σhet ˆ
σh:ZΩTr[( ˆ
σh−σh)ε(ϕj)]dΩ=0∀j(3)
avec ϕj: fonction de forme associée au nœud jde Mh(voir [5] pour plus de détails). La procédure
traditionnellement suivie pour reconstruire les densités à partir de (3) étant assez lourde à implé-
menter, une variante a été proposée dans [7]. Cette variante, qui s’inspire des travaux menés sur
la méthode flux-free [8], introduit dans (3) la partition d’unité définie par les fonctions de forme
linéaires φiassociées aux nœuds sommets idu maillage Mh; on définit ainsi des problèmes locaux
sur chaque patch d’éléments (Figure 1) qui peuvent être résolus de façon automatique. Les pro-
priétés de la solution éléments finis σhassurent que les problèmes locaux sont bien-posés, et les
densités sont alors reconstruites sur chaque bord d’élément comme une combinaison linéaire de la
forme ˆ
Fh=∑iφiˆ
Fi
h.
E
F
F
F
^
^
^
1
2
3
i
Figure 1 – Densités définies sur les bords de l’élément E(gauche), et patch d’éléments autour du
nœud sommet i(droite).
3 Encadrement d’erreur locale
3.1 Erreur en dissipation
À partir de la solution admissible (ˆeh,ˆsh)précédemment construite, il est possible de définir
une erreur en relation de comportement, correspondant à une erreur en dissipation ici, qui consti-
tue un estimateur de l’erreur globale de discrétisation [5]. L’erreur en dissipation, qui s’annule
lorsque (ˆeh,ˆsh) = (eex,sex), s’écrit :
e2
diss =1
2ZT
0ZΩTr[( ˙
ˆep
h−Bˆsh)·B−1(˙
ˆep
h−Bˆsh)]dΩdt=ZT
0|| ˙
ˆep
h−Bˆsh||2
B−1dt(4)
Une variante, introduite dans [9], consiste à définir une erreur en dissipation pondérée Ediss telle
que :
E2
diss =ZT
0a(t)|| ˙
ˆep
h−Bˆsh||2
B−1dt(5)
où a(t)est une fonction positive vérifiant a(T) = 0. Cette variante permet de prendre en compte
les effets d’histoire et optimise ainsi la qualité des bornes d’erreur locale obtenues (voir [9] pour
plus de détails).
3.2 Problème adjoint
Considérant une quantité d’intérêt I, dépendant linéairement de (e,s), les techniques classiques
d’extraction consistent à mettre cette quantité sous la forme globale :
I=ZT
0ZΩ˜sΣ·˙edΩdt(6)
dans laquelle la variable généralisée ˜sΣ, connue analytiquement sur Ω×[0,T], est appelée opé-
rateur d’extraction. Un problème adjoint est alors défini [4]; dans notre cas, ce problème adjoint
est inverse en temps mais garde la même structure que le problème de référence si ce n’est que le
chargement est la précontrainte ˜sΣ. Une solution approchée (˜eh,˜sh)du problème adjoint est déter-
minée à l’aide de la MEF (avec une discrétisation spatio-temporelle pouvant être différente de celle
utilisée pour le problème de référence), et une solution admissible (ˆ
˜eh,ˆ
˜sh)est ensuite calculée.
3.3 Résultat d’encadrement
À partir des solutions admissibles des problèmes de référence et adjoint, on peut démontrer le
résultat suivant [6, 9] :
|Iex −Ih−Ihh| ≤ F(˙
ˆep
h−Bˆsh)·G(˙
ˆ
˜ep
h+Bˆ
˜sh)(7)
dans lequel Iex (resp. Ih) représente la valeur exacte inconnue (resp. la valeur éléments finis connue)
de la quantité Iconsidérée, Fet Gsont des fonctions faisant intervenir l’erreur en dissipation,
et Ihh est un terme de correction entièrement calculable qui dépend des solutions approchées des
problèmes de référence et adjoint. Nous obtenons ainsi des bornes strictes de Iex, et il est important
de noter ici le rôle du terme de correction : quelle que soit la qualité de la solution approchée du
problème de référence, une résolution fine du problème adjoint entraîne une valeur petite du terme
G(˙
ˆ
˜ep
h+Bˆ
˜sh)donc une grande précision des bornes d’encadrement de Iex ; la quantité Ih+Ihh peut
donc être vue comme une nouvelle approximation de Iex.
4 Résolution non-intrusive du problème adjoint
L’encadrement (7) montre que des bornes d’erreur locale de grande qualité peuvent être obte-
nues lorsque le problème adjoint est correctement résolu. Cependant, une difficulté majeure pour
cet objectif est la description fine de la partie singulière de la solution du problème adjoint, qui
présente généralement de forts gradients locaux concentrés au voisinage de la zone d’application
de la précontrainte ˜sΣ. La MEF classique n’étant pas adaptée dans ce cas, une alternative au raf-
finement excessif (et coûteux) de maillage consiste à introduire des fonctions d’enrichissement
dans la base d’approximation, au moyen de la méthode de partition d’unité (technique handbook
[11]). Les fonctions d’enrichissement prennent la forme de solutions locales (quasi-) exactes du
problème adjoint, c’est-à-dire de solutions singulières d’un problème défini dans un milieu (semi-
) infini et chargé par la précontrainte ˜sΣ. Ces fonctions sont pré-calculées de manière analytique
et/ou numérique puis stockées dans une bibliothèque de fonctions ; elles sont alors utilisées en
fonction du type d’extracteur introduit pour décrire la quantité d’intérêt Iétudiée.
De ce fait, la nouvelle formulation du problème adjoint consiste àtrouver une solution sous la
forme :
(˜e,˜s) = ( ˜ehand
PUM,˜shand
PUM) + ( ˜eres
,˜sres)(8)
où (˜ehand
PUM,˜shand
PUM)est le terme d’enrichissement local et (˜eres
,˜sres)est un terme résiduel permettant
de vérifier les conditions limites du problème. Le terme résiduel, sans partie singulière, peut être
correctement approché avec la MEF classique associée au maillage spatio-temporel utilisé pour
le problème de référence. La méthode d’estimation d’erreur locale est donc non-intrusive dans ce
sens : le problème adjoint est résolu finement en gardant les paramètres de discrétisation définis
pour la résolution du problème de référence. En pratique, les problèmes de référence et adjoint
sont résolus en même temps, et la procédure d’estimation d’erreur locale peut ainsi être insérée
sous forme de boîte noire dans les codes de calcul éléments finis.
Il est également important de noter que la démarche non-intrusive de résolution du problème
adjoint permet de traiter simplement et efficacement les quantités d’intérêt ponctuelles en espace
et/ou en temps; dans ce cas, les fonctions d’enrichissement adaptées correspondent aux fonctions
de Green, données explicitement dans les cas simples (voir Figure 2), mais pouvant être à énergie
infinie.
Figure 2 – Distribution spatiale du champ de contrainte pour un domaine infini 2D chargé avec
une précontrainte ponctuelle : ˜
σhand
xx (gauche), ˜
σhand
yy (centre), ˜
σhand
xy (droite).
5 Exemple numérique
Nous considérons le problème 2D décrit sur la Figure 3. La structure est discrétisée avec 64
éléments quadrangulaires à 4 nœuds, et l’intervalle de temps est divisé en 20 pas de temps. La
quantité d’intérêt est I=˙
εp
yy(P)|Toù Pest un point situé dans une région critique de la structure.
Le chargement du problème adjoint est alors une précontrainte ponctuelle ˜
σΣappliquée au point
P. En utilisant la fonction de Green correspondante dans l’enrichissement local, nous obtenons
sans aucun remaillage les bornes normées : ¯
ξinf =ξin f
Iex =0,94; ¯
ξsup =ξsup
Iex =1,05.
Ud(t)
0 0.5 1 1.5 2 2.5
0
0.5
1
1.5
2
2.5
3
−2
−1
0
1
2
3
2.5
0
0.5
1
P
0
0.5
1
1.5
2
3
2.5
2
0
1
Figure 3 – Structure 2D étudiée (gauche), définition du point P(centre), et nœuds enrichis autour
de Ppour la résolution du problème adjoint (droite).
De plus, en considérant que la partie résiduelle (˜eres
,˜sres)de la solution du problème adjoint
varie peu en fonction de la position du point P(ce qui est vérifié si la zone d’enrichissement
est suffisamment large), il est possible d’obtenir directement des bornes sur la valeur de Imax,E=
maxP∈EI(P)où Eest une zone critique de la structure Ω. En considérant la zone Edéfinie sur la
Figure 4, on obtient : ¯
ξE
inf =ξE
inf
Imax,E
ex =0,95 et ¯
ξsup =ξE
sup
Imax,E
ex =1,06, ce qui constitue une information
pertinente pour le contrôle des calculs servant au dimensionnement.
0 0.5 1 1.5 2
0
0.5
1
1.5
2
2.5
3
−1
−0.5
0
0.5
1
1.5
1.5 2
0 0.5
0
E
Figure 4 – Définition de la zone Eet des nœuds enrichis.
Références
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